Son
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Après l’apocalypse

Nos deux romans du jour explorent le genre du post-apocalyptique, soit ce qui se passe après que le monde se soit effondré suite à une catastrophe de grande ampleur. Si les causes et les conséquences ne sont pas les mêmes, tous les deux sont en revanche diablement efficaces ! ☢

RC 2722 – David Moitet

Oliver a grandi dans un abri souterrain après le grand effondrement qui a vu la disparition de l’humanité. Un jour, alors qu’il doit effectuer une maintenance dans l’un des niveaux les plus dangereux de l’abri, il découvre des traces de pas laissant à penser que quelqu’un est sorti… Comment est-ce possible alors que la surface est irrespirable et radioactive ? Oliver n’est clairement pas au bout de ses surprises, surtout quand son père décède mystérieusement et que son frère est condamné à l’exil…

David Moitet imagine un effondrement causé par la sècheresse, le réchauffement climatique qui voit les paysages français changer radicalement et se transformer en déserts. Jusqu’à ce que les populations, manquant d’eau, soient contraintes de trouver refuge ailleurs… Une épidémie – tiens donc ! – et la misère plus tard, seuls quelques privilégiés pourront avoir une place dans ces abris souterrains… La quête de vérité d’Oliver nous dévoilera à la fois le passé de cette France qui connaîtra les réfugiés climatiques et ce qui se passe réellement à la surface. Le scénario est assez classique mais, comme toujours avec David Moitet, le rythme est bien dosé, efficace, la lecture fluide et on s’attache immédiatement à ses personnages. Seul le « méchant » est sans doute découvert trop tard pour avoir un retournement crédible, mais Oliver et Tché, que je vous laisse découvrir, forment un duo explosif ! Un roman entre Fallout et Mad Max qui nous tient en haleine jusqu’au bout !

RC 2722, David Moitet (Didier Jeunesse)
disponible depuis le 23 septembre 2020
9782278098392 – 15,90€
à partir de 13 ans

Bpocalypse – Ariel Holzl

Samsara est une lycéenne et vit à Concordia, où tout un tas de dangers l’attendent à tous les coins de rue : fantômes, animaux mutants et autres joyeusetés laissées par l’Apocalypse huit ans plus tôt. Mais avec sa batte de base-ball et ses talismans, la route vers le lycée est habituellement plutôt calme. Alors que cette rentrée avec ses amis Danny et Yvette les verra choisir un stage, une nouvelle les secoue : la ville lève la quarantaine de l’ancien parc public où vivent des mutants qui arrivent justement dans leur classe !

Autre ambiance avec Ariel Holzl qui nous offre un décor et des créatures dignes de films d’horreur. Ici, l’apocalypse c’est une comète qui s’est écrasée sur la Terre, apportant avec elle des contaminations et mutations qui se sont attaquées autant à la faune et la flore qu’aux êtres humains. Concordia est la seule ville encore debout, bien qu’aux nombreux quartiers bouclés et aux dangers aussi terrifiants que différents. L’ouverture d’une nouvelle partie de la ville est un véritable événement et va susciter autant la méfiance que la peur et le rejet. Et c’est là que Samsara se révèle être un personnage tout en nuances, une héroïne aux croyances bien arrêtées qui va devoir composer entre son rêve d’intégrer la Milice pour aller exploser du mutant et la réalité de ce nouveau monde dans lequel elle vit (et qui lui révèlera là aussi bien des secrets et vérités inattendues). L’intrigue est peut-être un peu longue à démarrer, ne sachant tout d’abord pas trop où on nous emmène mais l’univers original, un peu punk et beaucoup déjanté, nous accroche, tout comme les thèmes finalement très universels de l’acceptation de la différence et des mauvaises décisions que l’on prend au nom d’une cause que l’on croit juste. A découvrir, d’autant plus à l’école des loisirs qui ne nous avait pas habitué au genre !

Bpocalypse, Ariel Holzl (L’école des loisirs)
collection Médium +
disponible depuis le 7 octobre 2020
9782211310161 – 17€
à partir de 13 ans
Son
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Les derniers des branleurs – Vincent Mondiot

Chloé, Gaspard et Minh Tuan sont les losers officiels du lycée, moqués aussi bien par leurs camarades que par leurs professeurs… du moins quand ils sont présents en classe. Car leur spécialité, c’est aussi sécher, même si le bac est au bout de l’année, glander et fumer. Quand une des profs les traite de « branleurs », titre certainement pas démérité, un petit sursaut d’orgueil les incite à – peut-être – tenter de faire la nique (#expressiondevieux) à ceux qui croient qu’ils sont destinés à rien. Et peut-être que Tina va pouvoir les aider à se sortir les doigts…

Depuis la bonne petite claque qu’était Nightwork, on attend à chaque fois le nouveau texte de Vincent Mondiot avec impatience. On ne va pas se mentir, l’entrée dans le roman a été un peu compliquée… Principalement à cause d’une forme assez déconcertante : les notes de côté de pages (eh ouais, même pas en bas !). Et il y en a beaucoup ! Tout le temps ou presque. Pour préciser une référence culturelle, qui est le personnage cité, un lieu, une habitude, une caractéristique…bref, un peu tout et n’importe quoi. Ce qui ne facilite pas la fluidité de lecture et que je vous déconseillerai pourtant de ne pas lire car elles apportent vraiment un petit truc en plus, le petit truc qui fait que le roman n’est pas un énième roman sur le lycée ou l’adolescence. Alors oui, il a fallu m’accrocher… et puis, finalement, ce trio de losers a eu raison de cette drôle de forme grâce à la tendresse incroyable qu’on finit par avoir pour eux. Et c’est pourtant pas gagné parce qu’ils font vraiment tout pour que ce ne soit pas le cas ! Vulgaires, sans beaucoup de centres d’intérêts dans la vie à part les mangas et la branlette (sauf pour Chloé qui trouve les premiers nazes et la seconde dégueu’), sans aucune perspective d’avenir à l’horizon, ils sont aussi désespérants que tous ces ados que vous regardez en levant les yeux au ciel. Ouais mais ils sont attachants quand même. Parce que même s’ils ont des conversations sans queue ni tête, très – très – peu politiquement correctes, leur envie de sortir de la case attribuée, leur envie de se comprendre, de se trouver, est irrésistible et touchante. Et puis on se marre ! Certains dialogues sont tordants de réalisme et, oui, on finit par se laisser totalement attendrir par ce petit groupe disparate et pourtant soudé.

Au début du roman, et dans les remerciements, il est dit que cela aurait pu être le roman de l’année 2020, s’il n’y avait pas eu la situation que vous savez. Alors oui, peut-être que la scolarité et cette dernière année du bac tel qu’on le connaît n’aura pas été vécue ainsi par tous les adolescents et que l’histoire de Chloé, Gaspard et Minh Tuan relève de l’uchronie, mais Les derniers des branleurs, c’est indubitablement le roman qui raconte l’adolescence d’aujourd’hui, qui le fait avec un humour corrosif et cru, mais avec surtout beaucoup de tendresse.

Et pour les fans de Vincent Mondiot, sachez qu’une petite surprise vous attend si vous aviez aimé Rattrapage. 😀

Les derniers des branleurs, Vincent Mondiot (Actes Sud Junior)
disponible depuis le 10 juin 2020
9782330136963 – 16,80€
à partir de 15 ans
Son
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D’un grand loup rouge – Mathias Friman

Dernier représentant de sa meute chassée de son territoire par les hommes, un loup rouge s’engage dans un long et rude voyage dans l’espoir de trouver une nouvelle famille. Une nuit, il rencontre une meute de loups aux yeux luisants. Méfiants, ils refusent de l’accepter à cause de sa couleur trop voyante, mais grâce au chef de meute, qui décide de l’accueillir, le loup rouge découvre que ses nouveaux compagnons sont eux aussi issus de loups qui ont fui…

Après nous avoir régalés avec son trait d’une incroyable finesse et si reconnaissable tout en explorant la chaîne alimentaire dans Une petite mouche bleue puis l’incroyable destin D’une petite graine verte, Mathias Friman nous émerveille à nouveau dans cet album sur la migration. Une migration qui n’est pas naturelle, et qui sort ainsi du travail presque documentaire des précédents titres, mais qui est induite par l’action de l’homme sur le territoire d’une meute de loups. A travers le destin terrible de ce loup rouge, qui voit sa forêt dévastée, ses congénères abattus (une illustration extrêmement forte) et sa survie menacée s’il ne se décide pas à fuir pour trouver de plus verts pâturages ailleurs, on ne peut évidemment pas s’empêcher de penser à ce que vivent certaines populations humaines. Après un long voyage, le loup rouge rencontre une meute qui se montre tout d’abord méfiante et rétive à son entrée dans le groupe, car il n’est pas comme eux. Il faudra toute la bienveillance et l’intelligence d’un chef pour que le loup rouge trouve une nouvelle famille. Une famille composée elle aussi de loups – de toutes les couleurs – qui ont dû migrer à un moment donné de leur vie. Car ce que Mathias Friman nous rappelle ici, c’est que nous sommes tous issus de mouvements migratoires, qu’ils datent de plusieurs siècles ou de quelques années.

Dans ce format à l’italienne qu’on lui connait si bien, avec cette découpe sur la couverture qui laisse apercevoir ce superbe loup rouge, et ce gris métallisé qui nous attire aussitôt, c’est encore une fois le trait magnifiquement fin et réaliste qui nous subjugue. Ce rouge orangé vif qui se détache et ces scènes de nuit magnétiques, un texte poétique et sensible, Mathias Friman nous démontre encore une fois tout son talent. Un album sublime et indispensable !

D’un grand loup rouge, Mathias Friman (Les Fourmis Rouges)
disponible depuis le 19 mars 2020
9782369021186 – 14,50€
à partir de 4 ans
Son
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Demandez-leur la lune – Isabelle Pandazopoulos

Lilou, Samantha et Bastien sont en échec scolaire et ne passeront pas en seconde générale. Farouk est un jeune turc qui apprend le français dans l’attente de son audition pour avoir le droit de rester en France. Tous les quatre vont rejoindre le cours d’Agathe Fortin, une prof de français pas comme les autres qui leur propose de participer à un concours d’éloquence. Pour la première fois, la voix de ces quatre jeunes a une importance pour quelqu’un.

Après La décision et Trois filles en colère, Isabelle Pandazopoulos nous offre à nouveau un roman fort et riche en émotions. Nous sommes ici dans une campagne perdue, zone blanche autant pour Internet que pour les chances de poursuivre ses rêves pour des jeunes à qui rien ne semble possible. Lilou est effacée, sa famille et elle rongées par les actions d’un frère qui planent au-dessus d’eux ; Samantha doit composer avec une mère bipolaire qui projette ses rêves sur elle et l’aime pourtant d’un amour inconditionnel ; Bastien est quant à lui contraint de suivre les traces de son père, en dépit de ses propres envies ; et Farouk a fui la Turquie en laissant sa famille seule suite à l’arrestation de son père, et attend le jour de l’audience qui décidera de son droit ou non à résider sur le territoire français. Quatre jeunes qu’une jeune prof de français aux méthodes non orthodoxes doit remettre sur les rails de l’école, quitte à ne pas être spécialement soutenue par cette dernière… Car on lui demande de faire en sorte que ces gosses rentrent dans le moule, pas qu’ils fassent des exercices bizarres et pas dans les programmes.

Mais si Agathe Fortin est loin de ressembler aux autres profs et que ses méthodes sont sources de frictions pour les quatre élèves, elles vont pourtant révéler chacun d’entre eux. Et leur permettre de pouvoir enfin s’exprimer : la colère, les doutes, les espoirs, les problèmes et même l’amour ! Ça balbutie, au début, ça se heurte ou ça ne se comprend pas mais bientôt, les mots prennent le pas, la parole se libère et, surtout, le lien se resserre. Isabelle Pandazopoulos tisse un formidable roman, d’une grande justesse, entre cri d’espoir et bombe d’émotions (on est parfois vraiment pris à la gorge tant les personnages nous touchent et nous accompagnent). Un roman vibrant, qui donne de la voix à ceux qui pensent la leur inaudible, et qui leur offre une personne pour les écouter, pour les entendre, et pour les faire entendre. A mettre entre toutes les mains !

Demandez-leur la lune, Isabelle Pandazopoulos (Gallimard Jeunesse)
collection Scripto
disponible depuis le 16 janvier 2020
9782075137287 – 12,90€
à partir de 13 ans
Son
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Vivant – Roland Fuentès

9782748525328,0-4698383

Pour les vacances de Pâques, huit amis se retrouvent dans un gîte près de Marseille. Au programme : révisions, sport et détente pour être fin prêts pour les examens. C’est Lucas qui a invité Elias, un inconnu pour les autres, mais qui attire leurs regards et leur curiosité durant tout le séjour. Jusqu’au moment où l’un des amis, Mattéo, se saisit d’un couteau et transforme ces vacances en combat à mort.

★★★☆☆

Le roman s’ouvre sur une course poursuite dans les calanques entre deux jeunes hommes. Mattéo, armé d’un couteau, poursuit avec rage Elias. Mattéo, c’est le leader charismatique du groupe de copains étudiants, celui qui pourrait devenir sportif professionnel, qui organise le programme des vacances, qui sort avec la belle Salomé. Elias, lui, est manœuvre sur un chantier et ne connaît dans le groupe que Lucas, qui l’a invité. On ne sait pas vraiment qui il est, d’où il vient, mais son incroyable gentillesse, sa curiosité et son attitude paisible, naïve, interpellent les autres jeunes, certains se sentent mal à l’aise, d’autres ne voient que de la perfection. En tous cas, Elias ne laisse personne indifférent. Et Mattéo encore moins que les autres ! Mais qu’est-ce qui pousse le sportif à ce coup de folie ? C’est bien la question que tous les protagonistes se posent… et nous avec !

Avec Vivant, Roland Fuentès nous propose un thriller psychologique haletant et fascinant. Sa construction, alternant les chapitres de course poursuite et les souvenirs de chaque jeune sur ce qui a sans doute amené à cette folle cavalcade, amène un vrai suspense tandis que se révèlent petit à petit les événements, le déchaînement de violence. Sans vous en dire trop sur ce que l’histoire dévoile des personnages et de leurs motivations, Vivant c’est une réflexion sur notre rapport à l’autre et principalement à « l’étranger », à ce qu’il laisse à voir de lui et à ce qu’il nous montre de nous, ce qu’il provoque en nous, le meilleur comme le pire… C’est aussi une réflexion sur le groupe et comment un élément étranger, justement, peut faire basculer l’équilibre de chacun et du collectif. Et c’est aussi une évocation du sport et de ses valeurs que l’on rencontre assez peu en littérature, où Roland Fuentès met en lumière l’effort, le travail, l’art presque, que demande la performance sportive mais aussi la question de vie, de survie, qu’elle peut représenter pour certains. La dédicace qui figure au début du roman n’est d’ailleurs pas anodine…

S’il est difficile de dire que Vivant est « trop bien », c’est parce que le roman nous laisse avec un drôle de sentiment, celui d’avoir été bousculé, d’avoir posé dans notre esprit les petites pierres de la réflexion à entamer ou à poursuivre sur notre façon d’accueillir les autres, notre aptitude à la tolérance. Un roman profondément humain !

Vivant, Roland Fuentès (Syros)
disponible le 11 janvier 2018
9782748525328 – 14,95€
à partir de 13 ans
Son
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Le fils de l’Ursari – Xavier-Laurent Petit

Xavier-Laurent Petit s’inspire du monde actuel et des gens que l’on rencontre au détour d’une vie dans nombre de ses romans. Avec Le fils de l’Ursari, il continue cette exploration dans un roman encore une fois d’une grande qualité.

9782211230070,0-3389135

Ciprian est le fils d’un Ursari, un combattant légendaire capable de défier un ours. Avec sa famille, ils se produisent sur les places des villages dans les pays de l’Est. Mais ils sont détestés là-bas et un jour, ils sont contraints de fuir… Deux hommes, Zlot et Lazlo, leur proposent de devenir riches, à Paris, là où l’argent coule à flot, où l’on devient riche sans s’en rendre compte. Bien malgré eux, Ciprian et sa famille se retrouvent alors dans un camion, direction la France…

★★★★★

Chaque jour, nous voyons ces femmes, bébés dans les bras, déambuler dans le métro en demandant quelques pièces. Depuis la vitre du train, on aperçoit des bidonvilles aux portes de Paris… C’est de l’autre côté des grillages que Xavier Laurent-Petit nous emmène dans ce roman fort et bouleversant. Où l’on découvre la famille de Ciprian, son père qui combat les ours et dont la fierté remonte jusqu’aux lettres de protection délivrées par l’empereur Sigismond au XVe siècle ; sa mère gardienne du feu ; son frère Dimetriu qui emprunte tout ce dont ils ont besoin pour manger ; sa sœur Vera qui chante et danse pour attirer le public. Lorsque tout ce monde arrive en France, la fierté doit être oubliée et à chacun est attribué un nouveau métier : ferrailleur pour le père ; nourrice itinérante pour Vera ; gardienne de distributeurs de billets pour la mère et emprunteur de portefeuilles pour Dimetriu et Ciprian, son apprenti. Malgré l’argent qu’ils rapportent chaque soir, la vie se révèle bien plus difficile que ce qu’on leur avait promis. Et bientôt, les véritables ennuis commencent… Du côté de Ciprian, pourtant, il y a un peu de lumière. C’est au jardin du Luxembourg que tout va se jouer, lorsque le garçon découvre ce jeu étrange avec des pièces blanches et des pièces noires…

Est-ce l’espoir qui s’épanouit pour le garçon ? C’est en tous cas l’un des messages du roman de Xavier-Laurent Petit. A travers l’odyssée de la famille de Ciprian, qui dépeint les conditions des Roms dans notre pays et le trafic insurmontable dont ils sont victimes, on découvre « l’envers du décor ». Le destin de Ciprian, qui va trouver une voie d’échappatoire, apporte la note d’espoir pour sa famille et les autres, même si ce chemin est semé d’embûches. Mais il pourra compter sur l’aide de personnages presque mythologiques tant leurs caractéristiques lui sont étonnantes. Car la force de ce roman, c’est aussi le regard de Ciprian sur le monde, son absence d’éducation scolaire en fait un naïf tout voltairien, et apporte une touche d’humour bienvenue. L’écriture de Xavier-Laurent Petit, pleine d’émotions, finit de nous transporter dans ce roman où l’on passe du rire aux larmes, de la tradition ancestrale, presque magique, d’un monde oublié, à la dure et cruelle réalité de la pauvreté et du trafic d’êtres humains en France. Un roman bouleversant et éclatant, à mettre entre toutes les mains !

Le fils de l’Ursari, Xavier-Laurent Petit (École des loisirs)
collection Médium
disponible le 24 août 2016
9782211230070 – 15,80€
à partir de 13 ans
Son
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Le caméléon et les fourmis blanches – Emmanuel Bourdier

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Casimir Feunard est un instituteur désabusé depuis que sa compagne l’a quitté et montre peu d’enthousiasme à la rentrée scolaire. D’autant plus quand il apprend qu’il aura dans sa classe Issa Doucouré, jeune malien sans papiers, redoublant multiple qui sèche les cours et se fait passer pour plus inculte qu’il ne l’est. Pourtant, le jour où les gendarmes arrivent pour renvoyer Issa et son père dans leur pays, c’est Casimir qui va se trouver, bien malgré lui, à cacher cet enfant…

★★★★☆

Commence alors pour Casimir et Issa une cohabitation un peu difficile, où la colère se dispute à la peur, jusqu’à ce qu’ils s’apprivoisent. L’histoire est ainsi racontée par les deux personnages, alternant les points de vue à chaque chapitre. On commence avec Casimir, dont la tristesse l’amène à repenser à sa vie et à ses choix. Puis arrive Issa, qui accuse lui aussi la perte d’une femme dans sa vie : sa grande sœur Kadiatou. Issa qui a appris à se rendre invisible, tel le caméléon, tandis qu’il observe tous ces petits enfants dans la cour de récréation, ces petites fourmis… (et bim, vous avez l’explication du titre ! 😛 ) Avant l’arrivée d’Issa dans la classe de Casimir, les deux se connaissant. On n’oublie pas Issa quand on est enseignant : il n’est pas souvent là, il semble mentir comme il respire, il vole des petites choses… Quant à Casimir, son nom de famille a fait de lui une star dans l’école car il porte le même qu’un Pokémon ! Alors quand le père d’Issa le confie au professeur, tous deux vont apprendre à mieux se connaître et, pour Issa, à s’ouvrir à quelqu’un d’autre et à montrer son amour des histoires et de la lecture.
Le roman offre ainsi de très beaux moments de complicité, des instants magiques partagés entre ces deux personnages aux antipodes, pourtant liés bien plus qu’ils ne le pensent. Il faudra cependant passer par tout un panel d’émotion, de la frustration à l’exaspération, et d’événements avant qu’ils ne s’en rendent compte. Et alors leur cohabitation forcée devient plus facile pour eux. Emmanuel Bourdier signe ici un très beau texte, qui s’inscrit en plus dans une certaine actualité. J’ai beaucoup aimé son écriture soignée et les mots de chacune des voix du livre, souvent emprunts de tristesse mais qui finissent par se donner de l’espoir. Un très beau roman, qui montre aussi que la frontière entre la littérature ado et adulte est parfois très tenue. 🙂

Le caméléon et les fourmis blanches, Emmanuel Bourdier (La Joie de Lire)
collection Encrage
disponible depuis le 20 octobre 2015
9782889082957 – 19,90€
à partir de 13 ans

Son
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Aussi loin que possible – Éric Pessan

9782211108317,0-2703681

Un matin, sur le chemin du collège, Anthony et Tony délaissent leurs sacs de cours et se mettent à courir. Comme ça, pour s’amuser, pour savoir qui va le plus vite…et puis, arrivés au bout du parking, ils ont continué. Tout droit, ils ont continué à courir. Sans se poser de question, sans savoir où aller. Un simple marathon, une course pour laisser derrière eux leurs soucis…

★★★★☆

Un roman qui se lit comme la course de nos deux jeunes héros : sans s’arrêter, sans jamais perdre haleine. Raconté par Antoine, l’histoire débute comme la simple évocation d’une amitié. Une amitié qui lie ces deux garçons aux prénoms similaires pas seulement à cause de ça mais aussi car ils ont tous les deux quelque chose qui leur pèse. Un avis d’expulsion pour Tony, dont la famille ukrainienne va devoir quitter le territoire français, un père à la main lourde pour Antoine. Sont-ce là les raisons qui les ont poussés à se mettre à courir, un jour, comme ça ? Pour Antoine, ces raisons intimes sont venues plus tard. Au début, il ne s’agissait que d’un jeu, de quelque chose qui n’était pas prémédité. Et puis, en courant, les raisons sont apparues, les pensées ont eu le temps de se frayer un chemin dans l’esprit du jeune homme.

Aussi loin que possible pourrait être le slogan d’Antoine et Tony dans cette course qui paraît d’abord comme une fugue pour leurs familles avant d’être médiatisée et vue par la presse comme la volonté d’agir sur ce qui ne va pas dans leur vie ou, du moins, dans celle de Tony et de l’éviction de sa famille. Une course qui devient alors politique et sociale quand elle n’a commencé que par un défi entre amis. C’est sans doute là toute la beauté de ce texte qui, avec beaucoup de finesse, nous fait entrer dans les réflexions d’un garçon de 13 ou 14 ans qui, au fil de son odyssée, développe une analyse de son environnement, des gens qu’il croise, de notre société consumériste. Ce n’est pas le cœur du roman, mais j’ai trouvé les réflexions d’Antoine belles et pertinentes, l’écriture d’Eric Pessan est vraiment remarquable.
Aussi loin que possible est un roman sans doute singulier mais qui fait avant tout la part belle à une grande amitié entre deux adolescents et porte en lui un beau message d’encouragement et d’espoir.

Aussi loin que possible, Éric Pessan (Ecole des Loisirs)
collection Médium
disponible le 30 septembre 2015
9782211108317 – 13€
à partir de 14 ans

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La traversée – Jean-Christophe Tixier

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Après vous avoir emmené à la montagne pour les vacances, Bob vous emmène à la mer. Mais vous n’aurez sans doute pas envie d’y retourner après avoir lu cet article… 😛

Sam est un jeune Africain qui rêve d’un avenir meilleur, un avenir qui a pour nom Europe. Il s’embarque dans un navire de migrants, à destination de l’Italie, avec pour tout bagage ses souvenirs. Mais bientôt, la mer grossit et la tempête finit par éclater…

★★★★☆

Dans ce roman poignant, Jean-Christophe Tixier met en lumière une tragédie que l’on retrouve régulièrement dans les informations : le naufrage d’une embarcation de migrants africains désirant rejoindre l’Europe. Je ne vous spoile pas sur la fin puisque ce terrible événement se déroule dès le début du roman : Sam, jeune homme improvisé capitaine d’un bateau de clandestins, tente d’amener tout ce monde à bon port. Mais la mer et la tempête qu’elle apporte en ont décidé autrement. Très vite, le navire se retourne et tout le monde tombe à l’eau. Sam va tenter coûte que coûte de sauver les personnes qui l’accompagnent. Tout en se remémorant ce qui l’a amené à prendre ce bateau de fortune…
A travers les flashbacks, nous découvrons ainsi le périple de Sam depuis son pays jusqu’à la Lybie où les passeurs vont le faire embarquer. Les relations avec sa famille ; son meilleur ami Youssou qui devait l’accompagner ; les passeurs qui réclament une grosse somme d’argent, ceux qui le dépouillent ; ses compagnons d’infortune, dont la belle Thiane et le triste destin qui la pousse à fuir vers l’Europe ; le camp d’internement à attendre le jour du départ… Le roman de Jean-Christophe Tixier nous expose tout avec précision et nous offre des portraits émouvants de ces hommes et femmes qui cherchent une vie meilleure, quitte à prendre tous les risques possibles.
Un roman court mais passionnant, ou terrifiant, qui prend également le parti de nous offrir une fin sans concession et pourtant totalement ouverte. Sans doute un peu glaçant mais les plus optimistes y verront peut-être aussi de l’espoir… Une fin en tous cas expliquée par l’auteur, qui ajoute des données documentaires sur les migrants et une bibliographie pour aller plus loin.
Un roman d’une grande humanité.

La traversée, Jean-Christophe Tixier (Rageot)
disponible depuis le 20 mai 2015
9782700249354 – 9,50€
à partir de 11 ans