Son
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Dix – Marine Carteron

Dix. C’est le nombre de participants à une émission de télé-réalité novatrice qui se déroulera dans un manoir perdu sur une île. Sept adolescents, entourés de trois adultes, vont participer à une sorte d’escape game littéraire où le but du jeu n’est pas seulement de résoudre l’énigme…mais de s’en sortir vivant !

★★★★☆

Quand ils nous promettent un « clin d’œil sanglant » aux Dix petits nègres d’Agatha Christie, les éditions du Rouergue ne mentent pas sur la marchandise ! Marine Carteron reprend la trame de ce célèbre roman pour nous proposer une histoire de vengeance moderne. Certains ne seront donc peut-être pas surpris par le déroulé du récit, les autres auront le plaisir de découvrir et assister à un huis-clos macabre et malsain dans lequel tous les personnages ont des choses à se reprocher. Mais tout le monde s’accordera sur l’efficacité du récit et le rythme – des chapitres courts et des changements de personnages qui s’enchaînent – qui ne nous fait pas lâcher le roman !

Amateurs d’hémoglobines, vous serez servis ! Marine Carteron rivalise d’imagination – tout en s’inspirant de contes et de mythes, éléments importants de cette histoire – pour décrire les tourments de ces dix coupables. Des descriptions sans fard, qui risquent de vous donner quelques renvois, soyez-en avertis ! En tous cas, et sans vous révéler la teneur des raisons du supplice de ces dix personnages aux types très marqués, il est captivant de découvrir peu à peu ce dont ils sont tous coupables, la façon dont chacun essaye de se dédouaner de ses crimes ou de vivre avec cette culpabilité. Marine Carteron est vraiment très forte pour nous tenir en haleine et nous inciter à tourner les pages jusqu’à connaître le fin mot de son histoire (même si c’est l’heure de dodo depuis longtemps !).

Dix est un roman sans complaisance, pour les tortionnaires, bien sûr, mais aussi pour ceux qui ont laissé faire. Cru et cruel, le roman aborde des thématiques actuelles très fortes et, en ce sens, la libre adaptation fonctionne très bien. On prend un certain plaisir – un peu coupable, ok – à se délecter du châtiment réservé à tous ces personnages retors que vous allez vite trouver détestables. Alors, vous vous laissez tenter ?

Dix, Marine Carteron (Le Rouergue)
collection DoAdo Noir
disponible depuis le 20 mars 2019
9782812617324 – 14,80€
à partir de 14 ans
Son
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La proie – Philippe Arnaud

Au Cameroun, Anthéa partage son quotidien entre les mardis où elle aide sa mère au marché et les autres jours de la semaine qu’elle passe à l’école et où l’apprentissage n’est pas si simple. Heureusement, elle retrouve après la classe tous les petits pour leur raconter des histoires, un talent qu’elle maîtrise parfaitement ! Jusqu’au jour où une belle femme blanche lui propose de les accompagner en France, où elle pourra recevoir une meilleure éducation…

★★★★☆

Mais vous pensez bien qu’avec un titre pareil, Anthéa ne va pas juste aller à l’école et soudainement devenir brillante grâce à notre merveilleux système scolaire ? Si ? Alors vous êtes bien optimiste… Anthéa est une jeune fille à la vie simple, un peu effacée derrière l’exubérance de sa cousine qui prend toute la place, et qui se trouve face à un blocage quand il s’agit d’apprendre mais qui se révèle complètement lorsqu’elle s’improvise conteuse auprès des plus jeunes. Elle ne rêvait pas particulièrement de la France ou de n’importe quel autre pays, jusqu’à ce que ces Blancs riches proposent à sa famille de s’occuper de son éducation en Europe. Elle part, le cœur meurtri de quitter son pays natal, ses amis, ce garçon qui commençait à l’intéresser… Et se retrouve dans la banlieue parisienne, où la richesse de la famille en Afrique ne signifie plus rien dans cette France où le père se retrouve au chômage et la mère reprend son travail à la mairie, subvenant seule aux besoins de la famille. Progressivement, le statut d’Anthéa passe de collégienne à domestique… Passeport confisqué, téléphone surveillé, impossibilité de sortir de l’appartement, c’est insidieusement que les rouages se mettent en place et que la vie d’Anthéa passe de la promesse d’une vie meilleure à celle d’un esclavage moderne terrifiant.

Philippe Arnaud nous conte l’histoire d’une lente descente aux enfers, où la luminosité de la vie au Cameron s’assombrit, se noircit à mesure que nous suivons Anthéa dans la découverte de sa nouvelle vie en France. Construit comme un thriller, avec Anthéa comme seul point de vue, c’est la tension qui nous prend aux tripes, c’est elle qui nous fait deviner, qui nous fait vainement espérer que non, ce n’est pas ce qui va se passer, que ça n’ira pas jusque-là… La réaction de la famille, l’attitude de chacun de ses membres est d’une violence terrible, qui ajoute complètement au sentiment d’angoisse, d’inéluctable, d’impuissance du lecteur… Un roman à la construction impeccable, subtil et glaçant sur la violence faite aux femmes, le néo-colonialisme et l’esclavage moderne, qui nous offre malgré tout le portrait d’une jeune fille forte et généreuse, que l’espoir et la résilience ne quitteront jamais.

La proie, Philippe Arnaud (Sarbacane)
collection Exprim’
disponible depuis le 2 janvier 2019
9782377311804 – 16€
à partir de 14 ans
Son
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Tant que mon cœur bat – Madeline Roth

roth

L’année dernière, Jean-Michel était bouleversé par le premier texte pour ados de Madeline Roth. Cette année, ce sont deux nouvelles qui sont rassemblées dans un livre toujours aussi court mais qui ne laisse assurément pas indifférent…

★★★★★

Madeline Roth nous propose deux histoires : celle d’Esra, une jeune fille qui tombe éperdument amoureuse d’un homme bien plus vieux qu’elle a rencontré par hasard dans un café ; et celle de Laura, qui aimait un garçon qui ne lui retournait pas son amour et qu’un passé terrible hantait. Le point commun de ces deux récits : l’amour dans ce qu’il a de plus destructeur.

C’est avec une langue fiévreuse, des mots coupants, une écriture hypersensible que Madeline Roth nous livre ces destins brisés, ces personnages à fleur de peau, passionnés et tourmentés. Car il n’y a pas que ces deux jeunes filles dans l’histoire, mais aussi des garçons : celui qui était amoureux et celui qui ne l’était pas, qui ont aussi leur point de vue à donner sur ces moments de vie, d’amour. Nous sommes incapables de résister à toute cette émotion contenue dans ces 95 pages où nous ne pouvons que vivre ces histoires, où tout nous touche au plus profond de nos êtres et de nos sens. C’est véritablement la grande réussite de Madeline Roth que de parvenir à nous donner des coups de poings en plein dans le bide et d’en redemander, de se relever et de continuer jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il ne reste rien.

Et c’est cette intensité, des histoires et de l’écriture, qui, à mon sens, reflète tout ce qu’il peut y avoir d’absolu, d’impossible à surmonter, dans la conception de l’amour à l’adolescence. Deux histoires tragiques, difficiles, qui nous marquent pour longtemps par leur puissance émotionnelle. C’est tout simplement éblouissant.

Tant que mon cœur bat, Madeline Roth (Thierry Magnier)
disponible le 21 septembre 2016
9782364749405 – 9,50€
à partir de 15 ans
Discussion
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L’échappée – Allan Stratton

9782745980625,0-3426764

Après un thriller sombre et terrifiant, Allan Stratton revient avec un roman tout aussi glaçant ! Paru tout d’abord en 2000 outre-Atlantique, puis revu et corrigé en 2008, L’échappée est le tout nouveau roman de l’auteur paru en France. 🙂

Leslie est une lycéenne bourrée de problèmes, à l’école comme à la maison. Au point où elle pensait que sa vie ne pouvait pas être plus médiocre, Jason, un nouvel élève du type « cool-et-je-le-sais » entre tout à coup dans son quotidien de fille à la dérive…

Avec les mots de Jean-Michel…

★★★★☆

Allan Stratton a choisir de mettre en évidence une jeune femme timide, naïve, rebelle, avec un léger manque de confiance en elle comme beaucoup à cet âge, qui veut (se) prouver quelque chose…une adolescente normale en somme. Toutes les filles du lycée deviennent envieuses de Leslie lorsqu’elle rencontre Jason. Quelle chance de posséder un tel garçon dans son existence. A tort. Car Jason est un type odieux, du genre à devenir une enflure de première catégorie qui battra sa femme avec à coups de torchon bien placés pour éviter les bleus. Déterminé à contrôler chaque élément de la vie de Leslie, il va la terroriser de façons inimaginables. Le point positif c’est que cette situation va permettre à Leslie de grandir et de s’élever dans le vrai monde : vous savez celui qui est froid, dur, où on ne peut compter que sur sa propre volonté ?
Le côté sombre de la première histoire d’amour est brillamment exploité. Perturbant et captivant, ce roman l’est indubitablement car Allan n’a pas peur de nous montrer à quel point une relation abusive peut être féroce. Un auteur vraiment engagé, ce monsieur Stratton : écrire à travers le cerveau tourmenté d’une adolescente et parfaitement cibler sa psychologie, c’est du grand art.

Allan : plus fort que les plus forts ▼

Allan, auteur de la balle dans son pull en fibres mélangées ▼

…et ceux de Bob

★★★★☆

Un roman glaçant, écrit sous la forme d’un journal intime – exercice demandé par la professeur de français déprimée de Leslie – qui nous plonge dans l’enfer quotidien de la jeune fille depuis sa rencontre avec le beau et sexy Jason. Allan Stratton retranscrit à la perfection les pensées qui agitent l’adolescente sous la coupe de ce « pervers narcissique » et la difficulté qu’elle a à accepter que sa relation amoureuse ne se passe pas « normalement » mais aussi la honte, la peur, la solitude, la colère… Malgré des lueurs d’espoir, Leslie ne trouve aucun soutien du côté des adultes – la proviseure du lycée étant bien la pire ! – et n’est surtout pas prête à la recevoir quand il lui est proposé… Une descente aux enfers terrible et terrifiante tandis que les secrets du garçon sont percés à jour. Avec L’échappée, Allan Stratton signe un roman dur et sans concession, servi par une écriture à la première personne particulièrement accrocheuse. A lire !

L’échappée, Allan Stratton, traduit par Sidonie Van den Dries (Milan)
disponible depuis le 7 septembre 2016
9782745980625 – 13,90€
à partir de 14 ans
Son
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Les anges de l’abîme – Magnus Nordin

9782812607165, 0-2347206

Petite pause dans les idées cadeaux de Noël pour Bob, avec la critique d’un des romans ados en lice pour la Pépite 2014. Il n’a pas gagné, mais il me faisait de l’œil depuis un temps suffisamment certain pour que je me lance enfin dans ce petit pavé. J’espère que vous avez les tripes bien accrochées. 😉

Alice fait sa rentrée dans un nouveau lycée. Elle se rapproche très vite de sa prof de suédois, Molly Zetterholm, et rejoint bientôt un groupe un peu particulier et complètement secret : les Anges de l’abîme. Leur mission : rendre la justice aux jeunes victimes de prédateurs sexuels.

★★★☆☆

Âmes sensibles s’abstenir ! Ce polar nordique de Magnus Nordin nous déroule une sordide affaire de pédophilie et de maltraitance. Je vous le dis tout de suite car, de toute manière, ça commence d’entrée avec une scène de disparition de jeune fille suivie, trois ans plus tard, par une opération commando des Anges de l’abîme. Il ne faut donc à l’auteur que quelques pages pour nous mettre tout de suite dans le bain et c’est un bain plutôt glacé ! J’ai trouvé l’histoire plutôt bien menée, entre la découverte progressive de chacun des personnages du groupe secret (tous victimes d’actes de maltraitance ou de sévices sexuels) et leurs opérations qui, très vite, ne deviennent qu’une seule grosse enquête. Car il nous faut peu de temps pour comprendre que la petite ville de Fjärlunda est le théâtre d’un vaste réseau pédophile. Si l’auteur ne nous perd pas un seul instant dans son récit (j’avoue m’être laissée emportée et avoir eu du mal à m’arrêter), un lecteur de polar averti verra sans aucun doute les choses venir et ne sera pas forcément surpris (cela a été mon cas). Mais cela n’enlève rien au plaisir de lecture. Là où le roman pêche, c’est peut-être justement dans son récit et ce qu’il dénonce. L’auteur nous propose en début de roman la célèbre citation de Nietzsche : « Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même ». Et c’est bien ce que font nos jeunes héros : combattre ces monstres qui attirent les adolescentes pour les violer (la méthode ici donnée dans le roman : sur le net, en se faisant passer pour des garçons cools de l’âge des proies qu’ils traquent). Et pour cela, ils usent de méthodes criminelles (enlèvement, torture psychologique), récoltent les preuves et envoient le tout à la police. Jusque là, on peut encore comprendre et même avoir de l’empathie pour ces justiciers de l’ombre. Après tout, nous sommes tous à un moment donné tellement révoltés par une situation ou un événement que nous aimerions avoir les moyens ou les armes pour réparer cette injustice. C’est humain. Pourtant, ici, je trouve que la réflexion sur la vengeance, l’auto-justice, est assez maigre. Peut-être manque-t-il une morale. En tous cas, et la fin du roman en est un parfait exemple, il me semble difficile de se faire un jugement sur ce que l’on a lu. Et je crois que l’auteur a oublié de nous donner sa propre définition du monstre. Je ne sais pas comment sera ressenti ce roman par les ados, mais la crudité de certaines scènes et cet épilogue sont d’une froideur à nous hérisser les poils sur les bras.

Les anges de l’abîme, Magnus Nordin (Rouergue)
collection DoAdo Noir
en librairie depuis le 8 octobre
9782812607165 – 14,90 €
à partir de 15 ans

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Pour qui tu m’as prise ? – Isabelle Rossignol

Pauline est folle amoureuse de David, au grand désespoir de son amie Camille. Car Pauline a des étoiles plein les yeux tout le temps alors que David ne semble même pas la remarquer… D’ailleurs, David n’est pas tellement intéressé par les filles ou l’idée d’avoir une petite amie. Il attend le jour où ça viendra sans s’en soucier plus que ça… Sauf que son pote Mathieu accumule les conquêtes et ne cesse de chambrer David sur son absence d’intérêt pour la gente féminine. Il va alors le pousser dans les bras de Pauline…

★★☆☆☆

Attention, livre choc ! La lecture de ce nouveau roman de la collection Ego ne vous laissera probablement pas indifférent car il aborde un sujet vraiment difficile : le viol (oui, autant vous le dire tout de suite car même s’il n’apparaît qu’à la fin, on se doute plus ou moins que c’est ce qui va se passer). Prenons d’abord la forme : nous avons quatre personnages, dans cette histoire, dont les interventions sont matérialisées comme dans une pièce de théâtre, si ce n’est que nous n’avons que les pensées des personnages, ou la retranscription des conversations qu’ils ont entre eux. C’est plutôt original et agréable à la lecture. Pour le fond, je suis un peu plus sceptique. J’ai bien aimé le début, dans lequel on découvre petit à petit nos personnages, leurs qualités et leurs défauts. Je trouve que la pression qui s’exerce à l’adolescence sur l’amour et la sexualité est très bien rendue, surtout sur les garçons. Car Mathieu est du genre à emballer les filles et David, lui, pense plutôt que ce n’est pas grave ou important de ne pas être actif sexuellement à 17 ans. Et il a raison ! Malgré les piques et les moqueries lancées par Mathieu, David se sent bien dans sa peau et attendra le moment qui lui conviendra pour sortir avec une fille… Sauf qu’un jour, Mathieu finit par le convaincre de tenter sa chance avec une fille : Pauline, qui le dévore des yeux chaque matin devant le lycée. Mais comment fait-on pour sortir avec une fille ? Et comment fait-on une fois qu’on est avec elle, prêt à se lancer ? Si David ne sait pas à qui poser ses questions, heureusement, Internet est là. Et c’est la pornographie qui va devenir son professeur d’éducation sexuelle… Alors le jour où David sort enfin avec Pauline, il a tout prévu (grâce à l’aide de Mathieu) et tout semble bien se dérouler, il croit même tomber un peu amoureux d’elle, jusqu’au moment où tout bascule… Difficile de tout vous dire sans vous raconter tout le livre, mais si j’avais bien accroché au début, aux questions des ados sur l’amour, la sexualité, j’ai très vite déchanté. J’ai trouvé le basculement de David, plutôt sûr de lui sur sa sexualité au début, très rapide à partir du moment où il regarde du porno. La scène qui conduit au viol notamment, m’a semblée pleine de contradictions, peut-être aussi à cause de la confusion qui règne dans l’esprit du garçon. Il est clair que la fin du livre met mal à l’aise et qu’on ne ressort pas de cette lecture complètement indemne. C’est d’ailleurs très difficile de « noter » un livre pareil. Néanmoins, je trouve que contrairement à d’autres livres de la même collection qui répondent bien au cahier des charges (faire réfléchir le lecteur sur le sujet), Pour qui tu m’as prise est moins évident sur ce qui est dénoncé, en dehors du viol, je veux dire : est-ce le porno et son accès facile sur le net ou bien plutôt le fait que les ados ne trouvent personne avec qui parler de sexualité (hormis les amis et on sait bien que personne n’est expert chez nos copains à cet âge-là) ? Bon, c’est peut-être mon côté convaincue que l’éducation sexuelle est super importante à réaliser auprès des ados qui parle, mais tout de même, j’ai eu l’impression qu’il manquait quelque chose pour véritablement inciter les jeunes à réfléchir, pour leur faire prendre le recul nécessaire à cette réflexion. Car il y a véritablement beaucoup de choses dans ce roman, et des choses graves qui ont besoin d’accompagnement… Bref, je pourrais discourir avec vous de tout ce qui est évoqué dans ce roman, mais je n’en ai pas la place… Néanmoins, je serais ravie de pouvoir en discuter si vous le souhaitez et si vous l’avez lu !

9782362661129,0-2229362
Pour qui tu m’as prise ?, Isabelle Rossignol (Talents Hauts)
Collection Ego
en librairie le 4 septembre
9782362661129 – 8 €
à partir de 15 ans