Grâce aux éditions Lumen, nous avons eu la chance et le plaisir de rencontrer Andrea Cremer lors du Salon du Livre de Paris, venue présenter son nouveau roman : Le secret de l’inventeur.
Peut-être la connaissez-vous déjà ? Andrea Cremer est une auteure américaine, célèbre pour sa trilogie fantastique Nightshade. Elle est également professeur d’histoire et c’est sans doute cet intérêt qui l’a poussée à écrire sa nouvelle trilogie steampunk. C’est en tous cas ce qu’on vous propose de découvrir à travers cette interview ! Et si vous voulez en savoir plus sur Andrea, n’hésitez pas à aller visiter son site internet (pour les anglophones uniquement).
Sinon, restez avec nous pour découvrir tous les secrets qu’Andrea nous a confiés…
Mais avant de commencer, un petit mot sur la rencontre qui a débuté avec une petite présentation de notre site par Cécile Pournin, l’éditrice de Lumen, ce qui nous a permis d’apprendre comment se disait ornithorynque en anglais (platypus, si vous voulez tout savoir). Andrea Cremer est tout à fait charmante, a le rire communicatif et un débit de parole impressionnant ! Heureusement, Bob et Jean-Michel sont des super-héros, ils comprennent bien l’anglais. 😛 Le cadre de l’interview était très calme et agréable et l’accueil qui nous a été réservé vraiment super ! Nous voulions d’ailleurs adresser un merci tout particulier à Cécile et Emily des éditions Lumen. Et maintenant, place à l’interview !
Le secret de l’inventeur
Pour lire le résumé du livre et notre avis, c’est par ici !
Attention : l’interview ci-dessous peut comporter quelques spoilers…
Le secret de l’inventeur est un roman steampunk mais aussi une uchronie. Pourquoi avoir choisi de mélanger les deux genres ?
Ma formation, avant d’être écrivain, c’est professeur d’histoire, et j’étais très intéressée par l’idée d’écrire une nouvelle Histoire qui jouerait avec ce qui s’est réellement passé, mélanger le tout et créer des problèmes que mes personnages auraient à régler. Mais mon genre préféré de littérature, c’est le fantastique, je l’ai toujours adoré. Le steampunk m’a donné l’opportunité d’introduire les deux pour écrire une uchronie tout en ayant des éléments fantastiques dans l’histoire.
On lit le plus souvent des histoires steampunk se déroulant en Europe au XIXe siècle ou même au début du XXe siècle. Pourquoi avoir choisi cette période de la guerre révolutionnaire aux États-Unis ?
Plusieurs raisons. D’abord parce que ma période historique de spécialisation est celle qui concerne le début des Etats-Unis, l’Amérique coloniale, les colonies britanniques et tout ce qui a mené à la révolution américaine. Et ce qui se passe ensuite dans l’histoire américaine est souvent décrit comme le résultat de la révolution, alors je voulais voir ce qui se passerait si j’enlevais ce point crucial, laissant un grand trou dans l’Histoire. Je voulais réfléchir à ce qui aurait pu le remplacer, ce qui serait arrivé à cette idée d’une identité américaine : aurait-elle survécu ? Serait-elle perdue pour toujours ? La deuxième raison est que je voulais écrire du steampunk mais pas de la même manière qui tout ce qui existe actuellement. Je voulais vraiment essayer de repousser les frontières du genre. Alors l’introduire dans une période de l’histoire plus ancienne me semblait une bonne façon de le faire.
Le genre du steampunk a justement de nombreux codes. Est-ce que cela a joué sur votre façon d’écrire ? Avez-vous trouvé l’exercice plus difficile ?
Pour moi, la fiction spéculative s’intéresse à repousser les limites, à bousculer les codes alors il m’a semblé qu’il n’y avait rien qui m’était interdit. La seule règle que je me suis imposée : la technologie que je voulais utiliser devait exister. Par exemple, les locomotives à vapeur ou certains types d’éléments à dépression que l’utilise, je devrais être sûre que quelqu’un à cette époque savait comment ça fonctionnait. Mais sinon, j’étais prête à prendre les choses basiques et en faire ce que je voulais car il s’agit de fantastique. Et une partie de ce qu’est le fantastique, c’est de prendre une idée et la faire croître à des niveaux extrêmes, alors non, je n’ai pas eu l’impression que les « codes » étaient un problème. Peut-être que les gros fans de steampunk qui liront mon livre seront contrariés car j’aurais oublié des codes…mais de la façon dont j’écris du fantastique, ma philosophie est d’aller justement à l’encontre des règles du genre.
Quelles ont été vos inspirations pour ce livre ?
Il y en a plusieurs. La toute première idée que j’ai eu et qui m’a donné envie d’écrire du steampunk est venue d’une visite chez l’optométriste [NDLR : cette profession n’est pas reconnue en France mais c’est un peu comme l’ophtalmo, pour faire un gros raccourci]. J’y suis allée et j’ai pensé : comme nous sommes au XXIe siècle et que je suis chez un docteur, ils doivent avoir les tous derniers équipements, des ordinateurs, des lasers et tout ce genre de choses… Mais à la place, ils ont descendu un gigantesque appareil en métal qui était tout en lentilles, leviers et boutons, ils n’arrêtaient pas d’intervertir des trucs, de les bouger et j’ai eu l’impression que je me trouvais dans une sorte de laboratoire de scientifique fou, je me disais « mais où suis-je en train de faire examiner mes yeux ? ». Je voulais vraiment écrire quelque chose qui avait cette sorte d’esthétique. Alors je me suis décidée à rechercher quelque chose qui y ressemblait et je suis un peu tombée par hasard sur le steampunk. Pas tellement en matière de littérature, mais plutôt sur l’artisanat et ces gens qui recréaient des machines, des bijoux, de l’art ou des instruments spécifiques à cette esthétique steampunk. Et j’ai été aussi beaucoup inspirée par des écrivains qui ne sont pas connus comme des auteurs steampunk car ils écrivaient avant même que le mot steampunk existe car que des auteurs steampunk considèrent comme les fondateurs du genre : Mary Shelley, Jules Verne et H.G. Wells. J’aime beaucoup leur travail et ils ont été une vraie inspiration pour moi.
Justement, en parlant d’art steampunk, que pensez-vous de la couverture française de votre livre ?
J’adore la couverture ! Je trouve qu’elle est parfaite et ça me rend vraiment très heureuse qu’elle le soit. C’est une excellente couverture.
Dans Le secret de l’inventeur, il y a beaucoup de mythologies et pas tellement d’explications. Comptez-vous nous en dire plus dans les prochains tomes ?
Oui, il y en aura un peu. L’une de choses que je fais quand j’écris un roman fantastique et qui me paraît important, c’est de ne pas nourrir d’informations les lecteurs. Alors je ne veux pas qu’il y ait des paragraphes entiers dans le livre où, tout à coup, tout est expliqué. J’imagine que je veux que les lecteurs sentent qu’ils font partie du monde dans lequel ils sont projetés et que la compréhension de la mythologie viendra au fur et à mesure de leurs expériences dans l’histoire. Il y aura ainsi plus d’expériences qui conduiront à savoir ce qu’il en est de la religion et des croyances, pourquoi il y a des dieux grecs. A dire vrai, il y a une véritable origine historique là-dedans : au début du XIXe siècle, le néo-classicisme était très populaire en Angleterre et en Amérique, et dans les arts et dans l’architecture, et il y avait un vrai désir de lire les philosophes de la Rome antique et, en quelque sorte, faire une ligne directe de leurs idées à la nouvelle démocratie américaine. Alors j’ai voulu emmener ça un peu plus loin dans le monde du Secret de l’inventeur et faire en sorte que l’idée de vénérer des dieux soit ravivée, et plus particulièrement Athéna et Héphaïstos car ils représentent la connaissance et l’artisanat qui sont, selon moi, les deux aspects importants d’un monde steampunk. .
Nous avons aussi trouvé que vous vous concentriez plus sur Charlotte et ses amours compliquées et, à la fin, nous avons eu l’impression que l’histoire et notamment le mystère de Grave étaient laissés de côté. Était-ce voulu ?
En fait, c’est intéressant car…ça m’a pris par surprise. Quand j’ai conçu l’histoire, je savais que ce serait du point de vue de Charlotte. Mais je pensais aussi que ce serait surtout à propos de Grave et au fur et à mesure que le monde se développait, j’ai réalisé que le rôle de Grave était important, mais plus comme une sous-intrigue aux véritables enjeux du roman. Il est très important car sa présence donne forme à ce qui se passe dans le monde. Mais ce n’est pas son histoire. C’est beaucoup plus celle des autres personnages. Et ce n’était pas ce que j’avais prévu au début mais c’est apparu au fur et à mesure que j’écrivais l’histoire. Il se trouve que ça m’arrive parfois quand j’écris un livre, il y a des aspects qui vont dans une direction différente de ce à quoi je pensais et, dans ce cas précis, c’était à propos du rôle de Grave.
Le secret de l’inventeur est une trilogie et votre précédent roman en était une également. Comment « décidez-vous » qu’il s’agira d’une trilogie ? Quand vous écrivez, savez-vous déjà qu’il y aura trois livres ? Comment ils se découperont, se termineront ?
Généralement, je connais la « taille » de mes histoires, je sais qu’il faudra que ça se passe en trois actes. Et je sais que la plupart des idées que j’ai vont s’étendre sur plusieurs livres. Je crois que cela vient du fait que les livres que j’adorais lire quand j’étais enfants se déroulaient sur plusieurs tomes. J’ai été modelée par la trilogie du Seigneur des anneaux, Les chroniques de Prydain de Lloyd Alexander, Dark is Rising de Susan Cooper et Les chroniques de Narnia. C’est donc ce vers quoi j’ai tendance à aller. Quand je commence une trilogie, je sais toujours où ça va commencer et où ça va se terminer. Mais je ne suis jamais sûre de comment je vais aller de l’un à l’autre. Il y a beaucoup de choses qui me surprennent dans l’avancée de l’histoire mais il n’y a jamais eu aucune histoire – jusqu’à maintenant – qui devait finir d’une certaine façon et qui aurait terminé de manière complètement différente. Elles commencent et finissent toujours là où je le voulais. Alors je serais surprise si cela arrivait mais, vous savez, il y a toujours des surprises !
Avez-vous déjà écrit le deuxième et troisième tome ?
Je suis en train d’écrire le troisième tome en ce moment mais le deuxième est terminé et sortira aux Etats-Unis en novembre. En France, ce sera début 2016.
Et vous pouvez nous en dire un peu plus sur ce qu’il va se passer dans la suite ?
Oui, je peux vous en parler un petit peu ! Alors, dans le deuxième livre, Charlotte est poussée au rôle de leader. Elle doit prendre en charge bien plus sans son frère, trouver les bonnes décisions et les meilleures actions à faire pour le groupe entier. Et l’action du livre se déplace de New York au fleuve Mississippi, ils arrivent bien plus à l’Ouest, ce qui fait que la majorité de l’histoire se déroule le long du fleuve et à La Nouvelle Orléans. Dans le monde du Secret de l’inventeur, La Nouvelle-Orléans appartient aux français, donc vous allez en découvrir plus sur la culture française, comparée à la culture britannique, et aussi la façon dont la rébellion a formé une alliance avec les français.
Et il y aura aussi un peu de vaudou ?
Il y a du vaudou ! Il n’y en a pas tant que ça mais un peu quand même. Oui, j’adore le vaudou !
Avez-vous d’autres projets ?
Oui, et c’est ce qui prend le plus de mon temps, actuellement. C’est une nouvelle idée qui m’enthousiasme beaucoup et sur laquelle je commence à gribouiller par-ci par-là… J’ai envie d’écrire une série policière se déroulant dans l’Ouest américain. Et je crois qu’une partie de ce qui m’a inspiré pour l’écrire vient du deuxième tome du Secret de l’inventeur : à force de parler tellement du Mississippi, j’ai fini par faire beaucoup de recherche sur les premières installations et migrations vers l’ouest. Je me suis souvenue que c’est un moment unique de l’Histoire américaine et qui a plein de légendes, de mythes… Et il n’y a véritablement aucun livre pour jeunes adultes qui se passe à cette époque, dont ça m’intéresse beaucoup ! Je voulais que ce soit du policier parce que… Vous vous souvenez quand on parlait d’histoire qui me surprenait ? Eh bien je ne planifie jamais les choses mais si je dois écrire un roman policier, il va falloir que je m’y force. Il me semble qu’une intrigue policière doit être écrite à l’envers, afin d’arriver à la solution en partant du début. Ce qui fait que je vais devoir organiser mes pensées d’une manière complètement inhabituelle…ce sera un succès ou un désastre ! Mais j’aime bien penser à ce livre comme un mélange entre Veronica Mars et La petite maison dans la prairie. J’ai vraiment hâte de m’y mettre !
Ce ne sera pas un roman fantastique, alors ?
Si, il y aura des éléments surnaturels, certaines intrigues impliqueront des fantômes ou des monstres mais pour le personnage principal, elle ne fera pas partie d’une société secrète, par exemple, ou n’aura pas de pouvoirs magiques. Elle tombera juste sur le genre de créatures qui habitent les vieilles histoires de l’Ouest. Ainsi, certaines seront simplement des gens ou des meurtriers « normaux » et d’autres seront plutôt comme des wendigo, des créatures cannibales.
L’héroïne sera donc une fille ?
Oui, c’est toujours une fille ! J’ai toujours choisi d’avoir une fille comme personnage principal. Mais j’ai parfois pensé « peut-être que je devrais écrire une histoire avec un garçon »…mais non !
Sa bibliographie
* Nightshade, Vol. 1. Lune de sang – Gallimard jeunesse, 2011 (Roman ado – 9782070633807)
* Nightshade, Vol. 2. L’enfer des loups – Gallimard jeunesse, 2011 (Roman ado – 9782070633821)
* Nightshade, Vol. 3. Le duel des Alphas – Gallimard jeunesse, 2013 (Roman ado – 9782070660476)
Bob et Jean-Michel remercient beaucoup Andrea Cremer pour le temps qu’elle nous a accordé, ainsi que toute l’équipe des éditions Lumen pour nous avoir donné l’opportunité de la rencontrer ! Merci ! 😀