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Ceux qui décident – Lisen Adbage

A l’école, il y a ceux qui décident. Et il y a les autres, ceux qui n’ont jamais rien le droit de faire. C’est bien simple, à chaque fois que ceux qui n’ont rien le droit de faire se mettent à s’amuser, ceux qui décident leur donnent des ordres puis s’approprient ce avec quoi ils s’amusaient, leur demandant de dégager. Ceux qui décident, ce sont les enfants dans la cour qui jouent aux plus forts, qui disent qui joue avec quoi ou avec qui, et à qui personne ne dit jamais rien. Jusqu’à ce que…

Quel magnifique et pertinent album pour parler du harcèlement, qui commence parfois dès les plus petites cours d’école. On assiste ici à la loi exercée par un petit groupe d’élèves sur le reste de la cour de récréation. Un microcosme enfantin dans lequel n’apparaît aucun adulte pour intervenir dans le conflit, ni d’ailleurs aucun autre enfant parmi ceux qui assistent depuis les fenêtres de l’école ou des immeubles avoisinant. Si ceux qui décident n’arrêtent pas de déloger ceux qui n’ont rien le droit de faire dès qu’ils s’amusent un peu, ces derniers ne se laissent pas abattre et finissent toujours pas trouver une autre occupation. Jusqu’au moment où tout cela suffit, et où les ordres contradictoires de ceux qui décident finissent par pousser les enfants à s’unir pour dire non et tenir tête à ce petit groupe de tyrans.

Lisen Adbage nous offre un album percutant sur les rapports de force et le droit de dire non, de s’opposer à l’injustice. Un album qui nous montre aussi toute l’importance du collectif, de s’unir pour contrer ceux qui veulent imposer leur loi. Le texte court, incisif, va tout de suite à l’essentiel. La violence subie par ceux qui n’ont rien le droit de faire et induite par le sujet est contrebalancée par des illustrations aux couleurs extrêmement vives et joyeuses et des personnages très divers, parfois même avec des particularités rigolotes ou inattendues qui nous rendent ces enfants aussi attendrissants que réalistes. Un album tout en subtilité.

Ceux qui décident, Lisen Adbage, traduit par Marianne Ségol-Samoy (L’étagère du bas)
disponible depuis le 7 janvier 2021
9782490253302 – 14€
à partir de 5 ans
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Partis sans laisser d’adresse – Susin Nielsen

On vous le dit et redit tous les deux ans : IL FAUT LIRE SUSIN NIELSEN. ❤ Comment faites-vous pour (sur)vivre sans ses livres dans vos vies, hein ? Alors que nous, on se languit de ses personnages, de son univers canadien, de son ton pince-sans-rire et de ses histoires truculentes… chaque nouvelle lecture d’un roman de Susin est une petite bulle en dehors du temps, un moment unique !
Chronique garantie sans objectivité aucune !!!

Félix Knutsson, bientôt 13 ans, se retrouve au commissariat. Pour expliquer ce qu’il y fait en ce 27 novembre, veille d’un événement capital, le garçon revient au moment où sa mère, Astrid, a perdu travail, petit copain et appartement, et où ils se sont retrouvés tous les deux à vivre dans un vieux Combi Volkswagen « emprunté ». La situation était pourtant censée être temporaire…

★★★★★

Après l’amour que je portais déjà très très fort à Ambrose et à Henry, je ne pensais pas trouver un personnage aussi fort, et pourtant ! Félix est un garçon profondément attachant, avec ses petites bizarreries qui font toujours le sel des ados et préados imaginés par Susin Nielsen, et qui rappelle un petit peu les fameux Ambrose et Henry. (D’ailleurs, je suis plus que ravie et profondément émue de retrouver Henry dans ce nouveau roman). ❤ Avec Partis sans laisser d’adresse, Susin Nielsen évoque la question de la précarité et, toujours, la relation familiale, ici celle d’une mère célibataire et de son fils. Astrid est une femme orgueilleuse qui n’est pas capable de garder un travail et d’accepter de se faire aider quand elle en a besoin. Par peur d’être séparée de son fils, elle demande à Félix de ne rien dire à son nouveau collège, l’idée étant de retrouver vite un travail et un logement décent. Mais tout ne se passe pas toujours aussi facilement et les semaines, les mois, passent et vivre dans un mini-van n’est plus si cool… Mais Félix a peut-être la solution : il a été sélectionné pour participer à l’émission junior de Qui, Que, Quoi, Quand ?, un jeu télévisé dans lequel il peut remporter jusqu’à 25 000$ !

On le dit tout le temps aussi, mais le talent de Susin Nielsen, c’est véritablement de savoir doser à la perfection la mesure d’humour qu’il faut à une histoire somme toute pas si marrante. On rit. On éclate de rire, même. (Mais bon, je suis bon public quand il s’agit de prouts). Et puis on chiale à moitié, aussi. De tristesse ou de compassion. Mais de bonheur aussi. Parce que c’est ça aussi, les romans de Susin Nielsen. Une émotion pas possible, qui te fait passer du rire aux larmes en quelques phrases bien troussées. Une incarnation sensible et sincère des personnages – même chez Astrid, qu’on pourrait détester à plus d’un titre et qui déborde pourtant d’amour – et une histoire qui sait mêler l’extraordinaire à la dure réalité sans nier les difficultés, la gêne ou la souffrance, tout en choisissant de nous rappeler la force de l’amitié et de l’entraide. Un roman d’une formidable richesse, qui nous laisse le cœur gonflé de joie : d’avoir rencontré Félix, d’avoir passé un moment de plus dans l’imagination de Susin Nielsen, et de savoir qu’il y a toujours de l’espoir. ❤

Partis sans laisser d’adresse, Susin Nielsen, traduit par Valérie Le Plouhinec (hélium)
disponible depuis le 3 avril 2019
9782330120566 – 14,90€
à partir de 12 ans
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L’étrange hôtel de Secrets’ Hill – Kate Milford

97827002510360-3655713

Milo s’apprête à passer les vacances de Noël dans l’hôtel géré par ses parents. En plein hiver et situé tout en haut d’une colline, rares sont les clients à cette période de l’année et Milo espère bien profiter de ses parents pendant ces vacances. Mais voilà qu’un étrange monsieur aux chaussettes dépareillées débarque et demande une chambre. Puis une fille aux cheveux bleus et ainsi de suite… Que peuvent-ils bien tous avoir à faire à l’hôtel de Secrets’ Hill ?

★★★★★

D’habitude, les clients de l’hôtel, appelé parfois aussi Villa de Verre en raison de ses vitraux, sont plutôt des personnages louches qui trafiquent des choses non moins étranges : bulbes de fleurs, pistolets à bouchon, etc. Cette fois-ci, pourtant, pas de contrebandiers mais un chapelet d’étranges loustics aux styles et coiffures variés qui vont chambouler tous les projets de Milo, jeune garçon qui n’aime pas beaucoup le changement. A peine les premiers clients sont-ils arrivés que les mystères apparaissent : près du funiculaire qui amène les visiteurs jusqu’à l’hôtel, Milo découvre un portefeuille dans lequel se trouve une carte nautique qui ne ressemble à rien de connu alentour. Étrange ! Et quand certains clients se font dérober des objets lors de la nuit, c’est sûr, il se passe quelque chose à la Villa de Verre ! Avec l’aide de Meddy, la fille de la boulangère venue prêter main forte aux parents de Milo et fan de jeux de rôles, Milo va enquêter et peu à peu découvrir les secrets de l’hôtel et de ses clients…

Je n’avais pas été aussi bien menée en bateau dans un roman policier pour enfants depuis longtemps ! Kate Milford développe en plus de 500 pages un huis-clos hivernal qui rappelle bien sûr Les dix petits nègres d’Agatha Christie (sans le côté meurtrier) où les faux-semblants et les twists sont judicieusement placés. Parole de Bob, vous ne verrez pas venir l’une des révélations finales ! Ou alors vous êtes le genre vraiment très fort au Cluedo. Au-delà de l’enquête, qui n’est pas que policière d’ailleurs, mais qui a aussi un côté aventureux (le jeu de rôle) et historique (beaucoup de choses se jouent sur l’histoire de l’hôtel), l’auteure évoque aussi très bien la famille et l’adoption. Milo est un garçon d’origine chinoise recueilli par les Wood, qui gèrent l’hôtel. Malgré le fait qu’il n’a jamais connu ses véritables parents, il ne peut s’empêcher de penser à eux et de se demander qui ils sont. Il y a une réflexion extrêmement belle et intéressante sur ce sujet, distillée au fur et à mesure que l’enquête avance et où l’on sent que, malgré tout l’amour de ses parents adoptifs, il ne cessera jamais de se questionner. Kate Milford joue d’autant bien ses cartes qu’elle nous surprend lorsqu’un autre personnage découvre sa propre origine et qu’on aurait pu croire qu’elle allait coller avec celle de Milo. Elle ne tombe ainsi ni dans la facilité, ni dans le happy end total. Et c’est sans doute la très jolie et sensible note à la fin du roman qui explique ce choix et apporte autant de finesse à la psychologie de Milo.

L’étrange hôtel de Secrets’ Hill est un excellent roman à l’intrigue policière superbement ficelée, aux personnages attachants, malins et joueurs, qui fait la part belle non seulement à l’émotion mais également à l’aventure et au conte, où les histoires racontées au coin du feu sont tout aussi passionnantes que celle que nous suivons. Car la grande force du roman, c’est aussi de nous faire entrer dans cet hôtel comme si nous en étions nous aussi clients…
Un beau cadeau à faire pour Noël (et à lire à cette période totalement idéale), d’autant plus que le roman est illustré (même si j’aurais bien aimé plus de planches) et que sa couverture aux reflets argentés le fait briller de mille feux. 😛

L’étrange hôtel de Secrets’ Hill, Kate Milford, traduit par Anne Delcourt, illustré par Alban Marilleau (Rageot)
disponible depuis le 3 novembre 2016
9782700251036 – 17,90€
à partir de 11 ans
Son
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Faut jouer le jeu – Esmé Planchon

Solange est en terminale et le bac approche. Lors d’une fête, elle fait enfin la connaissance d’Armand, pourtant dans sa classe, et Gabriel, son jeune frère. Tous deux vivent la vie comme un jeu, un jeu littéraire, théâtral, musical, etc. Fascinée et intéressée, elle les rejoint et chaque jour passe ainsi selon les règles de la fiction. Mais ses amis la mettent en garde et ne cessent de lui rappeler l’importance du bac et de l’avenir… Pourtant, Solange ne peut imaginer la vie sans une bonne dose de jeu et de fiction.

★★★★☆

J’ai beaucoup aimé ce court texte, hymne à la vie et à la joie. D’autant plus que je suis d’accord avec la pensée d’Armand et de Gabriel, la vie devrait toujours être dans le jeu et la fiction, car elle est ainsi plus facile et plus agréable. Je me suis laissée emporter dans cette histoire un peu loufoque, mais surtout très positive. Même lors d’événements tristes et douloureux, les personnages parviennent à continuer leur jeu, à dépasser le deuil. J’ai beaucoup apprécié aussi les évocations sous-jacentes, celle du harcèlement parce que certains ne sont pas « comme les autres », ou de l’homosexualité et de son acceptation. L’écriture est fluide, agréable, et donne envie de rejoindre ce groupe à l’ouverture d’esprit si large. J’ai cependant un doute sur l’existence de tels adolescents (je n’en ai jamais vu quand j’étais au lycée, pour ma part !) et, du coup, j’ai un peu peur que ce livre ne trouve pas son public, surtout au vu des références « de vieux ». Mais n’hésitez pas à le mettre entre les mains des ados, ça fait parfois du bien de lire des histoires avec des ados heureux. Tout simplement.

9782211217699,0-2298043
Faut jouer le jeu, Esmé Planchon (Ecole des Loisirs)
Collection Médium
en librairie le 27 août
9782211217699 – 14 €
à partir de 13 ans