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All Our Hidden Gifts – Caroline O’Donoghue

Maeve Chambers est une lycéenne médiocre de son école privée irlandaise. Lors d’une punition où elle doit nettoyer un cagibi encombré de vieilleries, elle découvre un jeu de tarot divinatoire et se révèle plutôt douée pour tirer les cartes. Maeve devient alors une véritable attraction pour ses camarades, jusqu’à ce que son ancienne meilleure amie Lily lui demande une lecture. Lorsque Lily tire une carte inconnue, la rencontre tourne à la dispute et, le lendemain, Lily a disparu… Avec l’aide de Fiona, fascinée par la perspicacité de Maeve et de Roe, le frère de Lily, Maeve va tout faire pour la retrouver.

Quel délice que ce roman qui oscille entre réel et fantastique, étirant délicatement la fine ligne qui les sépare. Il y a un côté The Craft assez évident (pour celleux qui avaient adoré le film) qui nous emmène à la découverte de la sorcellerie moderne et d’un groupe de jeunes gens en questionnement sur leur identité. Maeve, le personnage principal, est particulièrement attachante dans son rôle de petite dernière de la famille, se trouvant moins bien que ses frères et sœurs qui ont réussi alors qu’elle a du mal dans ses études, ou même à avoir une passion. Jusqu’à ces cartes de tarot qui montrent son acuité à comprendre les autres et à toucher juste quand elle leur lit les cartes. Un “don” qui pourrait bien se révéler plus dangereux que prévu…

Mais l’originalité de ce récit tient aussi du lieu de l’intrigue, l’Irlande contemporaine, où le poids de la religion catholique reste bien présent (il y est question du combat des irlandais.es pour le mariage pour tous, le droit à l’avortement, etc.), mais où le folklore a aussi toute sa place. Caroline O’Donaghue réussit ainsi parfaitement à mêler tous ces sujets de société à son intrigue relevant presque du thriller ésotérique.
On est donc complètement pris par ce récit passionnant au doux parfum de chronique adolescente matinée de magie wiccane. Une belle surprise.
A noter qu’il s’agirait d’un tome 1 mais que l’histoire se suffit à elle-même !

All Our Hidden Gifts, Caroline O’Donoghue, traduit par Christophe Rosson (La Martinière Jeunesse)
disponible depuis le 11 juin 2021
9782732492667 – 18,50€
à partir de 13 ans
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L’année où je suis devenue ado – Nora Dåsnes

Emma est heureuse de rentrer en 5ème, cette année elle rêve de devenir stylée, construire une cabane avec ses deux meilleures amies Bao et Linnéa, aller à une pyjama-partie et tomber amoureuse ! Sauf que la rentrée ne se passe pas comme elle l’imaginait. Linnéa a changé, elle a un copain, ce qui est intolérable pour Bao qui veut continuer à construire des cabanes dans la forêt de l’école… Coincée entre les deux, Emma ne sait pas comment se positionner : comment on sait qu’on est une ado ? C’est quoi être mature ? Comment savoir si l’on est amoureuse ?

L’année où je suis devenue ado est une pure merveille ! L’histoire est pudique, authentique et vient explorer les bouleversements des premiers émois avec beaucoup de tact. Emma va tomber amoureuse de Mariam, une nouvelle élève, qui vient d’arriver dans sa classe, cet amour est amené d’une manière douce, naturelle et réservée, propre à cet âge sensible et n’est pas sujet à controverse. Ce livre traite surtout du passage délicat où nos jeux nous paraissent trop enfantins, où on se demande si la vie n’est pas partagée entre les filles qui se maquillent et les autres, celles qui sont en couple et les autres, les gamines et les ados… Emma va être tiraillée entre ses deux amies qui représentent cette transition si particulière de l’enfance à l’adolescence.

Il s’agit du premier livre de la graphiste norvégienne Nora Dåsnes qui explique qu’elle aurait aimé lire une telle histoire à 12 ans car elle considère qu’il est essentiel de pouvoir s’identifier à des personnages qui leur ressemblent. Pari réussi ! Les lectrices s’identifieront facilement à Emma, car elle est une narratrice attachante et pleine d’esprit. Cette autrice-illustratrice nous offre un objet livre magnifique, plus proche du roman graphique que de la bande dessinée, d’autant plus que le livre est le journal intime d’Emma. Nous y retrouvons des messages dessinées, des playlists musicales de son père (qui a très bon goût), des dessins en pleines pages, des bulles… Ces changements apportent un rythme rapide, qui ne donne qu’envie de découvrir la suite de l’histoire ! Et que dire des illustrations ? Elles sont sensibles, douces et nous montrent des moments de la vie quotidienne avec justesse, ni trop, ni pas assez.

Une BD coup de cœur qui raconte avec une extrême justesse les premiers émois amicaux et amoureux de cet âge charnière, entre l’enfance et l’adolescence. Je vous invite à découvrir cette bande dessinée qui est un véritable bonheur de lecture, à mettre entre toutes les mains !

L’année où je suis devenue ado, Nora Dåsnes (Casterman)
disponible le 5 mai 2021
9782203223615 – 15,95€
à partir de 10 ans
Son
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Lucienne Eden ou l’île perdue – Stéphane Jaubertie

Sur une île déserte vit Lucienne Eden, une jeune fille qui rêve de rejoindre sa mère, star à Las Vegas, et qui, en attendant, partage sa solitude avec un vieil homme un peu doux-dingue. Mais voilà qu’un jour s’échoue sur sa plage une masse de déchets en tout genre…et de laquelle émerge un adolescent complètement perdu, à la recherche de son père.

Lucienne Eden, c’est l’histoire d’une rencontre qui commence plutôt mal. D’un côté, une gamine solitaire qui ne mâche pas ses mots et de l’autre, un garçon échoué qui semble un peu choqué par ce qu’il vient de vivre, nous offrant une première scène vivifiante et drôle à souhait faite d’incompréhension, de colère et d’entêtement. Bien sûr, nos deux jeunes gens vont peu à peu s’apprivoiser alors que Lucienne fait découvrir à « Machin », qui s’appelle en réalité Gaspard (l’occasion d’un comique de répétition durant toute la pièce ultra bien dosé et toujours à propos), son île aussi fantasque et étonnante qu’elle, qui se trouve de plus en plus menacée. Entre les leçons avec Andris, vieillard lunaire mais enthousiaste, les balades sur l’île où poussent des forêts de brocolis géants et où l’on doit faire attention aux pandas mangeurs de grizzlis, et l’apprentissage de l’autre, la pièce se déroule sous nos yeux dans un joyeux enchaînement de scènes aussi drôles que sensibles !

S’il est question d’écologie, de questionnements sur l’avenir de la planète, la pièce de Stéphanie Jaubertie est aussi une réjouissante et piquante comédie qui explore les bouleversements de l’adolescence, et notamment le désir. Les personnages sont diablement attachants et gentiment dingos, le style est enlevé et impertinent et on ne cesse de glousser à mesure que se déroulent les péripéties tantôt extraordinaires, tantôt sensibles, de Lucienne et Gaspard. Un véritable petit bonheur de lecture ! ❤️

Lucienne Eden ou l’île perdue, Stéphane Jaubertie (Théâtrales)
collection Théâtrales jeunesse
disponible depuis le 18 février 2021
9782842608507 – 8€
à partir de 12 ans
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Dear Evan Hansen – collectif

Il y a bien une chose qui rassemble les êtres humains, c’est le désir de connexion, de sociabilité. Evan Hansen souffre d’anxiété sociale, il est transparent au lycée, il ne parle à personne à part à sa mère et son psy. Mais un jour tout change avec une lettre qui n’aurait jamais dû être lue, un mensonge qui n’aurait jamais dû être prononcé… Et soudain, il se retrouve au centre de l’attention. Pour la première fois, il se sent apprécié. Et si un mensonge vous permettait enfin d’exister ? Que feriez-vous ?

Sur les conseils de son psy, Evan s’écrit des lettres à lui-même. L’objectif ? Essayer de voir le beau dans la vie, évacuer son anxiété et mettre des mots sur son mal-être. Exercice très difficile pour Evan qui a toujours du mal à s’intégrer et passe son temps à s’excuser de tout, incapable même de se commander à manger car il ne veut pas parler aux livreurs. Un jour, une de ses lettres est dérobée par Connor, un camarade de classe qui est retrouvé mort quelques heures après : un suicide. Lorsque les parents de Connor vont trouver la lettre, ils pensent qu’Evan et Connor étaient amis. Evan, dans la confusion, ne nie pas et piégé par son mensonge, il provoque ainsi toute une suite de situations rocambolesques.

Après 13 reasons why dont on connait le succès, voici un texte très juste et très intéressant sur le suicide et notre besoin vital de trouver sa place. L’histoire est à la fois moderne, incroyablement touchante et drôle en même temps. Evan est un personnage exclu dont ce mensonge va lui apporter ce qu’il n’avait jamais eu auparavant : une vie sociale, des personnes qui font attention à lui. Notamment la famille du défunt Connor qui va devenir presque une seconde famille pour lui. Malgré les sujets difficiles du suicide et de l’exclusion, l’humour n’est jamais très loin. La maladresse d’Evan n’a pas de limite et les personnages qui l’entourent ne lui facilitent clairement pas la vie, notamment Jared, un garçon à la répartie cinglante, qui l’aidera à créer des preuves pour prouver son amitié avec Connor.

Ce roman, qui se lit d’un trait tant les scènes sont efficaces, plaira aux lecteurs adolescents tant les thématiques sont proches de leurs interrogations : l’amitié, la vie aux lycées, l’amour, la mort, les réseaux sociaux, la famille recomposée ou dysfonctionnelle. Ainsi, Evan n’a pas le monopole des mensonges. Au lycée, les étudiants font aussi preuve d’arrivisme et d’hypocrisie… Certaines vont vendre des objets commémoratifs, ouvrir des blogs à propos de Connor, qu’ils ne connaissaient point. Mais comme le dit notre héros, quand une personne meurt «  (…) une fois qu’elle est partie, on oublie ses mauvais côtés. On la pare de toutes ses qualités et on en conserve une version idéalisée. »

Peut-être le savez-vous ? Ce roman est tiré de la comédie musicale éponyme qui n’est pas très connue en France mais a un beau succès dans les pays anglophones. Dear Evan Hansen a remporté 6 Tony Awards dont celui de la meilleure comédie musicale. Juste pour le plaisir, je vous insère une chanson, surtout que les rumeurs courent qu’un film serait en préparation. Je pense que nous n’avons pas fini d’entendre parler de ce cher Evan Hansen.

Dear Evan Hansen, Val Emmich, Steven Levenson, Benj Pasek et Justin Paul (Bayard)
disponible depuis le 3 mars 2021
9782080233943 – 16,90 €
à partir de 14 ans
Son
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Si tu vois le Wendigo – Christophe Lambert

Dans l’Amérique des années 1950, en plein été, David et son ami Bobby Lee s’ennuient et s’amusent dans leur quartier parfait où rien ne se passe jamais. Mais un soir, alors qu’ils s’apprêtent à rentrer, ils voient une femme hagarde, complètement nue, la bouche en sang, se diriger vers eux… Il s’agit de leur voisine, Ruth Bannerman, qui fait une crise de somnambulisme selon son mari. Si Bobby Lee oublie vite l’incident, David, lui, n’y parvient pas et, bientôt, l’étrangeté s’invite dans sa vie…

Si l’histoire se déroule dans les années 50, elle nous est en réalité racontée par un David beaucoup plus vieux, une soixantaine d’années plus tard. Déjà gamin, il aimait écrire des histoires, des petites nouvelles fantastiques et, désormais, le voilà un écrivain célèbre qui revient sur un souvenir inoubliable de son passé. L’hommage à Stephen King est bel et bien là et ne vous quittera pas tout le long du roman, où l’on sent l’influence du romancier américain. Ainsi, après cette rencontre un peu effrayante avec Ruth qui ouvre le roman, nous allons suivre David dans son questionnement sur ce qui a pu arriver à sa voisine et, par la même occasion, l’adolescent va se découvrir des sentiments pour une femme bien plus âgée que lui. S’il est compliqué de vous dire s’il s’agit d’un roman fantastique ou d’une histoire d’amour impossible, Si tu vois le Wendigo est en tous cas un roman à l’atmosphère particulière, qui ne nous laisse pas indifférent. Dans cette Amérique fantasmée des années 1950, où l’accès au rêve américain semble être à portée de mains, David va découvrir peu à peu que tout n’est pas aussi beau et aseptisé que ce lotissement tout neuf dans lequel il vit et où tout le monde se connaît. Le vernis se craquèle, tout comme l’insouciance de notre héros, et le Wendigo, cette étrange créature dont il fait bientôt la connaissance, apporte une dimension décalée et étrange qui interrogera David autant que le lecteur.

Christophe Lambert nous offre ici un roman à l’atmosphère fascinante et nous emmène dans des territoires littéraires complètement différents au fur et à mesure que l’on tourne les pages : chronique douce-amère d’une adolescence à une époque révolue (et parfaitement documentée, les petits détails sont un régal !), récit fantastique qui apporte une touche d’angoisse, thriller intense à la résolution mortelle. Envoûtant !

Si tu vois le Wendigo, Christophe Lambert (Syros)
disponible depuis le 11 février 2021
9782748527254 – 16,95€
à partir de 13 ans
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Moi aussi je sais voler – Amy Reed

Dans le comté de Fog Harbor, on n’a pas beaucoup de choix de la vie. Ou on travaille au Big Mart, ou à la prison. Billy et Lydia sont deux adolescents qui font leur entrée en terminale après la fusion des lycées de leurs deux villes rivales. Complètement en marge de leurs congénères, ils vont se trouver et, alors que tout semble se déliter autour d’eux, apprendre à se connaître et à se pousser, l’un l’autre, hors de leurs habitudes et de leur petite vie sans histoire… ou presque !

Voilà une expérience de lecture bien singulière ! Dès les premières pages, Amy Reed nous transporte dans une Amérique alternative mais clairement inspirée de la gouvernance de Trump, où c’est un roi imbu de lui-même et inconscient qui est à la tête du pays. Alors que l’on découvre le lieu de vie de Billy et de Lydia : deux villes qui s’affrontent depuis toujours – l’une revendiquant sa rock star mondiale (et accessoirement oncle de Billy) l’autre sa série de romans de fantasy à succès (faite de dragons et de licornes) – et qui semblent tomber en décrépitude, d’étranges phénomènes vont peu à peu perturber nos personnages tout comme nos propres sensations. Et c’est sans doute la force de ce roman qui nous ballote entre l’étrangeté et le réalisme social, qui brouille la frontière entre le fantastique et le réel pour nous offrir une lecture vraiment originale et marquante.

Critique sans équivoque de l’Amérique de Trump, Moi aussi je sais voler et aussi, et surtout, le magnifique portrait de deux jeunes gens en perte de repères, qui se sentent différents et pour qui l’avenir n’existe pas en dehors de leur environnement immédiat. Malgré l’optimisme et la naïveté de Billy, auquel on s’attache dès les premiers pages, la vie ne lui fait aucun cadeau et son horizon est aussi bouché que celui de Lydia, jeune fille cynique qui garde tout en elle. Leur rencontre et leur amitié naissante va tout chambouler autour d’eux et, bien sûr, les amener à s’ouvrir et à prendre leurs propres décisions.

Une lecture très étonnante, qui rappelle certains romans de Patrick Ness dans cette étrangeté et la symbolique du propos. C’est à la fois drôle et désespérant, passionnant et oppressant mais surtout, une très belle histoire d’amitié, d’émancipation et d’acceptation de soi. A découvrir !

Moi aussi je sais voler, Amy Reed, traduit par Valérie Le Plouhinec (Albin Michel Jeunesse)
disponible depuis le 6 janvier 2021
9782226443809 – 19,90€
à partir de 14 ans
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Nuit étoilée – Jimmy Liao

Une jeune fille se sent seule, chez elle où ses parents n’ont aucune minute à lui consacrer, et à l’école où elle se fait harceler par d’autres filles. Jusqu’au jour où un nouvel élève arrive dans sa classe. Leurs solitudes respectives vont les rapprocher et tous les deux vont décider un jour de fuguer dans la forêt où ils espèrent trouver la liberté…

Quel album singulier que cette Nuit étoilée ! Dans cette histoire magnifique, Jimmy Liao évoque la solitude de la fin de l’enfance, du passage à l’adolescence, le fossé qui se creuse entre des parents et un enfant, la difficulté de grandir quand il n’y a personne pour vous regarder faire, ou quand au contraire tout le monde se ligue contre vous. La rencontre entre cette jeune fille, héroïne de l’histoire, et ce garçon qui se ressemblent sur de nombreux points et notamment leur rapport à la solitude, sera le point de départ de la possibilité d’un espoir, d’une vie en pleine nature, la tête levée vers les étoiles. Pourtant, il faudra bien revenir et qui sait ce qui se passera au retour ?

Jimmy Liao dresse un portrait sensible, familier et enfantin de cette adolescence complexe dans une narration surprenante et éclatée, comme peuvent l’être les réflexions des enfants et des adolescents. Mais ce qui nous fascine surtout dans cet album, ce sont ses images. Des peintures d’une exceptionnelle beauté, sur lesquelles on s’attarde pour en saisir tous les détails, toutes les nuances et les nombreuses références à la peinture et à l’art qui y sont faites (notamment à Magritte et à Van Gogh, qui donne son titre à l’album). Des images fascinantes, qui nous émerveillent et nous touchent par leur sincérité, leur intemporalité, et leur puissance d’évocation. Vous ne serez assurément pas bouleversés par les mêmes peintures que Bob et inversement et c’est ce qui fait toute la richesse de cet album étonnant, émouvant et surtout plein d’espoir. ❤

Nuit étoilée, Jimmy Liao, traduit par Chun-Liang Yeh (HongFei)
disponible depuis le 20 août 2020
9782355581731 – 19,90€
à partir de 8 ans
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Anne de Green Gables – Lucy Maud Montgomery

Marilla et Mattew, un couple de frère et soeur âgés, souhaitent adopter un garçon pour les aider à la ferme mais par erreur, on leur confie une fille. Mais pas n’importe quelle fille : Anne. Cette orpheline de 11 ans, aux cheveux roux (pour son plus grand désarroi), à l’esprit vif, à l’imagination sans borne et amatrice des grands mots, n’est pas ce qu’ils attendaient. Anne est très. Très impulsive. Très bavarde. Très théâtrale. Très maladroite. Très fantasque. Et surtout très attachante. Elle va bousculer le calme et la monotonie à Green Gables.

Anne de Green Gables est une nouvelle traduction d’un classique (Canada), vendu à 60 millions d’exemplaires et traduit en plus de trente-six langues. L’édition de ce roman et la vie de son autrice sont déjà une histoire romanesque à eux seuls. Une mère emportée très tôt par la tuberculose et un père qui part fonder une nouvelle famille abandonnant la petite Lucy Maud à passer son enfance avec des grands-parents peu aimants à Cavendish, sur l’Île-du-Prince-Édouard. Lucy Maud Montgomery fait partie de ces autrices qui ont toujours écrit et qui ont persévéré avant de trouver leurs lecteurs. Alors que ce roman a été rejeté par tous les éditeurs auxquels elle l’avait soumis, un jour de 1908, la chance lui sourit et Lucy rencontre le succès immédiatement. Les plus grands auteurs ont salué son œuvre : « Ce qui fait le génie de ce livre, ce n’est pas son réalisme, Anne est le triomphe de l’espoir », a dit Margaret Atwood ou encore Mark Twaïn qui a déclaré que l’héroïne était « l’enfant la plus attachante, émouvante et délicieuse depuis l’immortelle Alice. » Plus récemment, vous aurez peut-être découvert l’adaptation Anne with a E sur Netflix.

Lisette a une confession à faire, elle ne connaissait pas du tout ce texte et fut très heureuse de faire la connaissance d’Anne. Au tout début du roman, Anne est trop. Elle est trop enthousiaste ou trop désespérée. Ses longues tirades sur la nature ont été des passages parfois difficiles à passer mais heureusement cette intensité romanesque est atténuée par le personnage de Marilla, sa mère adoptive. Marilla est très terre à terre et essaye toujours d’expliquer à Anne qu’elle doit se taire et ne pas vivre la vie aussi intensément ! Ce décalage très moderne entre la romanesque et la fermière apporte beaucoup d’originalité dans ce roman. L’héroïne n’est pas sans me rappeler la malheureuse Sophie de la Comtesse de Ségur, toutes deux sont maladroites et tellement captivantes. Tous les personnages secondaires vont permettre à Anne d’évoluer, de ne plus craindre le manque d’affection et de continuer à voir la vie à sa façon.

« Je suppose que vous êtes Monsieur Matthew Cuthbert de Green Gables, dit-elle d’une voix particulièrement douce et claire. Je suis très heureuse de vous voir. Je commençais à craindre que vous ne veniez pas me chercher et j’imaginais tout ce qui aurait pu vous retenir. J’avais décidé, si vous ne veniez pas ce soir, de longer la voie jusqu’à ce grand merisier là-bas, dans le virage, et de grimper dedans pour y passer la nuit. Je n’aurais pas eu peur du tout, et ça aurait sans doute été charmant de dormir dans cet arbre aux fleurs blanches au clair de lune, vous ne pensez pas ? Ça aurait été comme vivre dans un temple de marbre, non ? »

Le lecteur suivra Anne de son arrivée à Green Gables (l’extrait au-dessus sont ses premiers mots) jusqu’à ses études supérieures. L’évolution de ce personnage est très belle et l’ambitieuse Anne finit toujours par rire de ses erreurs et s’en sort plus forte ! Nous la suivons dans ses apprentissages, sa découverte de l’amitié, de la religion, ses questionnements haut en couleurs et sa détermination à être la première de la classe.

Saluons la fabrication de M.T.L, l’objet est si esthétique que l’on a envie de le chérir et de l’avoir dans sa bibliothèque juste pour faire des belles photos sur Instagram. Anne de Green Gables a le charme des romans classiques, une écriture parfois un peu surannée (il faut aimer les descriptions de nature) et des personnages qui vous accompagneront toute une vie. Grâce à cette belle réédition, Anne demeure immortelle et d’une modernité surprenante ! Merci à Monsieur Toussaint Louverture pour cette incroyable édition et bravo à la traductrice Hélène Charrier. Pour ceux qui tomberont sous le charme d’Anne, un second tome est prévu en février 2021.

Anne de Green Gables, Lucy Maud Montgomery, traduit par Hélène Charrier (Monsieur Toussaint Louverture)
disponible le 8 octobre 2020
9782381960081 – 16,50€
à partir de 12 ans
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Âge tendre – Clémentine Beauvais

Comme tous les élèves de France, Valentin doit effectuer son service civique obligatoire avant son passage en seconde. Malheureusement, ses vœux ne sont pas respectés et il se retrouve dans un centre pour personnes âgées atteintes de démence qui reconstitue les époques d’enfance de ses pensionnaires, et le tout au cœur du Pas-de-Calais ! Voilà Valentin plongé dans les années 60-70, période dont il ne connaît absolument rien, et qui, dès les premiers jours de son « serci » se retrouve avec une mission prétendument simple…qu’il va faire complètement capoter ! Niveau d’angoisse : 9/10 !

🎶 Bob chante du Françoise Hardy

Quel plaisir de retrouver Clémentine Beauvais dans ce roman résolument pop, drôle et original ! Une originalité qui passe tout d’abord par la forme, peut-être un peu rigide et difficile d’entrée au premier abord : un rapport de stage ! Car dans cette France dirigée par une présidente (la même que celle des Petites reines ?) où tous les élèves de 3e doivent faire soit un service civique, soit l’armée, ils doivent aussi rédiger un rapport de « serci » qui comptera dans leur note de bac et montrera à quel point le dispositif les a préparé à tout plein de choses utiles pour leur avenir. Ainsi, entre les premières consignes, les conseils de rédaction et les présentations un peu guindées de Valentin, l’attachement semble compliqué. Mais très vite, on découvre que Valentin a bien dépassé son quota de pages allouées et son journal de « serci » va très vite prendre toute la place, attisant par la même occasion notre affection pour ce garçon un peu coincé, un peu bizarre, un peu angoissé, complètement à l’ouest mais surtout très drôle malgré lui ! Et nous voilà embarqués dans cette histoire où la jeunesse insouciante découvre ce qu’est la vieillesse et notamment la perte de mémoire. Vous le pensez bien, Valentin va évoluer au fil de son travail à l’unité Mnémosyne, ces établissements fictifs controversés dans lesquels sont reconstituées les époques de jeunesse des patients. Et on le constatera grâce aux « notes rétrospectives » glissées au fur et à mesure du rapport, dans lesquelles Valentin revient sur ses commentaires initiaux.

Une comédie d’apprentissage tendre et subtile, émaillée de références aux sixties, pleine d’humour et de gloussements, qui offre aussi de très beaux moments d’émotion, de réflexions sur la mémoire et le deuil. Clémentine Beauvais parvient à nous surprendre à chaque nouveau roman et, cette fois encore, on en ressort enchanté !

📚 Lisette a envie de faire un stage dans le 59

Âge Tendre est un récit sensible et loufoque qui bouleverse et agrandit un peu le coeur. La forme de ce texte sous forme de vrai-faux rapport de stage / journal intime a conquis le coeur d’étudiante de Lisette. Le lecteur découvrira Valentin qui se dévoile au contact des pensionnaires de l’unité Mnémosyne, son évolution se retrouve même dans l’écriture, une prouesse stylistique ! Clémentine Beauvais réussit avec brio à nous embarquer dans les années 60 dans cet établissement hors du commun où tout est minutieusement reconstitué pour ressembler à un village de cette époque. On y contrôle tout : la pluie, les couleurs des murs et aussi la musique qui passe ! (La reconstitution de ce lieu est remarquable et n’est pas sans rappeler le merveilleux film de La Belle époque réalisé par Nicolas Bedos). Valentin, si sensible, va trouver dans ce lieu un certain réconfort mais attention à ne pas oublier la vrai vie ! Clémentine Beauvais évoque joliment cet âge tendre où l’on se rend compte que la vie est plus nuancée : oui on peut mentir à un résident pour qu’il ne souffre pas, oui parfois l’amour est comme dans les chansons : fou et ne dure pas toute la vie.

Ce roman plaira à tous les garçons et les filles de tout âge. Il vous donnera envie de réécouter François Hardy, d’aller faire un câlin à votre grand-mère en lui demandant de vous raconter son histoire, de regarder les couples qui se tiennent la main avec beaucoup d’amour et d’être heureux tout simplement.

Âge tendre, Clémentine Beauvais (Sarbacane)
collection Exprim’
disponible depuis le 19 août 2020
9782377314652 – 17€
à partir de 13 ans
Son
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Les derniers des branleurs – Vincent Mondiot

Chloé, Gaspard et Minh Tuan sont les losers officiels du lycée, moqués aussi bien par leurs camarades que par leurs professeurs… du moins quand ils sont présents en classe. Car leur spécialité, c’est aussi sécher, même si le bac est au bout de l’année, glander et fumer. Quand une des profs les traite de « branleurs », titre certainement pas démérité, un petit sursaut d’orgueil les incite à – peut-être – tenter de faire la nique (#expressiondevieux) à ceux qui croient qu’ils sont destinés à rien. Et peut-être que Tina va pouvoir les aider à se sortir les doigts…

Depuis la bonne petite claque qu’était Nightwork, on attend à chaque fois le nouveau texte de Vincent Mondiot avec impatience. On ne va pas se mentir, l’entrée dans le roman a été un peu compliquée… Principalement à cause d’une forme assez déconcertante : les notes de côté de pages (eh ouais, même pas en bas !). Et il y en a beaucoup ! Tout le temps ou presque. Pour préciser une référence culturelle, qui est le personnage cité, un lieu, une habitude, une caractéristique…bref, un peu tout et n’importe quoi. Ce qui ne facilite pas la fluidité de lecture et que je vous déconseillerai pourtant de ne pas lire car elles apportent vraiment un petit truc en plus, le petit truc qui fait que le roman n’est pas un énième roman sur le lycée ou l’adolescence. Alors oui, il a fallu m’accrocher… et puis, finalement, ce trio de losers a eu raison de cette drôle de forme grâce à la tendresse incroyable qu’on finit par avoir pour eux. Et c’est pourtant pas gagné parce qu’ils font vraiment tout pour que ce ne soit pas le cas ! Vulgaires, sans beaucoup de centres d’intérêts dans la vie à part les mangas et la branlette (sauf pour Chloé qui trouve les premiers nazes et la seconde dégueu’), sans aucune perspective d’avenir à l’horizon, ils sont aussi désespérants que tous ces ados que vous regardez en levant les yeux au ciel. Ouais mais ils sont attachants quand même. Parce que même s’ils ont des conversations sans queue ni tête, très – très – peu politiquement correctes, leur envie de sortir de la case attribuée, leur envie de se comprendre, de se trouver, est irrésistible et touchante. Et puis on se marre ! Certains dialogues sont tordants de réalisme et, oui, on finit par se laisser totalement attendrir par ce petit groupe disparate et pourtant soudé.

Au début du roman, et dans les remerciements, il est dit que cela aurait pu être le roman de l’année 2020, s’il n’y avait pas eu la situation que vous savez. Alors oui, peut-être que la scolarité et cette dernière année du bac tel qu’on le connaît n’aura pas été vécue ainsi par tous les adolescents et que l’histoire de Chloé, Gaspard et Minh Tuan relève de l’uchronie, mais Les derniers des branleurs, c’est indubitablement le roman qui raconte l’adolescence d’aujourd’hui, qui le fait avec un humour corrosif et cru, mais avec surtout beaucoup de tendresse.

Et pour les fans de Vincent Mondiot, sachez qu’une petite surprise vous attend si vous aviez aimé Rattrapage. 😀

Les derniers des branleurs, Vincent Mondiot (Actes Sud Junior)
disponible depuis le 10 juin 2020
9782330136963 – 16,80€
à partir de 15 ans