Son
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Le jour où je suis mort, et les suivants – Sandrine Beau

Lenny, Saphir, Biscotte et Esteban sont quatre garçons en prise avec un mal-être qu’ils tentent de dissimuler, de cacher à leur entourage ou au contraire de dire, d’exprimer, bien que personne ne semble comprendre. Tous les quatre sont, ou ont été, victimes de violences sexuelles.

Il y a quelques années, Sandrine Beau traitait déjà avec beaucoup de justesse le sujet des regards, des paroles ou des gestes déplacés d’un adulte sur une jeune adolescente dans La porte de la salle de bain. Dans ce nouveau roman, elle réussit encore une fois à se faire la voix de ces quatre garçons abusés dans leur enfance ou leur adolescence par des adultes. Lecture difficile et bouleversante par son sujet, d’autant plus avec le premier chapitre qui nous fait découvrir Lenny et ses tentatives de mettre fin à ses jours, chaque protagoniste va nous livrer son histoire à travers leur infinie détresse, leur honte, leur dégoût de soi, leur incompréhension ou leur haine, et, pour certains, leur résilience. Roman à quatre voix, tout ne nous est pas raconté de la même manière, parfois en « je », une autre fois sous forme de journal intime, ou encore par l’un des garçons devenu adulte, permettant ainsi d’écouter chacun à son propre rythme, nous révélant quand il le souhaite, quand il se sent prêt, ce qui lui est arrivé. Une libération de la parole qui trouvera tout son sens lors d’une salutaire journée de lycée.

« Ça n’arrive pas aux garçons ce genre de choses ». Sujet tabou qui persiste, à cause de ce que la société attend encore et toujours d’un garçon, Sandrine Beau montre l’emprise, l’abus de pouvoir, que ces adultes – souvent des proches – ont sur ces jeunes, rendant la dénonciation encore plus difficile. Et jamais, jamais, Sandrine Beau ne tombe dans le pathos ou le glauque. Elle nous rend les émotions, les cheminements de pensée, les vérités de chacun, avec subtilité et finesse. Elles n’en sont pas moins graves ou poignantes pour autant, mais on peut véritablement saluer l’intelligence de l’écriture et du scénario. Un roman court, tout en tension, qu’on lit d’un seul souffle. Percutant, sensible et assurément indispensable.

Le jour où je suis mort, et les suivants, Sandrine Beau (Alice jeunesse)
collection Tertio
disponible depuis le 8 octobre 2020
9782874264368 – 12€
à partir de 13 ans
Son
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Toucher du doigt ses rêves

Un roman et une pièce de théâtre qui commencent de la même manière : un recruteur européen à la recherche des talents de demain dans des pays d’Afrique…et des garçons qui n’ont qu’un seul rêve en tête : jouer avec les plus grands ! Y parviendront-ils ?

Trois minutes de temps additionnel – Sylvain Levey

Kouam et Mafany ont quatorze ans, vivent en Guinée et passent leur temps à jouer au football. Ils rêvent de fouler un jour les pelouses sous le maillot de Manchester United. Et un jour, la chance leur sourit : une femme anglaise les recrute pour intégrer le petit club de Bradford, une première étape avant d’espérer plus grand. Malheureusement, l’arrivée en Angleterre n’est pas aussi géniale qu’ils le pensaient : il pleut tout le temps, la bouffe ne ressemble en rien à celle de leurs mères, ils se blessent, jouent mal… Et entendent des cris de singe dans le public chaque fois qu’ils sont sur la pelouse.

Si l’on découvre dans cette pièce les travers du football : le racisme d’une certaine catégorie de supporters, l’exploitation de jeunes rêveurs en quête de gloire et la marchandise qu’ils représentent – qu’ils se révèlent de vrais talents ou des déceptions, c’est surtout et avant tout un magnifique texte sur la force de l’amitié, sur la poursuite de ses rêves en dépit des embûches. Kouam et Mafany ne seront peut-être pas vos nouvelles idoles du foot mais leur parcours n’en seront pas moins satisfaisants pour eux et pour nous lecteurs. Une pièce sensible et pleine d’espoir, racontée dans une forme narrative qui apporte beaucoup de dynamisme, à lire pile-poil pendant la mi-temps. Une magnifique lettre de Sylvain Levey à son lecteur footballeur ou footballeuse conclut le livre, rappelant que le sport et la littérature ne sont jamais incompatibles.

Trois minutes de temps additionnel, Sylvain Levey (éditions Théâtrales)
collection Théâtrales Jeunesse
disponible depuis le 25 juin 2020
9782842608279 – 8€
à partir de 13 ans

ABC… – Antonio Da Silva

Jomo découvre le basketball un peu par hasard, dans son quartier pauvre de Bamako, au Mali, et en devient complètement accro ! La chance lui sourit le jour où Richard, dénicheur de talent, lui propose de s’envoler pour la France et de rejoindre l’Academy, le centre de formation créé par Tony Parker, son idole. Dès son arrivée, son talent est indéniable et son avenir sera certainement brillant ! Mais pour aller plus loin dans sa carrière, Jomo va devoir accepter de se faire aider : il ne sait pas lire. Il intègre alors un cours d’alphabétisation, qui lui permettra de s’épanouir et de rencontrer la jolie Rosa-Rose…

Le monde du basket semble un peu moins gris que celui du football dans ce roman où les adultes sont ici bien plus bienveillants que dans l’histoire de Kouam et Mafany. Jomo rencontrera même Tony Parker lui-même, véritable figure d’espoir pour le garçon ! Très vite, pourtant, le basket laisse la place à la rencontre de Jomo avec Rosa, la fille de sa prof d’alphabétisation et, non seulement le garçon va sans doute pouvoir réaliser son rêve mais aussi trouver l’amour… Un véritable parcours initiatique pour cet adolescent qui découvre une toute nouvelle vie en France. Un roman court et pourtant très dense, abordant beaucoup de sujets mais surtout marqué par un véritable sens de la surprise ! Antonio Da Silva l’avait déjà montré dans son précédent roman, Sortie 32b (dans un tout autre genre), mais il parvient à nous toucher en plein cœur avec le destin qui attend Jomo. Un roman bouleversant et, pourtant, plein d’espoir lui aussi.

ABC…, Antonio Da Silva (Le Rouergue)
collection DoAdo
disponible depuis le 2 septembre 2020
9782812620829 – 12,80€
à partir de 13 ans
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Gorilla Girl – Anne Schmauch

Léone est une pile électrique punk de 21 ans. Sa mère pense qu’elle va droit dans le mur avec ses conneries – en même temps, sa mère est flic… mais il ne faut pas que cela se sache ! En effet, quand on fait partie d’un groupe de filles punk qui s’appelle les Juicy Pussy, que l’on fait des graffitis anarchistes dans Paris et que l’on participe à des émeutes… Avoir une famille dans les forces de l’ordre, c’est la honte ! Surtout quand on devient raide dingue d’un squatteur qui a des activités très louches…

Lisette a envie d’avoir une crête et une couche-culotte fluo

Ce roman n’est pas qu’une comédie romantique punk ! (Même si je tiens à souligner la maîtrise du premier chapitre qui est digne des meilleurs quiproquo théâtral). Gorilla Girl aborde des questions très profondes comme la résilience face aux traumatises, le rôle des forces de l’ordre et l’intégrité, le tout dans un style enjoué et décoiffant. L’autrice déploie une écriture punk bien frappée qui entremêle paroles de chansons revisitées des Juicy Pussy pour faire la chronique d’une génération en colère mais tellement optimiste ! La qualité de l’écriture est au rendez-vous et les 370 pages du roman se lisent en un souffle. Anne Schmauch utilise un phrasé très parlé, brut, sauvage, qui correspond à la pugnacité de son héroïne qui ne veut faire aucune concession dans sa vie.

Leone est une héroïne féminine et combative qui m’a réellement embarquée dans ses combats et ses mésaventures amoureuses. Elle frappe (souvent) et fonce tête baissée dans le danger pour protéger ceux qu’elle aime ou pour se battre contre l’injustice. Tous les personnages secondaires sont atypiques. Les amis de Leone sont très attachants et les rencontres qu’elle va faire au fil du roman nous montrent des personnages sans demi-mesure. Elle va notamment se retrouver à vivre dans un squat d’intellectuels avec des grenouilles qui produisent du LSD ! Vous l’aurez compris, c’est un titre original où les marginaux font ce qu’ils peuvent pour survivre, nécessité faisant foi.

Bob tague des morses dans tout Paris

Après l’excellent La sauvageonne, Anne Schmauch continue de nous proposer des portraits de filles badass, pleines de rêves et de convictions. Léone nous est tout de suite attachante, notamment grâce à cette scène d’exposition hilarante dont parle Lisette qui donne le ton du roman. Drôle, punchy (dans tous les sens du terme), engagé, percutant, vivace, Gorilla Girl c’est tout ça à la fois tout en étant une véritable comédie romantique qui nous tient en haleine jusqu’au bout. Parce que oui, Bob a adoré cette histoire d’amour qui démarre par une bonne beigne et semble compromise avant même d’avoir commencée. Mais le talent d’Anne Schmauch, c’est de nous embarquer dans une histoire complètement dingue et survoltée, sans aucun temps mort, qui écorche un peu tout le monde au passage, mais sans jamais être complètement sombre. Pourtant, vu les sujets cités par Lisette, il y avait de quoi ! Une intrigue parfaitement maîtrisée, une galerie de personnages exceptionnels, une écriture vive, Gorilla Girl c’est cette excitation qui te prend quand le concert est sur le point de commencer, le crépitement que tu sens dans tes veines avant un moment exceptionnel. Bref, c’est une bonne droite qui te fait voir les étoiles.

Gorilla Girl, Anne Schmauch (Sarbacane)
collection Exprim’
disponible depuis le 7 octobre 2020
9782377314690 – 16€
à partir de 13 ans
Son
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Après l’apocalypse

Nos deux romans du jour explorent le genre du post-apocalyptique, soit ce qui se passe après que le monde se soit effondré suite à une catastrophe de grande ampleur. Si les causes et les conséquences ne sont pas les mêmes, tous les deux sont en revanche diablement efficaces ! ☢

RC 2722 – David Moitet

Oliver a grandi dans un abri souterrain après le grand effondrement qui a vu la disparition de l’humanité. Un jour, alors qu’il doit effectuer une maintenance dans l’un des niveaux les plus dangereux de l’abri, il découvre des traces de pas laissant à penser que quelqu’un est sorti… Comment est-ce possible alors que la surface est irrespirable et radioactive ? Oliver n’est clairement pas au bout de ses surprises, surtout quand son père décède mystérieusement et que son frère est condamné à l’exil…

David Moitet imagine un effondrement causé par la sècheresse, le réchauffement climatique qui voit les paysages français changer radicalement et se transformer en déserts. Jusqu’à ce que les populations, manquant d’eau, soient contraintes de trouver refuge ailleurs… Une épidémie – tiens donc ! – et la misère plus tard, seuls quelques privilégiés pourront avoir une place dans ces abris souterrains… La quête de vérité d’Oliver nous dévoilera à la fois le passé de cette France qui connaîtra les réfugiés climatiques et ce qui se passe réellement à la surface. Le scénario est assez classique mais, comme toujours avec David Moitet, le rythme est bien dosé, efficace, la lecture fluide et on s’attache immédiatement à ses personnages. Seul le « méchant » est sans doute découvert trop tard pour avoir un retournement crédible, mais Oliver et Tché, que je vous laisse découvrir, forment un duo explosif ! Un roman entre Fallout et Mad Max qui nous tient en haleine jusqu’au bout !

RC 2722, David Moitet (Didier Jeunesse)
disponible depuis le 23 septembre 2020
9782278098392 – 15,90€
à partir de 13 ans

Bpocalypse – Ariel Holzl

Samsara est une lycéenne et vit à Concordia, où tout un tas de dangers l’attendent à tous les coins de rue : fantômes, animaux mutants et autres joyeusetés laissées par l’Apocalypse huit ans plus tôt. Mais avec sa batte de base-ball et ses talismans, la route vers le lycée est habituellement plutôt calme. Alors que cette rentrée avec ses amis Danny et Yvette les verra choisir un stage, une nouvelle les secoue : la ville lève la quarantaine de l’ancien parc public où vivent des mutants qui arrivent justement dans leur classe !

Autre ambiance avec Ariel Holzl qui nous offre un décor et des créatures dignes de films d’horreur. Ici, l’apocalypse c’est une comète qui s’est écrasée sur la Terre, apportant avec elle des contaminations et mutations qui se sont attaquées autant à la faune et la flore qu’aux êtres humains. Concordia est la seule ville encore debout, bien qu’aux nombreux quartiers bouclés et aux dangers aussi terrifiants que différents. L’ouverture d’une nouvelle partie de la ville est un véritable événement et va susciter autant la méfiance que la peur et le rejet. Et c’est là que Samsara se révèle être un personnage tout en nuances, une héroïne aux croyances bien arrêtées qui va devoir composer entre son rêve d’intégrer la Milice pour aller exploser du mutant et la réalité de ce nouveau monde dans lequel elle vit (et qui lui révèlera là aussi bien des secrets et vérités inattendues). L’intrigue est peut-être un peu longue à démarrer, ne sachant tout d’abord pas trop où on nous emmène mais l’univers original, un peu punk et beaucoup déjanté, nous accroche, tout comme les thèmes finalement très universels de l’acceptation de la différence et des mauvaises décisions que l’on prend au nom d’une cause que l’on croit juste. A découvrir, d’autant plus à l’école des loisirs qui ne nous avait pas habitué au genre !

Bpocalypse, Ariel Holzl (L’école des loisirs)
collection Médium +
disponible depuis le 7 octobre 2020
9782211310161 – 17€
à partir de 13 ans
Son
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L’année de grâce – Kim Liggett

Tierney a seize ans et, comme toutes les jeunes filles de son âge et de sa communauté, elle va entrer dans son année de grâce. Une année dont personne ne parle, et surtout pas les femmes, mais qui doit permettre à toutes les jeunes filles de se débarrasser de leur magie. Elles sont alors envoyées à l’écart de la communauté, où il leur faudra dissiper toute trace de cette magie pour revenir purifiée…

Dans cette communauté hors du temps, fondée sur la religion, les filles n’ont que trois destins possibles : devenir épouse et mère (la meilleure situation, évidemment) ; travailler dans les maisons de labeur ou en domesticité ; vendre leurs corps dans les quartiers extérieurs. Si cela vous rappelle l’univers de La servante écarlate, le roman de Kim Liggett n’en est effectivement pas si éloigné. On retrouve en effet dans L’année de grâce une réflexion glaçante sur la place de la femme dans une société régie par les hommes et par la religion. La société est d’une violence inouïe pour ces jeunes filles et ces femmes à qui on inculque depuis toujours qu’elles ont un pouvoir terrible dont elles doivent se débarrasser. L’année de grâce, sorte d’exil au fin fond de la forêt, dans un domaine encerclé d’une palissade, à la merci de ces braconniers qui tuent les filles qui s’égarent hors du portail pour en retirer leur magie par le dépeçage et le prélèvement d’organes, est proprement effrayante. Dans cette société, Tierney se démarque de ses camarades par sa volonté de ne pas vouloir se marier – censé être le rêve de toutes ! – de rester libre de choisir celui qu’elle voudra épouser si elle en a envie, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Et, surtout, elle rêve ! Elle rêve d’une fleur et d’une jeune femme qui l’incite à la révolte, à penser par elle-même. Mais alors que Tierney arrive dans l’enceinte qui voit son année de grâce débuter, tout ce qu’elle croit et croyait savoir se brise dans un huis-clos où la folie de ses camarades ne fait que commencer…

Obsédant, le roman de Kim Liggett nous fait entrer tout de suite dans une ambiance envoûtante et angoissante, dans une histoire intemporelle de révolte contre le système. Mais là où l’autrice nous surprend, c’est dans cette héroïne et cette histoire parfaitement réalistes, qui montrent une révolte qui se construit, qui prend du temps, qui s’insinue lentement et qui plantera ses graines là où il le faudra. C’en est vraiment très fort, d’autant plus que c’est servi par une écriture toute en suggestion et en patience, en pions savamment placés, mais ce sera peut-être frustrant pour les lecteurs qui aiment quand ça va vite. Mais le roman de Kim Liggett aborde aussi d’autres notions très fortes, particulièrement justes et définitivement effrayantes, comme la psychologie sociale qui régit cette communauté, et notamment le groupe de jeunes filles en année de grâce. C’est intelligent, puissant et ça apporte une vraie profondeur à l’histoire ainsi qu’au personnage de Tierney, jusqu’à cette fin incroyable. L’année de grâce, c’est un roman dont on pourrait parler des heures, un roman qui nous remue, nous marque et nous amène à réinterroger nos constructions sociales. Et c’est surtout un véritable hymne à la sororité. Un roman fascinant et absolument indispensable, à faire lire aux garçons comme aux filles. Une pépite ! ❤

L’année de grâce, Kim Liggett (Casterman)
disponible depuis le 7 octobre 2020
9782203036680 – 19,90€
à partir de 14 ans
Son
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Point de fuite – Marie Colot et Nancy Guilbert

Mona prépare son concours d’entrée à l’école des Beaux-Arts et passe un temps considérable avec son groupe d’artistes dans les musées où ils continuent de s’exercer. Et puis elle rencontre ce garçon, beau et merveilleux, dont elle tombe follement amoureuse. Mais bien vite, son amoureux si prévenant lui fait couper les ponts avec son meilleur ami Marin, l’éloigne progressivement de sa famille, lui fait rater son concours… La lumineuse Mona ressemble soudainement à cette « Femme qui pleure », un tableau de Picasso qui l’a toujours fascinée.

Vous l’aurez compris, Marie Colot et Nancy Guilbert racontent dans ce roman l’emprise. Et pour ce faire, nous allons entendre la voix de nombreux personnages : Mona, bien sûr, jeune fille passionnée et promise à un bel avenir qui se ternit en peu de temps ; son meilleur ami Marin, garçon engagé qui soutient Mona dans tous ses projets ; puis Ycare, ce fameux amoureux dont on sent tout de suite la fascination étrange qu’il éprouve pour Mona. Viendront ensuite d’autres personnages, Lya, Esther ou encore Cassien que je vous laisse le plaisir de découvrir car ils ont tous les trois des histoires passionnantes qui font toutes écho à celle de Mona. Car au-delà de la relation de Mona avec son tyran, il est question plus généralement de la violence, celle faite aux femmes mais pas que !

Si j’ai eu un peu de mal à entrer dans le roman dans les premières pages, notamment à cause des passages d’Ycare, Marie Colot et Nancy Guilbert ont finalement réussi à m’embarquer. Grâce au rythme provoqué par les changements de voix, grâce à un retournement plutôt inattendu. Et surtout parce qu’elles parviennent à faire un roman qui ne tombe jamais dans le glauque ou le voyeurisme facile. L’écriture est subtile, toute en pudeur, et c’est plutôt appréciable pour un roman sur un tel sujet. Pas de sensationnel, pas de listes d’horreurs mais une compréhension progressive des mécanismes de l’emprise, de la difficulté à en reconnaître les signes (pour Mona comme pour les autres) et à intervenir et venir en aide. C’est le réalisme, saisissant, de cette histoire qui nous touche, mais également les personnages et la façon dont ils vont tous finir par être liés dans une dernière partie salutaire.

Si vous aviez aimé Je te plumerai la tête qui évoquait la manipulation au sein de la famille, vous serez assurément sensibles à Point de fuite.

Point de fuite, Marie Colot et Nancy Guilbert (Gulf Stream)
collection Électrogène
disponible le 8 octobre 2020
9782354887919 – 18€
à partir de 14 ans
Son
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Serial Tattoo – Sylvie Allouche

Quand Ayo Madaki débarque dans le commissariat avec un sac plein à craquer de billets, Clara Di Lazio sent que l’affaire va être pour elle. Touchée par sa détresse, elle écoute le récit de cette mère dont la fille, Shaïna, s’est « vendue » pour 30 000€. La commissaire et son équipe sont désormais lancés dans une course contre la montre pour retrouver Shaïna, possiblement impliquée dans un trafic d’êtres humains…

Après Stabat Murder et Snap Killer, c’est avec une joie non dissimulée que l’on retrouve toute l’équipe de Clara Di Lazio dans une nouvelle enquête qui va mettre à l’épreuve nombre de personnages ! Et le chapitre d’ouverture donne le ton ! C’est d’ailleurs le tour de force du roman de Sylvie Allouche que de proposer une enquête policière dont les questions ne seront pas « qui ? quoi ? comment ? » puisque cette scène d’exposition nous révèle à peu près les raisons de la disparition de Shaïna, nous donne une idée de la fin et que l’on découvre très rapidement qui est le commanditaire. Mais alors quid de l’investigation ? du suspense ? Il est bien présent car certains éléments restent obscurs… Mais, cette fois, Sylvie Allouche nous emmène vraiment au plus proche de l’équipe de Clara et apporte une véritable profondeur aux personnages, nous attachant toujours plus à eux. Et à Louise en tête, jeune recrue épatante découverte dans Snap Killer, qui va se retrouver dans une délicate situation d’infiltration.

Dans Serial Tattoo, Sylvie Allouche aborde le thème du trafic d’êtres humains. Clara va d’ailleurs devoir collaborer avec son homologue de la brigade de répression du proxénétisme, puisque leur enquête va les mener au Bois de Vincennes où des jeunes filles venues du Nigéria (mais sans doute pas que !) sont mises sur le trottoir. Un sujet d’autant plus fort et terrible qu’il est assez désespérant sur l’état de notre monde, des droits humains et de la façon dont il semble impossible d’enrayer un tel trafic… Nos policiers vont avoir leurs nerfs mis à rude épreuve dans cette enquête qui sera bien pire que ce qu’ils imaginent ! Avec ce troisième tome, Sylvie Allouche affirme ses personnages, nous promet encore de nombreuses surprises, et confirme son talent et sa place indispensable sur les étagères de polars pour ados. Une enquête encore une fois passionnante, efficace, haletante et pertinente ! On en redemande !

Serial Tattoo, Sylvie Allouche (Syros)
disponible depuis le 20 août 2020
9782748526806 – 16,95€
à partir de 13 ans
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Âge tendre – Clémentine Beauvais

Comme tous les élèves de France, Valentin doit effectuer son service civique obligatoire avant son passage en seconde. Malheureusement, ses vœux ne sont pas respectés et il se retrouve dans un centre pour personnes âgées atteintes de démence qui reconstitue les époques d’enfance de ses pensionnaires, et le tout au cœur du Pas-de-Calais ! Voilà Valentin plongé dans les années 60-70, période dont il ne connaît absolument rien, et qui, dès les premiers jours de son « serci » se retrouve avec une mission prétendument simple…qu’il va faire complètement capoter ! Niveau d’angoisse : 9/10 !

🎶 Bob chante du Françoise Hardy

Quel plaisir de retrouver Clémentine Beauvais dans ce roman résolument pop, drôle et original ! Une originalité qui passe tout d’abord par la forme, peut-être un peu rigide et difficile d’entrée au premier abord : un rapport de stage ! Car dans cette France dirigée par une présidente (la même que celle des Petites reines ?) où tous les élèves de 3e doivent faire soit un service civique, soit l’armée, ils doivent aussi rédiger un rapport de « serci » qui comptera dans leur note de bac et montrera à quel point le dispositif les a préparé à tout plein de choses utiles pour leur avenir. Ainsi, entre les premières consignes, les conseils de rédaction et les présentations un peu guindées de Valentin, l’attachement semble compliqué. Mais très vite, on découvre que Valentin a bien dépassé son quota de pages allouées et son journal de « serci » va très vite prendre toute la place, attisant par la même occasion notre affection pour ce garçon un peu coincé, un peu bizarre, un peu angoissé, complètement à l’ouest mais surtout très drôle malgré lui ! Et nous voilà embarqués dans cette histoire où la jeunesse insouciante découvre ce qu’est la vieillesse et notamment la perte de mémoire. Vous le pensez bien, Valentin va évoluer au fil de son travail à l’unité Mnémosyne, ces établissements fictifs controversés dans lesquels sont reconstituées les époques de jeunesse des patients. Et on le constatera grâce aux « notes rétrospectives » glissées au fur et à mesure du rapport, dans lesquelles Valentin revient sur ses commentaires initiaux.

Une comédie d’apprentissage tendre et subtile, émaillée de références aux sixties, pleine d’humour et de gloussements, qui offre aussi de très beaux moments d’émotion, de réflexions sur la mémoire et le deuil. Clémentine Beauvais parvient à nous surprendre à chaque nouveau roman et, cette fois encore, on en ressort enchanté !

📚 Lisette a envie de faire un stage dans le 59

Âge Tendre est un récit sensible et loufoque qui bouleverse et agrandit un peu le coeur. La forme de ce texte sous forme de vrai-faux rapport de stage / journal intime a conquis le coeur d’étudiante de Lisette. Le lecteur découvrira Valentin qui se dévoile au contact des pensionnaires de l’unité Mnémosyne, son évolution se retrouve même dans l’écriture, une prouesse stylistique ! Clémentine Beauvais réussit avec brio à nous embarquer dans les années 60 dans cet établissement hors du commun où tout est minutieusement reconstitué pour ressembler à un village de cette époque. On y contrôle tout : la pluie, les couleurs des murs et aussi la musique qui passe ! (La reconstitution de ce lieu est remarquable et n’est pas sans rappeler le merveilleux film de La Belle époque réalisé par Nicolas Bedos). Valentin, si sensible, va trouver dans ce lieu un certain réconfort mais attention à ne pas oublier la vrai vie ! Clémentine Beauvais évoque joliment cet âge tendre où l’on se rend compte que la vie est plus nuancée : oui on peut mentir à un résident pour qu’il ne souffre pas, oui parfois l’amour est comme dans les chansons : fou et ne dure pas toute la vie.

Ce roman plaira à tous les garçons et les filles de tout âge. Il vous donnera envie de réécouter François Hardy, d’aller faire un câlin à votre grand-mère en lui demandant de vous raconter son histoire, de regarder les couples qui se tiennent la main avec beaucoup d’amour et d’être heureux tout simplement.

Âge tendre, Clémentine Beauvais (Sarbacane)
collection Exprim’
disponible depuis le 19 août 2020
9782377314652 – 17€
à partir de 13 ans
Son
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Pour la beauté du geste !

Nos deux héroïnes du jour ont en commun la réalisation d’exploits sportifs remarquables. Traverser les Etats-Unis d’ouest en est en courant, grimper sur le plus haut sommet du monde : ça vous en bouche un coin, hein ? Heureusement, ces incroyables efforts qui nous font déjà suer sont littéraires et, s’ils vous laisseront peut-être pantelants après votre lecture, vous en ressortirez en revanche sans courbatures et avec deux modèles d’une jeunesse engagée ! Prêts ? Partez !

A en perdre haleine – Deb Caletti

Un soir, après être allée chercher un burger, Annabelle décide de tout laisser en plan, et se met à courir. Elle ne s’arrêtera pas avant d’avoir atteint Washington, la capitale, soit l’exact opposé de sa position sur la carte. Accompagnée par son grand-père qui la suit en camping-car, Annabelle court car elle a quelque chose à dire, un combat à mener.

Et ce combat, on le découvrira au fur et à mesure des révélations qu’Annabelle nous confiera. On le devine en filigrane, une tragédie a frappé la vie de l’adolescente et la course devient sa façon de réagir, de se sortir de ce statut de victime qu’on lui attribue depuis lors, de faire passer un message, d’accepter, peut-être, ce qui lui est arrivé, et de trouver une forme d’apaisement. Le roman nous tient en haleine, de la même manière qu’Annabelle travaille son souffle pour tenir un marathon de près de cinq mois. La façon de toucher du doigt le cœur du sujet, avant qu’Annabelle ne le repousse, est parfois un peu agaçant pour le lecteur, mais participe à l’attachement pour cette héroïne qui n’a pas conscience d’inspirer, que son message peut aller au-delà de sa propre expérience. De jolies rencontres émaillent l’aventure d’Annabelle, mettent en perspective son histoire et montrent l’intérêt grandissant du grand public pour son combat. Deb Caletti nous offre un roman sensible, aux réflexions sociétales fortes, même si parfois un peu trop appuyées (les attentes de la société sur la façon dont « doivent être » les filles, par exemple, sont clairement indispensables, mais ce n’est pas toujours amené très subtilement). Engagé et inspirant !

A en perdre haleine, Deb Caletti, traduit par Maud Desurvire (PKJ)
disponible le 3 septembre 2020
9782266292962 – 18,50€
à partir de 14 ans

8848 mètres – Silène Edgar

Mallory a quinze ans et est la plus jeune alpiniste à tenter l’ascension de l’Everest. Avec son père, ils s’entraînent depuis toujours et, cette fois, ils se lancent dans cette incroyable aventure. Avec leur équipe, ils se préparent, évaluent les risques et découvrent ce parcours d’ascension qui ne ressemble à rien de ce qu’ils avaient fait jusqu’à présent…

Et Mallory va découvrir bien plus que le « simple » exploit sportif de gravir le sommet de l’Everest du haut de son adolescence. Car l’Everest, ce n’est pas n’importe quelle montagne. Alors que la jeune fille doit composer entre l’attention portée à sa santé, son oxygène et le froid capable de la tuer, elle est aussi malgré elle une curiosité qui pousse les médias à s’intéresser à son périple, lui demandant l’effort supplémentaire de réaliser des interviews. Silène Edgar nous invite ainsi à découvrir la manière dont se prépare une telle ascension, entre passages très descriptifs du trajet, de la façon dont tout cela s’organise, et des moments plus introspectifs qui nous emmènent aux côtés de Mallory et de la révélation que va être l’Everest pour elle. Car si, au départ, il s’agissait surtout de réaliser cet exploit avec son père, gravir l’Everest c’est aussi découvrir tout ce que cela recouvre : la pollution importante à quelques mètres du sommet et les effets du réchauffement climatique, la mort inéluctable au moindre faux pas, et la philosophie bouddhiste autour de la montagne. Un parcours initiatique qui va ainsi bien au-delà de l’exploit sportif pour se découvrir soi et le monde qui nous entoure. Un roman tout aussi engagé que le précédent, sur la préservation de la nature, avec une héroïne toute aussi attachante et déterminée.

8848 mètres, Silène Edgar (Casterman)
collection Ici/maintenant
disponible depuis le 10 juin 2020
9782203064317 – 16€
à partir de 12 ans
Galerie
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L’âge des possibles – Marie Chartres

Chicago. Saul et Rachel y sont en amoureux pour faire leur Rumspringa, une parenthèse hors de la communauté amish, qui leur permettra de découvrir le monde moderne pour le rejeter en toute connaissance de cause. Temple, quant à elle, doit quitter sa petite vie casanière pour rejoindre sa sœur à Chicago, mais la peur la paralyse. Dans cette immense ville, celle qui se pose trop de questions et ceux qui devraient ne pas s’en poser vont se perdre et se trouver. Mais ils vont aussi trouver des réponses qu’ils auraient peut-être préféré ignorer…

A chaque chapitre, nous entendons une voix différente. Toutes ces voix expriment avec justesse la ferveur et le doute de l’adolescence. Le couple Saul et Rachel vont connaître, grâce à ce voyage, le monde des empressés, notre monde à nous : le métro, l’ignorance des gens, le bruit mais aussi le goût des bonbons, la ferveur de la ville, le chamboulement du désir et l’Art qui prend une grande place dans ce roman… C’est un bonheur que de parcourir avec eux la ville. L’autrice nous la fait découvrir à travers tous les sens : le goût, les odeurs, les couleurs… C’est poétique et très touchant de parcourir notre monde à travers leurs regards naïfs.

Quel plaisir de retrouver la narration de Marie Chartres qui a le goût des mots. Dans ce roman, on trouve de la poésie dans les dialogues, de la justesse de cœur mais aussi de l’élégance et de l’humour face au monde. Le duo d’amoureux m’a bouleversée dans leurs questionnements, la conscience qu’ils ont de leur éducation, leurs doutes et leur tendresse l’un envers l’autre.

« J’ai observé Rachel à la dérobée. Je savais qu’elle avait adoré la phrase que venait de prononcer cet homme. Elle est tellement attentive aux mots. Rachel est comme cela, elle aime quand l’intime surgit accidentellement, tel un animal sauvage au détour d’un virage. Elle aime, malgré tout, les joyeux petits accidents dans les phrases et les yeux des gens. Je pense qu’elle ne le sait pas, mais moi, je le sais. »

Ce roman nous transporte dans l’adolescence, cet âge des possibles où tout peut basculer, où l’on comprend que la vie a toujours plus d’imagination que nous.

Un roman touchant qui nous embarque dans ce moment d’émerveillement, de liberté, qui parlera à tout les adolescents. Il faut savoir que Bob et Lisette adorent la plume de Marie Chartres, vous pouvez retrouver les chroniques de ces précédents romans. Ce roman est à la hauteur de ses précédents, lisez-le les yeux fermés ! (Bob me dit à l’oreille que ce ne sera pas pratique… aucune imagination)

L’âge des possibles, Marie Chartres (l’école des loisirs)
collection Médium
disponible depuis le 19 août 2020
9782211309714 – 15€
à partir de 14 ans