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Samedi 14 novembre – Vincent Villeminot

Une lecture qu’on redoute, à cause de sa thématique. Bien sûr à la réflexion la réticence s’amoindrit car on sait que Vincent Villeminot maîtrise ses sujets et que Tibo Bérard est minutieux même dans l’intensité, alors qu’est-ce qu’on risque ?

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Le vendredi 13 novembre, B. perd son frère Pierre. Après un moment d’errance, il reconnait l’un des terroristes dans le métro et décide de le suivre. Prêt à tout, perdu dans son chagrin et ses incompréhensions il va s’adonner à l’expérience malheureuse de la vengeance…

★★★★★

Le rôle de leur vie

« mon frère Pierre est mort » et « l’Arabe », ces mots seront répétés de nombreuses fois par B. comme les litanies d’un homme fermé qui n’a pas encore la force de voir au-delà de son propre obscurantisme. Retranché chez sa soeur dans le nord, le présumé terroriste (on évite les conclusions trop hâtives dès le début du roman) sera séquestré par B. Ce qui suit ne sera que le théâtre de l’absurdité d’une violence arrivée trop tôt et par erreur dans la vie d’un homme. Un acte sauvage pour un acte sauvage. En attaquant dans leur foi cette fratrie dans des scènes qui coupent le souffle, B. devient l’ennemi à son tour. Les deux hommes ne semblent plus si différents désormais.

« Alors elles faisaient peur, les victimes ? Elles feraient peur, davantage que pitié ? »

C’est être témoin de leur plongée dans l’inconnu qui l’est. Mais les bêtes redeviennent des hommes, aussi au fil du roman B. devient Benjamin et l’Arabe Abdelkrim al-Raqiq. Benjamin vomit et Abdelkrim se souille : doit-on y voir la fuite de leur haine ? Benjamin semble reprendre sa forme humaine en donnant son prénom à Layla, la cadette al-Raqiq qu’il a humiliée et torturée.

Layla, meilleur espoir féminin
« S’il y a un problème avec l’islam en France, c’est toujours pour nous…les filles »  (Layla)

Elle a été la victime facile de Benjamin. Prise d’assaut dans la cage d’escalier de l’immeuble elle a d’abord cru aux prémices d’un viol avant de réaliser qu’elle allait devenir la cible des actes causés par son frère. Son sang-froid est bouleversant : elle a subit en silence les avilissements de B. De l’ingestion de porc en passant par la nudité forcée devant une caméra, elle est restée drapée dans la dignité et le calme. Après l’orage dans la tête de Benjamin, les excuses, les remords et les discussions sont engagés. Autant de compréhension et de recul dans un si petit corps me sidère. Elle semble pouvoir désamorcer tout ce qui est susceptible d’être sauvé, y compris Benjamin. Toute la définition de l’espoir réside en Layla.

Les figurants

Le choix d’exploiter ce lendemain du point de vue des anonymes est éminent : de la jeune étudiante au vieux barbu de la gare en passant par une infirmière, un père, tous se questionnent et ignorent comment agir. Des inconnus qui nous ressemblent et qui essaient, chacun apportant une perspective différente.

« Est-ce ça qu’ils attaquent, vraiment ? Le fait de rire, de boire, de mettre des robes légères, d’aller à un concert, en terrasse, de danser ? Vraiment ? Est-ce si subversif ? Ça les empêche de quoi, ces salauds ? D’être purs ? Elle ne sait pas. Elle est un peu perdue. »  (Ninon)
La prochaine séance…

…c’est vous qui en décidez. Comme un dvd qu’on regarde chez soi, cette lecture-visionnage est intime et Vincent vous laisse la télécommande. Les chapitres sont composés de 5 grands actes chacun contenant une part douloureuse, entrecoupés d’entractes qui nous permettent de reprendre notre souffle. Et quelquefois en pleine action, des arrêts sur image, des pauses minutieusement choisies. Si bien que nos questions pleines d’inquiétudes ont à peine le temps d’émerger que la réponse est déjà écrite. Et le générique de fin : les crédits de l’auteur qui lui aussi, apporte sa perspective à l’édifice.

Samedi 14 novembre, Vincent Villeminot(Sarbacane)
collection Exprim’
disponible depuis le 2 novembre 2016
9782848659220 – 15,50€
à partir de 14 ans
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Le seul et unique Ivan – Katherine Applegate

seuluniqueivanAvertissement : aucun lecteur n’est trop vieux, trop occupé ou trop insensible pour lire une telle histoire. Mademoiselle Applegate nous tire les larmes et je ne sais pas si je dois la maudire ou la serrer très fort dans mes bras. Le Grinch lui-même serait difficile de ne pas faire preuve d’empathie avec l’histoire d’Ivan.

★★★★★

Ivan est un gorille qui vit paisiblement son existence dans la ménagerie d’un centre commercial, à la vue des hommes qui l’observent à travers les vitres de sa triste habitation. Sa vie dans la jungle ne lui manque pas, il y pense à peine d’ailleurs. Son quotidien est ponctué par la télévision, qu’il regarde souvent, la présence de ses amis : Stella, une vieille éléphante et Bob, un chien errant. Ivan est avant tout un artiste : à travers ses dessins il essaie de capturer le goût d’un fruit ou le bruit des feuilles. Sa vie va changer lorsque Ruby, un éléphanteau va être arrachée à sa famille et son milieu naturel pour être placée dans cette même cage. Ivan va donc percevoir ce qu’aurait pu être sa vie et va désormais tout faire pour que Ruby soit heureuse…

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Nous faisons un sacré bout de chemin avec ce gorille. Ses paroles mélancoliques nous frappent en plein coeur et il y a mieux : son ami Stella l’éléphant tord votre âme en deux avec son histoire et ses sentiments. J’avais déjà pleuré en regardant « Dumbo » étant petite mais là ma cage thoracique résonnait tellement je voulais tous les serrer contre moi et leur dire que tout allait bien se passer. L’écriture est gracieuse, concise et colorée – rien n’est gaspillé, il n’y a pas un mot de trop. Ce qu’il y a d’intéressant avec l’écriture de Katherine (oui, je sens qu’on va devenir copines) c’est qu’elle implique son lecteur, pousse à la réflexion tout en racontant avec simplicité. Les points forts de ce roman : les observations philosophiques d’Ivan et son acceptation de la situation. Le récit poignant teinté d’humour et absolument merveilleux de Katherine Applegate nous reste dans la poitrine. Pas de doutes là-dessus : cette femme sait créer l’inoubliable.

Le seul et unique Ivan, Katherine Applegate (Seuil jeunesse)
en librairie depuis le 15 janvier 2015
9791023502886 – 12.50€
à partir de 9 ans jusqu’à 109 ans
Faites un tour sur le site de l’auteur

ivanremarkableSachez que ce roman est basé sur des faits réels, Ivan a existé. Katherine Applegate a écrit un autre ouvrage sur la vraie vie de ce gorille et les illustrations de Brian Karas sont déchirantes. A ma grande déception, ce livre illustré n’est pas traduit en français, mais voici un aperçu.
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Une arme dans la tête – Claire Mazard

Avec Bob, on aime beaucoup Claire Mazard : elle sait parler avec justesse des droits de l’enfant dans ses romans. Nous avons eu la chance de lire en avant-première (nous ne sommes pas n’importe qui 🙂 « Une arme dans la tête » qui paraîtra le 10 septembre prochain chez Flammarion. C’est un roman qui…comment dire, frappe fort ?

★★★☆☆

Appolinaire est un adolescent africain récemment arrivé en France. Plus jeune, il fût arraché à sa famille pour devenir un enfant-soldat parmi d’autres. Drogué, alcoolisé comme ses camarades, Appolinaire a été manipulé pour tuer. Dans son foyer parisien, il se remémore sans cesse toutes ces scènes violentes qu’il a vécu. Hanté par son passé, il essaie tant bien que mal de se reconstruire…

Malgré la sévérité du sujet, c’est un roman touchant. Le sujet n’est pas banal (comme souvent dans la collection « Tribal » et c’est fort appréciable), on est pris de compassion pour cet adolescent tourmenté mais des questions se posent sur son avenir en tant qu’adulte : comment se reconstruire ? peut-on vivre avec son passé ?

J’ai beaucoup apprécié le parallèle entre Appolinaire, notre adolescent et Apollinaire le poète bien connu : le professeur de français du jeune homme lui offre un recueil de cet auteur en espérant que ces quelques vers serviront à l’apaiser…Appolinaire découvre donc les vertus de la poésie ainsi que la rédemption, le pardon, l’amitié et l’amour.
Une certaine douceur dans ce livre malgré tout, qui contraste parfaitement bien avec un sujet qui représente malheureusement une triste réalité.

Une arme dans la tête, Claire Mazard
en librairie le 10 septembre
9782081261136, 10,50€
à partir de 14 ans
Les éditions Tribal : des grands formats au contenu de qualité à petits prix

Pour aller plus loin sur le sujet
* Allah n’est pas obligé, Ahmadou Kourouma (Prix Renaudot et Goncourt des lycéens 2000)
* Le chemin parcouru, mémoire d’un enfant soldat, Ishmael Beah (épuisé certes mais disponible dans ta médiathèque la plus proche)

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Le ciel nous appartient – Katherine Rundell

209 en librairie le 28 août
à partir de 12 ans
9782361932664
16,50 €

★★★★★

Tout le monde pense de Sophie qu’elle est une orpheline. Nulle femme n’a en effet survécu au naufrage qui la laissa, à l’âge d’un an, flottant dans un étui à violoncelle au beau milieu de la Manche. La fillette demeure cependant intimement persuadée que sa mère n’a pas sombré avec le navire. Alors,lorsque les services d’Aide à l’enfance anglais menacent Charles Maxim, son tuteur, érudit généreux aussi courtois que maladroit, aux méthodes d’éducation fantasques, de lui reprendre la garde de Sophie, celle-ci, suivant l’enseignement de ce doux rêveur, décide de ne négliger aucune possibilité, et part pour Paris en sa compagnie sur les traces de sa mère… Une cavale menée sous le signe de l’espoir, qui conduira la fillette aux cheveux couleur des éclairs sur les toits de la ville-lumière. Elle y fera la connaissance de Matteo et de sa bande de danseurs du ciel. Froussards et phobiques des hauteurs s’abstenir : mieux vaut avoir le cœur bien accroché pour pouvoir suivre ces gamins-là !

La présentation de l’éditeur était si parfaite, je n’ai pas pu m’empêcher de faire un copier/coller de prestidigitatrice 🙂 (je suis fourbe)

Encore une fois, la Rentrée littéraire des adolescents a frappé : ce roman est d’une telle envergure que je ne me suis pas arrêtée de lire une seule seconde.

J’étais à deux doigts de verser ma larme à la fin du livre. Il est difficile de ne pas avoir d’empathie pour les personnages :

Charles Maxim son attachement pour Sophie est irréfutable, ses démonstrations d’affections sont touchantes, son amour pour les livres est quelquefois original et sa compréhension de l’âme humaine impressionne. Moi aussi j’aurais beaucoup aimé mangé un plat en sauce sur un livre, c’est un souvenir que l’on doit avoir plaisir à se remémorer.
Sophie n’est pas une « vraie » fille : porter des jupes ? quelle idée, peut-on grimper sur les toits aisément ? mieux vaut porter un pantalon, de toutes façons c’est plus pratique pour jouer du violoncelle. C’est une jeune femme tenace qui a de l’énergie à revendre et qui sait capter la stupidité d’un esprit humain avec autant de flair que son tuteur, Charles. L’acharnement dont elle fait preuve pour retrouver sa mère est presque effrayant.
Toute la bande des toits de Paris, ces adolescents sans domicile fixe qui ne désirent que leur Liberté, qui continuent de grandir dans l’adversité sont des héros, aux yeux de Sophie comme aux nôtres.

Charles et Sophie forment un duo que j’affectionne particulièrement et je ne vais rien révéler de dramatique mais lorsque Charles verse une larme à la fin, ça nous touche.

Cette histoire est riche en tout, sachez-le.
Riche en voyages de Londres à Paris, des trottoirs aux toits
Riche en émotions de l’amour à la frustration avec une grosse touche d’aventure
Riche en valeurs  l’amitié, l’entraide et l’esprit de famille

Nous ne le dirons jamais assez, cette rentrée « envoie du pâté » 🙂
Pour aller plus loin www.editionsdesgrandespersonnes.com

merci aux éditions des Grandes Personnes pour les épreuves de ce livre dévorées au soleil

Son
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Indomptables – Philippe Arnaud

9782848657103,0-2306152

Avec Jean-Michel, on aime beaucoup la collection Exprim’ chez Sarbacane, qui nous propose toujours des textes d’une grande force. Et ce nouveau titre en est un exemple parfait !

Un adolescent de 16 ans nous fait découvrir l’histoire de ses parents : Jean-Jules et Olivia, à travers les paroles de l’un et le journal de l’autre. L’histoire commence alors voilà bien des années, quand Jean-Jules était un petit garçon au Cameroun. Il grandit à l’abri d’un manguier, où il retrouve tous les jours son ami Mohamadou. Ils chantent du Al Jarreau et rêvent de leurs vies à venir. Quant à Olivia, elle grandit en France où elle livre une guerre aux autres et à elle-même sans trop savoir pourquoi, elle chante sa rage et n’a qu’un seul ami, Ilian. Tandis que Jean-Jules mord la vie à pleine dents, Olivia ne cesse taillader la sienne… Comment deux êtres si différents, séparés par la mer, peuvent-ils se rencontrer ?

★★★★★

C’est toute la beauté de ce roman : deux histoires différentes, qui vont se rejoindre de façon totalement inattendue. Surtout quand l’histoire de Jean-Jules semble être la plus « importante » ; on ne retrouve en effet que très peu d’extraits du journal d’Olivia (mais on comprend très vite pourquoi). Il est parfois très difficile de dire pourquoi on a particulièrement aimé un livre et c’est un peu mon cas pour Indomptables mais je vais tenter de vous convaincre !

Beaucoup de thèmes sont abordés dans ce roman, des thèmes forts et terribles (l’extrémisme, la prostitution, le SIDA, etc.), qui donnent une grande force à ce très beau récit, qui est finalement une grande histoire d’amour. Le narrateur n’en est-il pas la preuve, au fond ? L’écriture est magnifique : lumineuse quand elle explore la vie sans soucis de Jean-Jules enfant, sombre quand il s’agit des écrits d’Olivia. Et Philippe Arnaud parvient, avec beaucoup de talent, à se glisser dans la peau d’un petit garçon qui joue sous un manguier comme dans celle d’une ado rebelle… Je me suis laissée emportée dans cette histoire et j’ai eu du mal à la laisser s’en aller une fois la dernière page refermée car c’est un récit qui vous prend littéralement aux tripes… Je n’avais encore rien lu de cet auteur (à dire vrai, il ne s’agit que de son 2e roman !) mais c’est assurément une voix à suivre !

Indomptables, Philippe Arnaud (Sarbacane)
Collection Exprim’
en librairie le 3 septembre
9782848657103 – 15,50 €
à partir de 15 ans