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J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle – Jo Witek

Alors qu’elle rentre du collège pour les vacances scolaires, Efi retrouve avec joie ses amies et sa famille au village, comme n’importe quelle adolescente. Mais ses résultats scolaires exemplaires ou la vie à la ville n’intéressent pas les siens. Car Efi est désormais nubile : elle est bonne à marier. Son rêve de continuer ses études pour devenir ingénieure n’a alors plus aucune importance car son destin est désormais entre les mains de son père…puis de son futur mari.

J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle : sous ce titre qui interpelle se découvre un texte qui ne nous laisse pas indifférents. Jo Witek aborde ici le sujet des mariages forcés, le lot de bien trop nombreuses jeunes filles de par le monde. Bien qu’issue d’une famille relativement pauvre et traditionnaliste, Efi a pu aller au collège, apprendre, s’éduquer, et rêver d’apporter le progrès dans son village où l’électricité n’est pas courante, le Wi-Fi impossible à capter et les médecins bien trop loin pour espérer des consultations. Elle revient donc chez elle avec la fraîcheur et l’insouciance de celle qui pense seulement retrouver son enfance. Mais elle a désormais 14 ans et ne peut plus porter ses vêtements confortables, parler à n’importe qui ou se comporter…comme n’importe quelle adolescente ! Les retrouvailles sont ainsi vite ternies et Efi réalise lentement ce que tout le monde sait sauf elle : elle va devoir se marier. Elle n’est désormais plus qu’une transaction marchande entre sa famille et celle de son futur époux qui est bien plus vieux qu’elle ! En dépit de son consentement et de ses rêves, Efi doit se soumettre et, malgré ses nombreuses tentatives de fuite, épouser l’homme qu’on lui a choisi.

Un roman court mais tout en émotion, dont la force réside dans cette universalité voulue par l’autrice, le lieu où se déroule l’histoire n’étant jamais précisé. Efi est l’incarnation d’une jeune fille moderne et optimiste qui se heurte au poids de l’archaïsme et des traditions séculaires qui brisent des vies. Sans aucun soutien – hormis celui silencieux et inattendu d’un très beau personnage que je vous laisserai découvrir – elle ne va pouvoir compter que sur elle-même et ses propres ressources pour aller à l’encontre de ce terrible destin. Un roman sensible et édifiant qui se fait la voix des millions de jeunes filles qui sont encore aujourd’hui mariées de force et privées de leur liberté. Nécessaire !

J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle, Jo Witek (Actes Sud Junior)
collection Ado
disponible depuis le 3 février 2021
9782330145217 – 13,50€
à partir de 13 ans
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Ueno Park – Antoine Dole

Et voilà ! Les vacances sont terminées…place désormais à la très célèbre rentrée littéraire, dont cette fin de mois d’août est particulièrement riche en nouvelles parutions à ajouter à sa gigantesque pile à lire ! 😀

Hanami est une fête au Japon où l’on célèbre l’éclosion des fleurs de cerisiers. C’est l’occasion pour les japonais, comme pour les touristes qui viennent en masse assister à ce spectacle entre mars et avril, de se retrouver dans les parcs de la ville Tokyo et observer le spectacle de la nature. Et c’est à Ueno Park que huit adolescents assistent à cette célébration…

★★★★☆

Vous ne le saviez peut-être pas – parce que ça ne transparaît pas forcément dans ses autres romans pour ados – mais Antoine Dole est un féru de culture japonaise ! Pour ce roman choral, ou ce recueil de nouvelles, c’est comme vous voulez, il nous emmène ainsi à la rencontre de huit adolescents, aux personnalités et aux trajectoires très différentes, qui sont tous à Ueno Park un jour précis pour assister à l’éclosion des fleurs de cerisiers. Huit portraits de jeunes garçons et de jeunes filles qui tentent de s’extraire d’une société japonaise qui n’acceptent pas leur différence, une société trop normée, trop étriquée pour ces jeunes qui rêvent d’autre chose. En cela, ces jeunes japonais ne sont pas bien différents de leurs congénères adolescents du monde entier, et c’est ce qui donne à ces histoires une résonance toute particulière, un attachement immédiat à ces jeunes « différents » de ce qu’on attend d’eux.

Leurs histoires sont multiples, parfois étonnantes, et ne se rejoignent pas, ou peu : on trouve ainsi une jeune fille hikikomori, incapable de quitter sa chambre, trop oppressée par ce que ses parents et la société attendent d’elle ; un jeune garçon qui tente de se reconstruire après avoir vécu un tsunami ; un autre qui subit les moqueries car il assume son look genderless kei, soit asexué ; et bien d’autres histoires où la volonté de vivre libre et de s’affirmer sont les moteurs de ces solitudes adolescentes. Un recueil d’une rare sensibilité, où la douceur de l’éclosion des fleurs de cerisiers n’a d’égale que la bienveillance de l’auteur à l’égard de ses personnages qui vont connaître espoir, renaissance ou apaisement.

Ueno Park, Antoine Dole (Actes Sud junior)
disponible depuis le 22 août 2018
9782330108274 – 13,50€
à partir de 13 ans
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Le jour où je suis partie – Charlotte Bousquet

Dans le monde parfait de Bob et Jean-Michel où tous naissent et vivent libres et égaux, sous la forme animale de son choix et sans discrimination, les romans de Charlotte Bousquet n’existent pas. Il n’y en a pas besoin. Malheureusement, dans la vraie vie, il y en a vraiment besoin des romans de Charlotte Bousquet…

9782081373853,0-3717549

Tidir vit dans la campagne marocaine avec sa famille. Lorsque son père, qu’elle ne voit jamais, décide de la marier contre son gré, elle décide de fuir et de rejoindre Rabat, où s’organise le 8 mars un rassemblement pour l’émancipation des femmes. Avec le souvenir de sa meilleure amie violée puis mariée de force à son bourreau, elle prend la route, décidée à prendre également son destin en main.

★★★★☆

Avec ce nouveau roman, Charlotte Bousquet continue à s’engager sur la cause des femmes. Après Là où tombent les anges et Sang-de-Lune qui abordaient la condition féminine sous le prisme de l’Histoire et de la dystopie, c’est ici dans nos sociétés actuelles qu’elle ancre le récit de Tidir, jeune fille forte et indépendante révoltée par le sort funeste de sa meilleure amie et par la société dans laquelle elle vit. C’est sa grand-mère Damya qui est son modèle, la seule femme de sa famille à la soutenir et à l’inciter à se battre pour vivre sa vie. Entre les traditions archaïques, ineptes, la peur de la « honte », et l’attrait de la liberté, Tidir choisit très vite quel sens elle veut donner à sa vie, même si ce chemin doit être semé d’embûches. Et il le sera, assurément. Car lorsqu’elle rencontre un jeune français à Marrakech qu’elle sauve in extremis d’une bande de racketteurs, partager sa compagnie est extrêmement mal vu…

Par l’évocation du voyage de Tidir vers sa liberté, Charlotte Bousquet dresse le portrait d’une société marocaine entre des traditions anciennes, rigides, et une modernité qui se veut dénuée de tous préjugés quand ce n’est pas le cas… Une société qui peut nous paraître lointaine mais qui ne l’est assurément pas au vu des combats menés partout dans le monde pour les droits des femmes. Et les réflexions qu’entend Tidir tout au long du roman, de la part des hommes comme des femmes, des campagnards comme des citadins, ne sont pas si éloignées de celles que l’on entend en France à l’égard des jeunes filles ou des femmes… C’est aussi avec beaucoup de justesse et un véritable cheminement dans la pensée de Tidir que Charlotte Bousquet évoque le viol et le destin terrible de son amie Illi. Les questions qu’elle se pose résonneront en chacune, tout comme la réflexion qui évolue au fil de la lecture et des expériences vécues par Tidir. Emaillé de références à des personnalités ou des événements importants pour l’émancipation de la femme au Maroc, et notamment à des auteures ou des journalistes, le roman propose l’éducation et l’écriture comme solution à l’oppression patriarcale. Et c’est peut-être de cette manière que Tidir trouvera sa liberté à elle…

Le jour où je suis partie est donc un très beau récit initiatique, magnifié par l’écriture toujours aussi soignée de Charlotte Bousquet et par la description des paysages de la campagne marocaine qui prennent vie sous nos yeux. Émouvante et sensible, une histoire universelle qui ne devient que trop nécessaire pour inviter les jeunes filles et garçons à réfléchir à leur avenir…

Le jour où je suis partie, Charlotte Bousquet (Flammarion jeunesse)
collection Tribal
disponible depuis le 4 janvier 2017
9782081373853 – 13€
à partir de 13 ans
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Talitha running horse – Antje Babendererde

9782747040136,0-2688152

Talitha, jeune lakota métisse, vit seule avec son père dans une caravane au cœur d’une réserve indienne. Malgré sa pauvreté et l’absence de sa mère, elle se sent plutôt heureuse. Son bonheur s’élargit lorsqu’elle rencontre la famille Thunderhawk, qui possède un élevage de chevaux Apaloosas. Elle se prend notamment d’affection pour un poulain, qu’elle baptise Stormy, et tombe amoureuse de Neil, le fils de la famille. Mais lorsque la caravane de son père est détruite, la vie de Talitha bascule…

★★★☆☆

Si vous ne connaissez pas les romans d’Antje Babendererde, vous manquez de beaux romans sur les cultures amérindiennes. L’auteure est en effet passionnée par les peuples natifs d’Amérique du Nord, principalement des États-Unis, et tous ses romans s’attachent à faire découvrir ces différentes tribus. Ici, nous suivons donc Talitha, une métisse qui n’a pas la vie facile, notamment à cause des problèmes de racisme qu’elle rencontre (sa mère est blanche, son père lakota) mais aussi de sa situation : son père est au chômage et ne vit que de petits boulots et « services ». Sa famille la plus proche, sa tante et son cousin Marlin, se sont détournés des traditions indiennes et se moquent ouvertement de Talitha et de son père, leur rendant la vie dure. Heureusement, Talitha peut compter sur sa meilleure amie et sur sa nouvelles amitié avec les chevaux et la famille Thunderhawk. Bien sûr, tout ne se passera pas comme sur des roulettes et, entre les moments de la vie de tous les jours de Talitha, rythmée par le collège et les fêtes traditionnelles lakotas, et les tensions familiales ou locales, le roman nous emporte dans différentes directions.

Talitha running horse est un beau portrait de jeune fille optimiste, rêveuse et courageuse. J’ai beaucoup aimé cette découverte de la culture lakota, entre les traditions et les histoires qui restent importantes pour chacun et leur conciliation avec la vie actuelle. Roman social assurément, Antje Babendererde n’est cependant pas dans la dénonciation des conditions de vie dans les réserves indiennes – le lecteur se fait cette constatation tout seul – mais plutôt de nous emmener à la rencontre de peuples qui nous sont peu ou pas connus. Tout cela avec les ingrédients d’une bonne histoire : de l’amour, des péripéties, de la tension dramatique, de l’espoir, des déceptions, etc. Un roman bien écrit qui se lit avec beaucoup de plaisir. 🙂

Talitha running horse, Antje Babendererde, traduit par Vincent Haubtmann (Bayard Jeunesse)
disponible depuis le 22 octobre 2015
9782747040136 – 15,90€
à partir de 13 ans

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La tête ne sert pas qu’à retenir les cheveux – Sabine Panet et Pauline Penot

9782364747265

Après Le cœur n’est pas un genou que l’on peut plier, Sabine Panet et Pauline Penot nous proposent une nouvelle évocation de la famille Bocoum.

Awa Bocoum a 16 ans et apprivoise son corps de femme avec difficulté. Lorsqu’elle rencontre une gynécologue, elle apprend qu’elle a été excisée. Elle n’a jamais entendu ce mot et face à cette pratique d’un autre temps, c’est la colère qui la gagne. Puis la volonté de protéger ses petites sœurs.

★★★★☆

Je n’avais pas lu le précédent roman sur la famille Bocum et, s’il y a sans doute des choses qui m’ont échappé, cela ne m’a pas gênée dans cette lecture. Les personnages sont en effet réintroduits succinctement mais suffisamment clairement pour que l’on s’y retrouve tout de suite. 😉
Après un mariage forcé qui a finalement capoté, Awa se découvre une douleur à l’entrejambe. Une consultation au Planning familial va lui apprendre ce qui lui donne tant de souffrance : on lui a coupé une partie de son sexe. C’est une révélation pour elle, tant dans la découverte de son propre corps, presque taboue jusqu’alors, mais aussi sur les pratiques ancestrales qui touchent les filles africaines. Son dégoût et sa révolte sont immédiats, la colère contre sa mère, contre sa famille qui lui a caché ce qu’ils lui ont fait. Mais, surtout, c’est la peur que cela arrive à sa plus jeune sœur, Amayel, qui vient d’avoir un an.
Très bien écrit, le roman évoque avec justesse et précision les mutilations génitales féminines. Il est intéressant d’avoir les deux points de vue : celui des médecins et celui des femmes africaines pour qui il est important d’être excisée afin de s’intégrer correctement à la société. On comprend ainsi le poids des traditions et comme il semble difficile de s’en défaire. J’ai trouvé le sujet très bien traité, tout comme les sentiments d’Awa sur le sujet, combien il lui est difficile d’en parler avec les femmes de sa famille, tous les mauvais souvenirs que cela ravive.
Le roman ne s’attache pas qu’à l’excision, même si c’est le cœur du livre. Beaucoup d’autres sujets sont évoqués, notamment le racisme ou les préjugés, les clichés. Sur ceux-là, c’est la petite sœur d’Awa, Ernestine, qui est concernée. Une jeune fille pétillante et dynamique qui rêve de cinéma. Les passages qui la concernent sont souvent très drôles, pleins de situations délirantes qui font un peu retomber la pression du roman et qui nous permettent de rire entre des événements un peu plus durs. A ce niveau-là, le rythme est très bien dosé, et malgré le sujet grave dont il est question, on garde du roman une impression tout de même positive et énergisante.
La famille Bocoum est sans aucun doute une famille à laquelle on s’attache et qu’on aimerait retrouver régulièrement. Une famille forte et étonnante, entre tradition et modernité, entre pleurs et rires.

La tête ne sert pas qu’à retenir les cheveux, Sabine Panet et Pauline Penot (Thierry Magnier)
collection Grand format
disponible le 26 août 2015
9782364747265 – 14€
à partir de 13 ans

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Les jumeaux de l’île rouge – Brigitte Peskine

Cléa et Brice sont des jumeaux nés à Madagascar et adoptés par un couple de français. Seize ans plus tard, le garçon semble parfaitement bien dans sa peau alors que sa sœur ne sait plus où elle en est et inquiète ses parents. Ces derniers décident alors d’envoyer les jumeaux dans leur pays de naissance afin, peut-être, d’aider la jeune fille à surmonter son mal-être.

★★★☆☆

Roman épistolaire et récit initiatique, inspiré d’une histoire vraie, Brigitte Peskine nous fait découvrir la triste coutume des jumeaux de Mananjary, une communauté dans laquelle le fait d’accoucher de jumeaux est considéré comme maudit, tabou. Véritable hymne à la tolérance, l’histoire de Brice et Cléa nous fait surtout découvrir une facette totalement méconnue d’un pays, ses coutumes et traditions. J’ai beaucoup aimé ce récit qui mêle entrées de journal et mails, qui nous permettent d’entrer dans la tête de chacun des protagonistes. La façon, d’ailleurs, dont Cléa, le personnage principal de ce roman, s’adresse à nous et à l’auteur, renforce ce sentiment d’histoire vraie. Le sujet est vraiment très intéressant, et démontre à quel point il peut être difficile de faire changer les mentalités. La seule chose que je regrette est peut-être la suite de « secrets » qui se révèlent au fur et à mesure de l’histoire, ça apporte du suspens et de la surprise mais je trouve que c’est parfois un peu « gros ». Il n’empêche que c’est une histoire à découvrir !

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Les jumeaux de l’île rouge, Brigitte Peskine (Bayard Jeunesse)
Collection Millézime
en librairie le 4 septembre
9782747049894 – 11,50 €
à partir de 12 ans