Son
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Les raisons de la colère

On ne vous parle pas de Steinbeck aujourd’hui, mais bien de ce qui nous motive parfois à nous mettre en colère. C’est pas toujours jojo comme sentiment, mais nos deux albums du jour parviennent à en parler avec beaucoup de justesse, et surtout, à l’évoquer à travers des images aux styles diamétralement opposés mais tout autant puissants.

Le jardin d’Evan

Evan, un fermier faisant pousser des citrouilles, passe ses journées avec son chien. Ils font tout à deux : déblayer la neige du chemin l’hiver, jouer, aller voir les copains d’Evan et, surtout, s’occuper du magnifique jardin ! Jusqu’au jour où le chien s’endort pour ne plus jamais se réveiller. A ce moment-là, la peine d’Evan est si grande qu’elle en devient colère. Tout lui est insupportable et Evan commet l’irréparable : il détruit de rage son précieux jardin, qui devient le vivier des mauvaises herbes, des plantes qui piquent, qui empoisonnent… Un jardin qui correspond parfaitement à l’état de son propriétaire. Jusqu’à ce qu’une racine de citrouille trouve son chemin sous la clôture du jardin…

Après le très bel album Plus, qu’il illustrait chez Minedition, Brian Lies revient avec un album sublime et d’une grande force émotionnelle. Rien que cette couverture, très forte visuellement, en dit beaucoup, et ne laisse pas indifférent. Sur un thème éculé, Brian Lies nous propose cette fois de parler du deuil dans tout ce qu’il peut avoir de rageant, de la colère qui se mêle à la tristesse et qui veut nous faire tout détruire de ce qui nous fait penser à l’être perdu. Des émotions extrêmement fortes que l’on retrouve dans ses peintures hyper réalistes, avec un magnifique travail de lumières et de couleurs automnales, et où un renard n’aura jamais été mieux incarné que dans cette histoire. Un album bouleversant sur la résilience.

Le jardin d’Evan, Brian Lies, traduit par Françoise de Guibert (Albin Michel Jeunesse)
disponible depuis le 27 mars 2019
9782226441232 – 13,90€
à partir de 5 ans
La ligne

Alors qu’un petit garçon lit tranquillement sur le banc de la cour de l’immeuble, une petite fille s’amuse avec son ballon, joue en faisant du bruit. C’est chiant, ça, quand on veut lire dans le calme, non ? Alors le garçon trace une ligne dans la cour. Facile : tu restes de ton côté, moi du mien. Mais la petite fille n’est pas d’accord et, bien vite, les choses s’enveniment…

Là aussi, un album aussi fort visuellement qu’émotionnellement, où la colère est le point de départ d’une situation terrible où la liberté et l’acceptation de l’autre sont mises à mal. Plutôt que de parler, le petit garçon choisit de délimiter une ligne à ne pas franchir, un mur symbolique. L’escalade de violence suit, jusqu’à ce que les deux enfants se rendent compte de ce qui est en train de se passer… Ce qui peut parfois ne pas être le cas chez des adultes, par exemple… ll ne faut que quelques mots à Frédéric Maupomé, qui apparaissent sur une place quasi blanche avant chaque image, pour rendre toute la puissance poétique de son propos, qu’il soit doux ou violent. Des mots qui font mouche et des illustrations de Stéphane Sénégas qui, elles aussi, nous interpellent. Un trait noir et vif, qui s’assombrit et se gribouille de colère à mesure que le conflit évolue, et qui rend parfaitement toute l’émotion de cette histoire. Un album percutant sur le vivre ensemble.

La ligne, Frédéric Maupomé, illustré par Stéphane Sénégas (Frimousse)
disponible depuis le 15 novembre 2018
9782352413806 – 15€
à partir de 5 ans
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Tout revivre – Mélody Gornet

Lorsqu’un auteur écrit son tout premier livre et qu’il est aussi percutant, il est important de le souligner.

 ★★★★☆

toutrevivre

Sophie vient de périr dans un accident de voiture, laissant seuls ses deux fils Jordan et Matthis qui vont devoir cohabiter avec leur père, sa femme ainsi que leurs deux filles Oriane et Axelle. Une cousine de Sophie, Solveig se révèle assez touchée par le décès de sa tante et le destin de ses neveux ne la laisse pas indifférente. Elle décide de renouer avec eux et de les embarquer dans son projet de restauration de sa maison. Roman à trois voix, il explore avec perspicacité et rigueur les affres du deuil.

Comment parler d’une personne disparue alors qu’elle manque cruellement ? Comment gérer son deuil ? Mélody Gornet nous raconte l’essentiel, sans un mot de trop. Pas le temps de s’épancher sur les scènes que nous lisons car à l’image de la vie, le temps ne s’arrête pas et il faut avancer jusqu’à ce que la douleur s’estompe. En perdant leur mère et probablement leur unique point de conversion, les garçons sont propulsés au coeur d’une famille qui ne l’attendait pas. Oriane, nouvelle adolescente de 13 ans, n’accepte pas d’avoir perdu sa chambre qu’elle partage avec sa cadette Axelle, en faveur de ses demis-frères. Leur père ne leur accorde que peu d’attention malgré l’immensité du chagrin qui les habite, causant de nombreux problèmes sur leur état psychique. Seule Sonia, belle-mère à plein temps ne semble pas être un frein au bon fonctionnement du quotidien de la maison.

Matthis…

…se révèle le plus percuté par la mort de sa mère et le bouleversant aussi. Probablement le personnage qui m’a le plus touchée. Son premier cauchemar est le plus traumatisant qu’il m’ait été donné de lire : une femme d’apparence charmante lui cuisine des cookies, puis tout bascule :
– Tu ne sais pas où tu es Matthis ?
Elle posa devant moi une assiette de cookies chauds
[…] Elle approchait son visage un peu trop près du mien. Ses iris s’assombrissaient et grandissaient lentement, mangeant tout le blanc à l’intérieur […] – Mange tes cookies, Matthis. Je sentis une odeur horrible et regardai mon assiette : ils étaient moisis, et des vers blancs grouillaient à leur surface. Quand je relevai la tête, la femme avait les yeux complètement noirs, comme ceux d’un corbeau, et elle me sourit, exhibant une rangée de dents pourries […] – Tu as oublié de manger tes cookies, Matthis […] – Tu as oublié ta mère, Matthis.

Deux pages qui m’ont fait froid dans le dos. Aurait-il peur que sa mère tombe dans l’oubli ? Pour une telle description, je suis persuadée que notre nouvel auteur chouchou a du regarder quelques films d’horreur pour être aussi bien inspirée (arrête Mélody, on sait). Mais reprenons : ce n’est que le début du traumatisme pour le jeune garçon qui en plus d’être effrayé par son sommeil le sera aussi par les ombres et les reflets dans les miroirs…Le harcèlement au collège dont il sera victime ne sera que la goupille qui fera exploser toute la tristesse qu’il lui reste à évacuer.

Jordan,

en guise d’ultime affront envers son père qui ne lui accorde aucune sollicitude, réagira par la violence. On sait pertinemment que le manque d’égard de son paternel ne représente qu’une mince excuse : sa gestion du deuil est plus compliquée. Expulsion du collège, offense brutale contre sa petite amie…la colère l’enflamme à longueur de journée, mais finira par s’éteindre. Quant à…

Solveig

Elle a finalement peu fréquenté sa tante Sophie mais la compassion qu’elle ressent pour ses cousins et l’envie qu’elle éprouve de mieux les connaitre la pousse à passer du temps avec eux, les aider à surmonter cette épreuve douloureuse. Mais secrets de polichinelle oblige, il y a d’autres éléments à découvrir dans ce roman et bien sûr : nous ne dirons rien. Oui, nous ne sommes pas des filles très sympas.

Tout revivre, Mélody Gornet (Thierry Magnier)
disponible depuis 22 octobre 2015
9782364747722 – 12.90€
à partir de 13 ans

Discussion
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Pensée assise – Mathieu Robin

9782330053611

Vous souvenez-vous de la collection Ciné-roman chez Actes Sud ? L’un des premiers titres était Pensée assise et proposait non seulement le texte mais aussi le DVD du court-métrage qui l’accompagnait (on vous met la bande-annonce à la fin de l’article). Aujourd’hui, l’éditeur réédite le roman, mais sans le film…

Théo, jeune homme paraplégique, rencontre Sofia. C’est le grand amour. Mais lui se sent mal à l’aise d’être plus petit que la femme qu’il aime et il se met en tête d’arriver, par tous les moyens, à réussir à l’embrasser debout.

Qu’en pense Bob ?

★★☆☆☆

Dans ce très court texte, Mathieu Robin nous raconte le défi que Théo se lance : embrasser sa copine en étant à sa hauteur. Car s’il y a bien une chose qu’il déteste, ce sont les démonstrations d’affection en public, où Sofia doit toujours se pencher vers lui pour l’embrasser. Cela le met mal à l’aise et le rend surtout très grognon envers ses proches. D’ailleurs, Théo se plaint un peu beaucoup au goût de Bob, ne le rendant pas très attachant. Le roman aborde donc, au-delà du handicap, la difficile acceptation de soi. Je n’avais pas lu la précédente édition et donc pas vu le film dont il est tiré. Je me demande s’il ne m’aurait pas un peu plus touché avec les images ? De même, n’est-ce pas dommage de ne pas proposer à nouveau le film avec le roman ?

Et dans les pensées de Jean-Michel ?

★★★☆☆

Ah. Léger désaccord avec Bob, l’amour de ma vie 🙂 J’ai beaucoup apprécié l’amertume et la mauvaise foi de Théo. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas d’excuses à être désagréable ou odieux, même un handicap ne représente pas une raison valable pour blesser son entourage (ceci est un point de vue strictement personnel) et j’attendais avec beaucoup impatience qu’il se prenne une claque car personne ne peut agir comme ça impunément. Son cynisme m’a fait rire – il y a une scène mémorable où il charrie un enfant à la piscine : j’ai apprécié…jusqu’au moment où je me suis rendue compte qu’il commençait à devenir cruel et ce que j’avais pris pour de l’humour n’était que de la colère mal placée et cette fameuse claque devenait urgente ! Lorsqu’elle arriva, l’introspection de Théo est telle que sa prise de conscience est rapide. Sans doute avait-il besoin de tout cela afin de surmonter les problématiques de son handicap. Texte efficace à la construction mûrement réfléchie, sans artifices avec de vraies émotions dedans, je valide. Je rejoins tout de même Bob : pourquoi ne pas l’avoir réédité avec le dvd ?

Pensée assise, Mathieu Robin (Actes Sud Junior)
collection Ado
disponible le 19 août 2015
9782330053611 – 10,90€
à partir de 13 ans