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Enterrer la lune – Andrée Poulin

Dans un petit village en Inde, Latika déteste la Lune. Car elle est la raison pour laquelle elle et toutes les autres filles et femmes de son village sont obligées d’aller dans le champ de la Honte. Elle est la raison pour laquelle sa grand-mère est alitée, pour laquelle sa tante pleure tout le temps et pour laquelle les filles ne peuvent plus aller à l’école une fois qu’elles sont devenues femmes… Alors lorsqu’un représentant du gouvernement, M. Samir, se présente dans son village, Latika est prête à briser les tabous pour concrétiser une idée qui changera sa vie.

Ce champ de la Honte, c’est celui dans lequel Latika et les autres femmes du village sont contraintes de faire leurs besoins. Car il n’existe pas de d’installations sanitaires, comme pour 4 milliards d’autres personne dans le monde (un chiffre ahurissant !). En plus du manque d’hygiène, d’intimité, les risques sont grands pour ces filles qui doivent attendre la nuit pour se soulager en secret. Comme pour sa grand-mère qui est alitée à cause d’une piqûre de scorpion dérangé pendant la nuit, ou sa tante qui a perdu son bébé à cause de la fièvre et du manque d’hygiène. Alors Latika déteste la nuit, cette Lune qui l’éclaire si faiblement pendant qu’elle doit se cacher pour accomplir un besoin qui semble si simple et évident et lui enlève sa dignité, ce champ qui est le symbole de cette honte que les femmes doivent cacher et accepter sans rien dire, cette inégalité qui la sépare des garçons, qui l’empêchera de poursuivre ses études à l’école lorsqu’elle atteindra la puberté. Pour raconter cette injustice, Andrée Poulin a choisi le vers libre, une succession de textes courts et poétiques qui disent la honte, la colère, la pudeur et la détermination de cette jeune fille courageuse et idéaliste qui profitera de la venue de M. Samir pour oser prendre la parole et demander des toilettes pour toutes les femmes de son village.

Un texte subtil et délicat merveilleusement illustré par l’illustratrice indienne Sonali Zohra. Des couleurs chatoyantes et vibrantes, avec une dominante du violet, qui illuminent complètement ce récit plein d’espoir. Un roman qui permettra également de prendre conscience de ces privilèges qui nous semblent acquis, mais ne le sont pas pour toutes et tous.

Enterrer la lune, Andrée Poulin, illustré par Sonali Zohra (Alice Jeunesse)
collection Deuzio
disponible le 10 février 2022
9782874264801 – 14€
à partir de 10 ans
Son
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Le jour où je suis mort, et les suivants – Sandrine Beau

Lenny, Saphir, Biscotte et Esteban sont quatre garçons en prise avec un mal-être qu’ils tentent de dissimuler, de cacher à leur entourage ou au contraire de dire, d’exprimer, bien que personne ne semble comprendre. Tous les quatre sont, ou ont été, victimes de violences sexuelles.

Il y a quelques années, Sandrine Beau traitait déjà avec beaucoup de justesse le sujet des regards, des paroles ou des gestes déplacés d’un adulte sur une jeune adolescente dans La porte de la salle de bain. Dans ce nouveau roman, elle réussit encore une fois à se faire la voix de ces quatre garçons abusés dans leur enfance ou leur adolescence par des adultes. Lecture difficile et bouleversante par son sujet, d’autant plus avec le premier chapitre qui nous fait découvrir Lenny et ses tentatives de mettre fin à ses jours, chaque protagoniste va nous livrer son histoire à travers leur infinie détresse, leur honte, leur dégoût de soi, leur incompréhension ou leur haine, et, pour certains, leur résilience. Roman à quatre voix, tout ne nous est pas raconté de la même manière, parfois en « je », une autre fois sous forme de journal intime, ou encore par l’un des garçons devenu adulte, permettant ainsi d’écouter chacun à son propre rythme, nous révélant quand il le souhaite, quand il se sent prêt, ce qui lui est arrivé. Une libération de la parole qui trouvera tout son sens lors d’une salutaire journée de lycée.

« Ça n’arrive pas aux garçons ce genre de choses ». Sujet tabou qui persiste, à cause de ce que la société attend encore et toujours d’un garçon, Sandrine Beau montre l’emprise, l’abus de pouvoir, que ces adultes – souvent des proches – ont sur ces jeunes, rendant la dénonciation encore plus difficile. Et jamais, jamais, Sandrine Beau ne tombe dans le pathos ou le glauque. Elle nous rend les émotions, les cheminements de pensée, les vérités de chacun, avec subtilité et finesse. Elles n’en sont pas moins graves ou poignantes pour autant, mais on peut véritablement saluer l’intelligence de l’écriture et du scénario. Un roman court, tout en tension, qu’on lit d’un seul souffle. Percutant, sensible et assurément indispensable.

Le jour où je suis mort, et les suivants, Sandrine Beau (Alice jeunesse)
collection Tertio
disponible depuis le 8 octobre 2020
9782874264368 – 12€
à partir de 13 ans
Son
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Dans de beaux draps – Marie Colot

9782874262708,0-2747908

Jade, 14 ans, vit dans une famille nombreuse mais recomposée : chaque enfant est issu d’un père ou d’une mère différents. Un jour arrive Rodolphe, le fils de son beau-père, plus âgé et super craquant. Une simple photo de lui sur Facebook va entraîner Jade sur la piste du mensonge, un mensonge qui va vite la dépasser…

★★★★☆

Bob et Jean-Michel sont vraiment très heureux de ne plus être au collège ou au lycée à l’heure des réseaux sociaux. Dans ce roman, Marie Colot s’intéresse donc à l’importance et l’omniprésence de Facebook, Twitter et consorts dans la vie des adolescents. Mais surtout, à leur dérive et à ce qu’il y a de pire dans leur utilisation : la jalousie, les insultes, les moqueries, les menaces… Comment Jade, jeune fille intelligente mais un peu transparente, va devenir la fille « populaire » après avoir posté une photo de Rodolphe, son demi-frère, dont tout le monde va penser qu’il est son petit ami…et qu’elle ne va pas démentir. A partir de ce moment, la vie de Jade semble s’améliorer à son goût : elle devient copine avec les filles les plus cools, se fait gentiment draguer par les mecs plus âgés…jusqu’au moment où son ancien flirt éprouve de la jalousie. Tout commence alors à se gâter pour Jade, qui va subir non seulement un harcèlement en ligne mais également au collège… Jusqu’au soir où tout dérape…

Dans de beaux draps, court roman mais percutant, est passionnant par son évocation de l’adolescence et de la difficulté de s’y sentir bien. L’écriture de Marie Colot est forte, efficace, et nous entraîne du début à la fin avec une facilité déconcertante. Roman sur les réseaux sociaux oblige, de nombreux statuts Facebook s’insèrent dans la narration, nous rendant encore plus proche de Jade et de son malaise. J’ai beaucoup apprécié cette histoire, cette tension durant tout le roman où l’on sait que quelque chose de terrible va se passer (Jade nous le dit dès le premier chapitre), sans savoir quoi tout en se doutant et redoutant d’y arriver. Réflexion sur le mensonge et la volonté de s’exhiber sur le net, d’être aimé et reconnu, Marie Colot signe un roman juste, non dénué d’humour malgré tout ce que j’ai pu en dire, qui trouvera une résonance significative chez les adolescents.

Dans de beaux draps, Marie Colot (Alice jeunesse)
collection Tertio
disponible depuis le 29 octobre 2015
9782874262708 – 12€
à partir de 14 ans

Discussion
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La belle rouge – Anne Loyer

9782874262678,0-2687681

Kader est un adolescent en difficulté qui a navigué de familles d’accueil en foyer, passages entrecoupés de démêlés avec la justice. Son quotidien est bien loin de lui convenir dans son centre pour mineurs et il donne du fil à retordre à Christian, éducateur. Un soir de dispute, Kader s’enfuit et ouvre la première porte d’un camion qu’il trouve ouvert sur un parking, celui de Marje, une camionneuse au fort tempérament. La rencontre entre ces deux personnages est détonante, pour notre plus grand plaisir. 🙂

Dans la camionnette de Jean-Michel

★★★★☆

Une rencontre hors du commun qui m’a captivée : entre un rebelle à tendance petit délinquant qui se cherche et une femme solide qui ne jure que par son engin qu’elle surnomme « la belle rouge », les échanges sont croustillants. Persuasive, Anne Loyer nous fait adorer ce duo surprenant. Quand Marje découvre le jeune homme dans son habitacle, sa première réaction est de le jeter dehors après qu’il eût été passablement désagréable et impoli. Rapidement, elle va le rapatrier près d’elle et faire en sorte de lui délier la langue…cet adolescent en fugue envahissant son espace vital doit bien avoir quelques révélations à faire ? Abandonné par sa mère très jeune, Kader a en tête de la rejoindre au Maroc aujourd’hui – il ne le dit pas mais ce garçon a besoin d’une figure maternelle, d’un réconfort qui briserait sa forteresse de solitude. Gros dur au cœur meurtri, il va trouver en Marje le symbole d’une guide impétueuse et moelleuse (oui moelleuse, parfaitement : Marje me fait cet effet-là). Cette conductrice aguerrie possède aussi un lourd secret, échange de bon procédé : elle se dévoilera au fil des révélations de Kader. L’histoire s’inscrit dans la réalité : il ne s’agit pas d’un conte moderne où le rose est prépondérant et la fin à paillettes. Ici, les responsabilités sont prises en considération…Marje emmène l’adolescent avec elle certes, mais elle a des responsabilités en agissant ainsi, et elle les prend. Un roman terre-à-terre où deux exclus jouent des coudes dans l’axe brutal de la vie et trouvent les réponses à leurs questions. Merci Anne 🙂 (quoiqu’un peu court ce roman : on voulait encore plus de Marje et de Kader).

En stop avec Bob

★★★☆☆

C’est justement ce que j’ai le plus regretté : que le roman soit si court. Je rejoins Jean-Michel sur cette très belle relation qui se noue entre ces deux personnages cassés par la vie. Mais j’aurais aimé notamment mieux connaître Marje, son quotidien de routière et ce secret qu’elle ne révèle à personne. J’ai eu l’impression de voir passer cette histoire aussi vite que la Belle rouge sur l’autoroute, sans avoir eu le temps d’en apprécier toutes les couleurs et tous les détails. Sans doute que les personnages secondaires, Amandine et Christian, les éducateurs de Kader, dont l’histoire s’écrit en parallèle, et auxquels je ne me suis pas particulièrement attaché, ont contribué à cette impression. Il n’en reste pas moins un beau roman, une belle rencontre.

La belle rouge, Anne Loyer (Alice)
collection Tertio
disponible depuis le 15 octobre 2015
9782874262678 – 12€
à partir de 13 ans

Son
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Lettre à Line – Amélie Billon

9782874261794, 0-1513467

Louise, aujourd’hui adulte et maman, écrit à Line, son amie d’enfance, après que sa fille Hélène a retrouvé une photo d’elles deux lorsqu’elles avaient treize ans entre les pages d’un livre. Au fil de son écriture et de ses souvenirs d’adolescente, Louise se remémore cette période qui se révéla dramatique…

★★★★☆

Quelle force et quelle émotion dans cette longue lettre qui compose pourtant un très court roman ! Il n’y a pourtant rien d’original dans cette histoire : des souvenirs d’adolescence, cette volonté de vouloir s’intégrer dans le groupe quand on ne correspond pas aux « canons » (trop grosse pour Louise, trop maigre pour Line) ou celle de vouloir rester telle que l’on est, les moqueries et le harcèlement subi durant les années scolaires, une maladie qui ronge un corps…
Mais l’écriture d’Amélie Billon est juste, pleine de sensibilité. L’émotion grandit au fur et à mesure de la lecture, en même temps que la culpabilité éprouvée par Louise. Car il s’agit avant tout d’une amitié brisée, un abandon de la part de Louise de son amie la plus chère et qui avait sans doute plus besoin d’elle qu’elle ne le pensait… Si Line lui paraissait forte, capable de rester elle-même malgré la pression du groupe, les railleries, elle luttait pourtant contre une maladie terrible. Et Louise n’ouvrira les yeux que lorsque le drame sera là.
Un très beau roman, auquel les jeunes filles d’aujourd’hui ne seront sans doute pas étrangères. Et, encore une fois, un texte important sur le harcèlement et ses conséquences…

Lettre à Line, Amélie Billon (Alice)
collection Tertio
en librairie depuis le 26 mars 2015
9782874261794 – 11€
à partir de 13 ans