Une rencontre avec Susin Nielsen

Dans le cadre du festival Paris d’en Lire, l’auteure canadienne Susin Nielsen était à Paris le mardi 10 mars 2015 pour rencontrer quatre classes de collèges pour le livre Le journal malgré lui de Henry K. Larsen. Grâce aux éditions Hélium, Bob a pu se faire passer pour un jeune morse de 4e et entrer dans l’ambiance feutrée de l’auditorium de la bibliothèque Marguerite Duras afin d’assister aux échanges entre les jeunes et l’auteure. Et de faire son gros fan tout tremblant des bajoues.

Étaient présentes lors de cette rencontre : Gilberte Bourget, éditrice chez Hélium et qui officiait également en tant qu’interprète, Rozenn Samson, chargée de la promotion chez Hélium et, en deuxième partie de rencontre, Valérie Le Plouhinec, la traductrice de Susin Nielsen.

Rozenn, Gilberte, Valérie et Susin

Rozenn, Gilberte, Valérie et Susin

Ce que vous allez lire ci-dessous est non seulement un immense chef d’œuvre de la part de Bob ( 🙂 ) mais, surtout, le compte-rendu des échanges entre les élèves et l’auteure et les réponses que Susin a apporté aux dernières questions de Bob qui n’avaient pas été posées par les jeunes. Pour la forme, et surtout pour se la péter, Bob a choisi de vous répartir la conversation par thématiques, avec des titres super pompeux. (En vrai, il avait voulu enregistrer tout pour retranscrire au mot près les paroles de Susin…mais Bob n’est pas un grand technophile…)

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(photo: Taby Cheng)

(photo: Taby Cheng)

Avant de commencer le compte-rendu de cette belle rencontre, quelques mots sur Susin Nielsen, pour ceux qui ne la connaissaient pas : avant d’être auteure, elle a été (et est toujours) scénariste pour la télévision canadienne. Certains auront peut-être vu la série Degrassi et sa suite ? Elle en a écrit des épisodes…puis des novélisations. En France, elle a publié quatre romans, tous parus chez Hélium et que vous connaissez sûrement (sinon, honte à vous et allez vite vous les procurer) :

* Dear George Clooney, tu veux pas épouser ma mère ? – 2011 (9782358510790)
* Moi, Ambrose, roi du scrabble – 2012 (9782358510929)
* Le journal malgré lui de Henry K. Larsen – 2013 (9782330022495)
* On est tous faits de molécules – 2015 (9782330039332). Notre avis par ici.

Pour en savoir plus (mais en anglais), n’hésitez pas à visiter son site internet : http://susinnielsen.com/

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Du métier d’écrivain et de l’écriture

Lorsque l’on demande à un écrivain comment il l’est devenu, c’est toujours un grand moment pour les jeunes auditeurs à la recherche de la recette magique pour le devenir. Susin Nielsen leur a-t-elle vendu du rêve ? Peut-être bien, car, si elle explique avoir toujours voulu l’être, elle se souvient surtout d’une anecdote suite à l’écriture d’Ambrose. Elle a retrouvé ce jour-là son tout premier journal intime, lorsqu’elle avait 11 ans, et a été très étonnée de ce qu’elle y a lu : « Ceci est le premier jour d’écriture de mon journal. Parce que j’aime écrire des histoires, si je grandis et deviens un écrivain, alors… »

Susin Nielsen n’était pas très douée à l’école (vous voyez, rien n’est perdu !), à part en anglais, ce dont elle était bien sûr très contente. Au lycée, elle écrivait de la poésie mais n’est jamais parvenue à se faire publier car tous ses textes furent rejetés…jugés trop déprimants ! Ce qui ne l’empêchait pas d’écrire tout le temps. Son travail d’écriture pour la télévision, d’ailleurs, la motive beaucoup. Notamment car il exige des dates limites, ce qui lui a permis d’obtenir une certaine discipline d’écriture.

Pour autant, il lui faut quand même un certain temps avant de se sentir prête à montrer son texte à quelqu’un et, si elle met environ un an à écrire un roman, elle en publie ainsi un tous les deux ans ! Son processus d’écriture est d’ailleurs très intéressant. Susin Nielsen raconte que, en général, elle commence à écrire car un personnage commence à lui parler. Puis elle pense aux situations dans lesquelles il pourrait se trouver. En tous cas, elle commence très souvent pas le début de l’histoire (logique, me direz-vous ? pas forcément pour tous les auteurs…), sauf pour le Journal malgré lui de Henry K. Larsen, où elle a commencé par le moment où les cendres sont dans la boîte à chaussures. D’ailleurs, écrire un journal lui a demandé beaucoup d’efforts. D’autant plus que c’est un livre qu’elle considère comme triste. Deux scènes en particulier lui ont été très difficiles : celle du toboggan dans le parc (Bob a pleuré durant cette scène, il l’avoue) et celle où Henry trouve les affaires de son frère.

Au vu de son incroyable talent et de son imagination débordante, Susin Nielsen est-elle parfois victime du manque d’inspiration ? Eh bien oui, il lui arrive très souvent de se demander ce qu’elle pourrait écrire ensuite. Elle a cette peur de la page blanche et, pour y remédier, elle se force à écrire quelque chose, même si ça ne mène nulle part ou que ça n’a aucun intérêt car elle peut toujours y revenir après. Cela lui donne de la matière à correction ou tout simplement avoir quelque chose sur lequel travailler. Mais elle révèle avoir peur de ne plus avoir d’idées…

9782358510929, 0-1326530

Quand on lui demande quel est le livre qu’elle préfère parmi ses romans, elle révèle avoir un petit quelque chose pour Ambrose, car il s’agissait de son tout premier roman. Mais ils sont tous différents et elle ne les relit jamais une fois terminés ! Cela vous étonne peut-être, mais elle y passe déjà tellement de temps en fonction de relectures et corrections qu’elle préfère ne pas les relire une fois publiés…car elle y changerait encore des choses !

En tous cas, elle compte bien continuer à en écrire, et toujours pour les adolescents, même si elle n’exclut pas d’écrire aussi pour les adultes. Si elle a actuellement une idée pour un roman adulte avec laquelle elle joue dans sa tête, elle écrira en parallèle pour les adolescents car elle ne veut pas perdre son lectorat et la place qu’elle occupe dans le paysage des romans ados. Et puis, elle s’est rendue compte qu’il y a toujours beaucoup de jeunes qui découvrent Ambrose, que son public se renouvelle constamment.

Des problèmes familiaux

Certains jeunes lecteurs ont soulevé que, dans les romans de Susin, il y avait toujours des problèmes familiaux, plus ou moins graves. Il est vrai que, pour Susin, la famille est une notion très importante et ses histoires évoquent très souvent différents problèmes au sein de la famille. Susin explique que cela vient de sa propre enfance. Elle était très jeune quand ses parents ont divorcé et que son père est parti. Elle a des demi-frères et des demi-sœurs, mais a eu une enfance très heureuse auprès de sa mère. C’est aussi pour cette raison que, dans aucun de ses romans ne figure de famille « traditionnelle ».

De l’humour

Malgré des situations parfois dramatiques ou, souvent, complexes et difficiles, les romans de Susin Nielsen sont toujours bourrés d’humour. C’est d’ailleurs là tout son talent, selon Bob, de marier des scènes cocasses ou loufoques à des événements qui le sont beaucoup moins. Pourquoi ce choix ? Tout simplement car il est très important pour Susin d’avoir cet humour dans ses livres. Elle aime écrire des livres qu’elle aurait envie de lire. Le journal d’Henry K. Larsen ne lui aurait sans doute pas plu s’il n’y avait pas d’humour dedans. Et, de toute manière, Bob ne voit pas comment il ne pourrait pas y avoir d’humour dans les romans de Susin, car elle-même est génialement drôle !

Des personnages…

Les personnages de Susin Nielsen ne sont pas des héros. Ils sont un peu geeks, ou un peu bizarres, souvent différents, plutôt des gens « normaux »… Susin Nielsen explique que, pour elle, lorsqu’elle écrit, il s’agit d’entrer dans la tête d’une personne réelle. Elle ne s’imagine pas écrire sur un personnage qui ne soit pas ancré dans la réalité.

Est-il difficile de se mettre dans la peau d’un garçon ? Susin Nielsen dit que non, mais ne saurait pas tellement expliquer pourquoi. Peut-être car elle a un fils ? Bizarrement, il lui faut plus de temps pour rentrer dans la peau de ses personnages féminins.

Y a-t-il des qualités ou des défauts dans ses personnages qui sont inspirés d’elle-même ? Deux personnages ont en effet quelque chose de Susin. En tant qu’enfant, elle était beaucoup comme Ambrose. Mais Violette est sans doute celle qui est la plus proche d’elle car elle avait les mêmes états d’âme ou réactions. Henry par contre n’a rien à voir avec elle et elle s’est plutôt inspirée de façon discrète des gens qu’elle connaît.

…et des liens qui les unissent

Pour ceux qui ont tout lu de Susin (comme Bob), vous n’aurez pas manqué de remarqué que certains personnages se retrouvent, même furtivement, dans un livre ou dans un autre. L’auteure révèle qu’au départ, elle n’avait pas prévu de « mélanger » ses personnages mais que cela s’est fait au fur et à mesure, presque inconsciemment. Par exemple, quand elle a commencé à écrire Nous sommes tous faits de molécules, elle avait juste le personnage de Stewart et ne savait pas encore qui serait la fille jusqu’à ce que, en écrivant, elle se rende compte qu’il s’agissait d’Ashley, l’ennemie de Violette dans Dear George Clooney.

On peut alors se demander si c’est dur pour Susin Nielsen de laisser partir ses personnages une fois le livre publié ? En réalité, elle se sent plutôt soulagé, car les personnages vivent en quelque sorte dans sa tête. Et si les liens entre les personnages n’étaient pas prémédités et se sont construits petit à petit, elle sait, par exemple, où vivent les personnages dans son quartier. Dingue, non ? C’est donc ainsi qu’elle s’est rendu compte qu’Henry et Ambrose allaient dans le même lycée. C’est finalement aussi un moyen pour elle de donner des nouvelles des autres personnages à ses fidèles lecteurs.

Du harcèlement scolaire

9782330022495, 0-1714249

Cette rencontre s’intéressant principalement au Journal malgré lui d’Henry K. Larsen, il était normal d’aborder le thème du harcèlement à l’école, au cœur du roman. La grande question des collégiens était de savoir si Susin avait elle-même vécu ou été témoin de harcèlement. Elle se souvient en avoir été témoin, racontant que, dans son lycée, principalement un lycée de blancs, deux garçons étaient constamment harcelés. L’un parce qu’il était d’origine pakistanaise (couleur de peau différente, donc) et l’autre parce qu’il était probablement gay (mais elle n’en était pas certaine). Elle se souvient s’être sentie très mal à cette période car elle voulait intervenir et les défendre mais n’en a jamais trouvé le courage, ce qu’elle regrette aujourd’hui. Ces événements sont ainsi restés dans un coin de sa tête…
Susin a aussi été parfois victime de filles plutôt méchantes. Mais pas comme Henry ou son frère l’ont été. Loin de là. Et elle avoue avoir été parfois peu sympathique avec les autres.

Mais ce qui a vraiment inspiré son livre, c’est celui de Wally Lamb, Le chagrin et la grâce, qui aborde le massacre de Columbine et dans lequel elle découvre que l’un des meurtriers avait un frère. Elle s’est alors demandé comment on pouvait vivre en étant le frère d’un tel personnage et les répercussions que cela pouvait avoir sur sa vie. Ainsi est né Henry…

Cependant, le thème du harcèlement n’est pas forcément venu tout de suite dans son écriture, puisque ce sont toujours les personnages qui apparaissent d’abord et l’histoire qui se déroule autour ensuite. Mais elle se souvient qu’au moment où le roman a été publié, deux jeunes filles se sont suicidées suite au harcèlement dont elles furent victimes.

Du succès de Susin Nielsen

Susin Nielsen est-elle surprise du succès de ses livres ? Oui, très ! Au début de la parution de son premier livre, tout était très calme puis, tout à coup, Ambrose était sélectionné pour plein de prix. Un événement l’a notamment beaucoup marquée : elle s’était rendue à un célèbre prix canadien où étaient sélectionnés dix auteurs et 1500 lecteurs étaient présents. Ambrose a gagné le prix et les enfants dans la salle étaient complètement fous de joie. Elle a alors réalisé que des gens lisaient ses livres.

Sur une note plus humoristique, Susin révèle qu’elle se considère comme la J.K. Rowling du Canada. (Quand Bob vous dit que Susin est géniale !)

Du cinéma

Travaillant pour la télévision, il fallait bien que l’on parle aussi de cinéma avec Susin, et notamment de l’adaptation de ses romans. Car oui, ses trois premiers romans ont été achetés par des producteurs (la classe, non ?) Selon Susin, les chances sont minces pour que des films voient le jour, sauf peut-être pour Ambrose, qui a été acheté par Terri Tatchell, scénariste et femme du réalisateur Neill Blomkamp (District 9 ou plus récemment Chappie) et compatriote canadienne ! En tous cas, Susin espère que le désormais célèbre réalisateur passera de la science-fiction au roi du Scrabble ou qu’il fera d’Ambrose un héros de film de science-fiction complètement barré.

De George Clooney

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Il semblait important à Bob d’éclaircir un mystère qui doit tarauder bien des lecteurs : George Clooney a-t-il lu Dear George Clooney ? Eh bien figurez-vous que Susin Nielsen a envoyé son livre aux agents de l’acteur mais que ceux-ci n’ont même pas ouvert le courrier et le lui ont renvoyé avec une lettre lui disant qu’ils ne recevaient pas de colis non sollicités… Puis deux bibliothécaires de Toronto (qui ne se connaissaient pas du tout) sont allées en vacances au Lac de Côme, en Italie, et ont tenté de donner les livres à George Clooney. L’une a sonné à la porte et l’a donné à la personne qui a ouvert et l’autre a chargé son mari de le jeter par-dessus la clôture. Si George Clooney ne l’a pas lu, il doit en avoir au moins entendu parler par ses employés qui ont sans doute vérifié qu’elle ne disait pas de choses méchantes sur l’acteur. Nous ne saurons donc probablement jamais si George Clooney a lu le livre, et ce qu’il en a pensé…

De la traduction

Il était intéressant de parler de la traduction, d’autant plus que Valérie Le Plouhinec était présente à un moment de la rencontre. Susin était en tous cas pleine de compliments sur sa traductrice car il lui semble très difficile de traduire l’humour. Valérie a déclaré que, pour elle, il s’agissait de réécrire le livre en français et que le travail était long et compliqué pour que cela ressemble au texte anglais. Le but étant évidemment de modifier le moins possible. Mais il est vrai que l’humour n’est pas le plus simple à faire, notamment sur les blagues ou les jeux de mots : il faut alors adapter ou modifier pour que cela soit aussi drôle que dans le texte original.

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Un exemple proposé par Valérie : dans On est tous faits de molécules, Ashley fait souvent des erreurs en utilisant des mots ou des expressions. Et elle essaye souvent d’utiliser des expressions issues du français. L’une d’elle étant « joie de vivre ». Mais Ashley dit à la place « jouir de vivre ». Le texte original de Susin, lui, dit « joie de beaver » (pour les non-anglophones, beaver en anglais est un castor, mais est aussi un petit nom pour désigner une certaine partie du corps féminin). Pour ce jeu de mot, l’adaptation était obligatoire pour garder l’erreur et, surtout, la connotation sexuelle qui amène à se moquer un petit peu d’Ashley.

De la fin de cet article

Ouf ! Bravo aux courageux qui ont tout lu jusqu’au bout sans sauter des lignes ! Bob espère que cette rencontre avec Susin Nielsen vous aura plu et qu’elle vous aura donné envie d’aller lire ses livres. 🙂

Bob remercie très très chaudement Rozenn et Gilberte pour cette superbe opportunité de rencontre avec Susin. Et pour leur incroyable douceur et gentillesse. A very special thank you to Susin, it was such an honour and a pleasure to meet you! 😀

3 thoughts on “Une rencontre avec Susin Nielsen

  1. J’ai mis le temps, mais j’ai tout lu aussi. Je n’ai encore jamais rien lu de Susie Nielsen (Bob va avoir une attaque) même si ce n’est pas l’envie qui manque tellement les couvertures sont attrayantes ! Je pense qu’il est temps que je répare cette erreur.
    Merci !

  2. Pingback: Susin Nielsen | coffee and monday morning

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