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Djoliba – La Vengeance aux masques d’ivoire – Gaël Bordet

Royaume du Mali, 1327. Tiamballé, boiteux de naissance, est fils de pêcheur mais ne trouve ni grâce aux yeux de son père ni sa place au sein de sa famille. Lors d’un rite de guérison, il fait la connaissance de Chenouda, un érudit égyptien, et de sa fille Sirine. Au lendemain, lorsque le cadavre d’un homme affublé d’un masque d’ivoire est retrouvé, c’est Chenouda qui est chargé de l’enquête et Tiamballé se retrouve bien malgré lui embarqué dans une histoire qui va le mener à explorer l’immensité du royaume.

Dans ce roman policier historique, Gaël Bordet nous emmène dans un univers très inexploré du genre, surtout en littérature jeunesse : l’Afrique de l’Ouest médiévale. Nous voici donc au royaume du Mali, où l’animisme des peuples du pays se mêle à l’islam (le roi construit une mosquée dans sa capitale de Tombouctou) et au christianisme (Chenouda est un copte venu d’Egypte) pour un passionnant récit qui nous fait découvrir les croyances de cette région du monde et la vivacité des échanges entre les peuples. Lorsque Chenouda et Tiamballé découvrent que leur cadavre est un djéli du roi, un gardien de la mémoire et de la tradition, la surprise est aussi grande que le sacrilège et, bientôt, d’autres assassinats, tout aussi graves, vont s’accumuler et rendre leur enquête encore plus complexe.

D’autant plus que la magie s’invite régulièrement et les esprits ne sont pas en reste ! En tant que Bozo, l’un des peuples nomades de la région, Tiamballé est particulièrement soucieux de ces génies qui peuvent l’aider autant que lui donner du fil à retordre et c’est d’ailleurs sa rencontre avec Toukou, prêtresse de la Société des génies du fleuve, qui va sceller son destin. Cette magie nous accompagne en tous cas dans tout le récit, y compris avec la flamboyante Sirine, que le mystère entoure et qui ne laisse pas notre jeune héros indifférent. C’est ainsi également un récit initiatique, que l’attachant Tiamballé nous fait traverser avec sa candeur, son courage, ses doutes et sa détermination. Un roman qui mêle habilement les genres et qui nous invite dans un univers original et fascinant. Les illustrations de Magali Attiogbé rythment et donnent corps à cette enquête policière qui nous réserve bien des surprises. Une très belle découverte !

Djoliba – La Vengeance aux masques d’ivoire, Gaël Bordet (hélium)
disponible depuis le 15 septembre 2021
9782330153465 – 15,90€
à partir de 13 ans
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Grim, fils du marais – Gaël Aymon

Grim est un garçon muet qui a toujours vécu dans la dangereuse Forêt Mouvante. Après un terrible événement, il est contraint de fuir et découvre enfin le monde qui ne se limite pas à sa forêt. Il y découvre un système de castes, où chacun à son utilité – Nourrice, Construisant, Combattant ou encore Guérissant, Dame et Sieur, etc. Mais il se retrouve aussi bientôt mêlé à un vaste complot qui vise à renverser la Reine, leur mère à tous, et se lance avec de nombreux compagnons dans un périple pour la prévenir du danger qui la menace.

Quel univers ! Quel souffle et quel style ! Dès les premières pages de ce roman d’aventure singulier, oscillant entre fantasy et dystopie, on est complètement happé par le récit. Dans la peau et l’esprit de Grim, on découvre en même temps que lui ce monde étrange, construit autour d’une Reine toute-puissante qui a créé chaque être et leur a assigné des tâches précises et utiles au bon fonctionnement de leur civilisation et à la survie de l’humanité. Si l’univers présenté ressemble à ce que vous connaissez des sociétés de fourmis ou d’abeilles, ce n’est pas un hasard et l’analogie se dévoile tout le long du roman. Malgré le handicap de Grim, qui se trouve être bien gênant quand on veut comprendre, se faire comprendre et que l’on est détenteur de secrets, le garçon va s’attirer la protection et la sympathie de plusieurs personnages qui vont l’accompagner dans une quête aussi dangereuse qu’essentielle à la survie de tous ! Et, surtout, son regard neuf, voire naïf, sur le monde qu’il découvre sera le point de départ d’une réflexion juste et fascinante sur la notion de singularité et de collectif.

Car au-delà de l’aventure passionnante et haletante, le roman de Gaël Aymon est avant tout une magnifique réflexion sur la force de l’amitié. Qu’importe l’étrangeté de l’un, la différence de l’autre, l’important réside dans le respect et l’amitié que l’on porte à l’autre, l’acceptant dans son entier, avec ses qualités et ses défauts. Une notion simple et universelle qu’il n’est jamais inutile de rappeler… La singularité et la réussite de ce roman tient aussi au style, une écriture très visuelle qui éveille tout de suite notre imaginaire pour une immersion immédiate dans cet univers marécageux, et une voix curieuse qui se démarque, rappelant ce qu’a pu faire Patrick Ness dans Le chaos en marche. Elle est aussi dans la description de cet univers et de ces castes à la création et l’utilité aussi terribles que fascinantes, qui offre quelques bons moments de frissons et une certaine exigence qui provoque la réflexion. Enfin, les illustrations de Violaine Leroy qui accompagnent le récit. Toujours trop rares en littérature ado, elles apportent ici une vision de l’univers et son style au crayon et à l’encre adoucit l’âpreté du monde de Grim. Un roman palpitant et profond comme on les aime. Ne passez pas à côté ! ❤

Grim, fils du marais, Gaël Aymon, illustré par Violaine Leroy (Nathan)
disponible depuis le 9 septembre 2021
9782092492079 – 16,95€
à partir de 13 ans
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Annie au milieu – Émilie Chazerand

Annie est la sœur de Velma et Harold. Au centre de la famille, elle irradie de son sourire et de sa fantaisie. Mais Annie est « différente » selon les autres, car elle a un chromosome en plus. Et c’est cette « différence » qui va être le motif de renvoi de son équipe de majorette, une passion qu’Annie adore plus que tout ! La sidération et la colère passées, la famille d’Annie ne va pas se laisser abattre et va au contraire faire équipe et se rassembler pour montrer leur propre équipe de majorettes et en mettre plein la vue à ces intolérants !

Liste de 21 raisons d’aimer le roman

· Un roman choral, raconté tour à tour du point de vue de Velma, Harold et Annie.
· Le ton du roman, certes décalé et drôle comme on connaît si bien Émilie Chazerand, mais avec une gravité qu’on lui découvre et qui apporte plus de profondeur que ses précédents romans.
· La question de la place dans la famille, ces voix de Velma et Harold qui peinent à exister, à se faire entendre, dans l’ombre de leur sœur qui mobilise toute l’attention, toute la famille.
· La voix d’Annie, si rare en littérature, qui donne sa vibration à tout le roman. (Une autre voix trisomique à découvrir dans le roman de Mel Darbon).
· Dalida, amie imaginaire qui scintille et apporte cette fantaisie aussi drôle qu’inattendue.
· L’univers des majorettes, une discipline plutôt inédite en littérature, qui contribue à l’humour du roman et au dépassement de soi d’une famille qui prend enfin le temps de se parler, se (re)découvrir.
· La galerie de personnages secondaires, qui apportent tous un petit quelque chose de plus à cette chronique familiale.
· La typographie qui se réduit lors des chapitres de Velma. Si discrète qu’elle ne prend pas trop de place dans la page… avec ses pensées si douloureuses « Aujourd’hui, j’ai un peu existé ».
· La passion d’Annie pour les paillettes.
· L’ouverture de cœur que procure ce roman, l’élan d’amour pour la vie quand on le referme.
· La relation entre la mère d’Annie et la grand-mère, une relation d’amour-haine, si pleine de répartie.
· L’amour d’Harold pour Camille.
· Marie-Claire, la grand-mère, qui résume assez bien l’idée globale du livre : « la famille, c’est un gilet pare-balles ».
· La recette de ce livre : un chouia de mal-être, une pointe de différence, une bonne dose de secrets et surtout beaucoup d’humour et d’amour.
· Les paris discrets entre les parents.
· La chanson Basique d’Orelsan
· Gigi l’amoroso, la poule.
· Les dimanches dans la famille.
· La fin est à la hauteur du reste du roman : réaliste et pleine d’espoir.
· Les listes de Velma, qui nous ont inspiré la nôtre, et qui se terminent invariablement avec la même raison.
· Annie.

Et la bande-annonce du roman pour poser l’ambiance…

Annie au milieu, Émilie Chazerand (Sarbacane)
collection Exprim’
disponible depuis le 25 août 2021
9782377316953 – 17€
à partir de 13 ans
Galerie
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Frida Kahlo : non à la fatalité – Elsa Solal

Brisée, corsetée dans le plâtre et l’acier, paralysée, amputée, Frida Kahlo a souffert toute sa vie. Cette artiste mexicaine dont le visage est connu dans le monde entier est devenue une icône féministe, le symbole de l’artiste, de la liberté amoureuse mais aussi du courage. Dans ce court texte, Elsa Solal nous peint le combat acharné que cette artiste hors du commun a mené contre la souffrance et le handicap, sans jamais cessé de peindre ni d’aimer.

La mort a toujours talonné Frida, à 6 ans elle contracta la poliomyélite. Malgré les “Frida la boiteuse” et autres quolibets, elle décide de se battre, de poursuivre ses études (elle veut devenir médecin) et de croquer la vie à pleines dents. Viendra l’accident de bus célèbre qui la cloua au lit. Colonne vertébrale et bassin brisés, cette acharnée, avec l’aide de sa famille, transforma son lit en atelier d’artiste et installa un miroir au-dessus de son lit afin de faire des autoportraits. Frida renaîtra artiste.

« Très tôt une décision intérieure s’est forgée, elle ne se laissera pas rompre par l’adversité. Nulle fatalité ne viendra à bout de sa détermination à vivre comme les autres malgré sa situation, maladie, handicap, polio. Mais cela exige une sorte de discipline, inflexible, de force hors du commun. Les regrets, la rancoeur, elle les chasse vite comme les moustiques à coups de journal ou de savate. Funambule au-dessus du vide, elle ne peut se permettre trop d’écarts d’âme. »

Elsa Solal nous offre un portrait courageux et optimiste, avec un style poétique et flamboyant, elle nous fait entendre les pensées et même l’humour de Frida ! Ce court texte se focalise essentiellement sur le chemin qu’a fait l’artiste sur sa relation à son corps, mais nous parcourons également sa relation avec sa famille et son grand amour avec l’ogre Diego Rivera. Nous sommes loin d’une biographie traditionnelle, pour les aficionado de Frida Khalo, qui souhaitent la découvrir en images, le célèbre film Frida réalisé par Julie Taymor avec Salma Hayek est à voir – mais ce texte vient apporter une nouvelle perspective à ce parcours de vie.

L’autrice avait envie de porter un message d’espoir, de raconter à tous comment on peut surmonter la douleur physique, la maladie ou le handicap. Qui mieux que la grande artiste mexicaine pouvait incarner le miracle de la vie ? Frida Kahlo est une icône qui incarne la résilience, la force, le féminisme et également le désir de vivre. Ce merveilleux récit, nous fait entendre le rire et la joie de l’artiste qui combat la fatalité du handicap avec panache ! ❤️ Frida Kahlo

Frida Kahlo : non à la fatalité, Elsa Solal (Actes Sud Junior)
collection Ceux qui ont dit non
disponible depuis le 14 octobre 2020
9782330137304 – 9€
à partir de 12ans
Galerie
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Taxonomie de l’amour – Rachael Allen

Il faut savoir deux choses sur Spencer : il a le syndrome de la Tourette et il est tombé fou amoureux de sa voisine Hope, qui vient d’emménager à côté de chez lui. Spencer sent tout de suite qu’elle est spéciale : Hope aime escalader les arbres, adore les anecdotes bizarres sur des sujets inutiles, et surtout, elle ne se moque pas de lui et de ses tics moteurs et vocaux. À ses côtés, il a l’impression de faire enfin partie du monde qui l’entoure. Les deux adolescents vont grandir l’un à côté de l’autre, oscillant entre amour et amitié. Malheureusement pour Spencer, la vie n’est pas aussi simple que les taxonomies qu’ils s’amusent à créer…

Si vous imaginez suivre les aventures d’un garçon qui crie des injures à cause de ce syndrome, passez votre chemin ! Spencer a des gestes involontaires, des tics nerveux (reniflements, haussements d’épaule) et des tics sonores (parfois il répète le dernier mot d’une phrase). Passé ce syndrome, c’est un adolescent curieux, passionné par les insectes, qui essaye de prendre sa place dans le monde. Il va y réussir, petit à petit, notamment grâce à son amitié avec Hope et un surprenant talent pour la lutte. Talent qui apparaît à force de se faire maltraiter par d’autres garçons et par son frère Dean, le beau grand frère à qui tout réussit.

Au début du roman, les personnages paraissent stéréotypés, comme une série télévisée (le beau garçon, le sportif…) mais au fil du roman, on va se rendre compte qu’ils ont tous des failles, des histoires dysfonctionnelles. On prend plaisir à suivre l’évolution d’Hope et de Spencer à travers le temps, car le roman les suit de 13 à 19 ans. Un temps de l’adolescence fort en émotions.

Taxonomie de l’amour est une excellente lecture, qui sous son air de romance, en réalité nous parle de différence, des liens familiaux et de deuil. La passion du protagoniste pour la taxonomie, un système de classification des êtres vivants, l’invite à en créer lui-même concernant les personnes qui l’entourent. On pourra ainsi découvrir par exemple une « Taxonomie des filles qui m’empêchent de me concentrer sur mes devoirs de maths », très drôle. Ces schémas apportent de la légèreté dans des situations parfois émouvantes.

Un roman parfait pour les adolescents qui souhaitent une histoire d’amour hors des cases et qui prouve que les relations humaines ne se résument pas à une classification scientifique !

Taxonomie de l’amour, Rachael Allen (Bayard)
disponible le 8 juillet 2020
9782747095051 – 14,90€
à partir de 14 ans
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Une vie en milonga – Fanny Chartres

Alma vit à Brest avec ses parents qui gèrent le café Sans Souci et son petit frère sourd. Elle est passionnée de plongée sous-marine, adore sa meilleure amie Apolline aux looks excentriques et rêve de parler au beau Félix. Le jour où la mère d’Alma veut imposer à son petit frère Angelo de porter des implants cochléaires, le monde d’Alma vacille…

Fanny Chartres nous avait profondément touché avec son émouvant et lumineux Solaire. Elle nous démontre encore une fois toute sa sensibilité et tout son talent à dépeindre des fratries d’une grande justesse. Alma et Angelo sont très proches, la plus grande toujours là pour prendre soin de son petit frère et lui signer les conversations des clients du café, ou celles de son entourage quand il ne peut pas lire sur les lèvres. Sourd depuis la méningite qui a failli lui coûter la vie un jour de match de coupe du monde, le petit garçon se fait très bien à cette vie sans sons. Sauf quand sa mère n’accepte pas son handicap et qu’elle voudrait un petit garçon « normal », qui puisse suivre la classe avec les entendants, même si les implants le gênent, même si sa langue, c’est la LSF. Une incompréhension qui plongent Angelo comme sa mère dans une certaine douleur, jusqu’à ce que l’orage éclate !

Touchante et passionnante, Fanny Chartres nous offre une histoire de famille d’une grande richesse, saupoudrant son récit de disparitions en mer, d’Argentine dansante, de légendes marines, de culture sourde, de préjugés qui éclatent ou encore d’une très belle leçon de solidarité. Mais c’est bien sûr aussi un roman qui invite à réfléchir à la différence et à l’acceptation de celle-ci. L’occasion d’évoquer la culture sourde et la LSF, un sujet que l’on a déjà pu lire dernièrement chez Florence Medina (Direct du cœur, excellent pour les ados) ou encore Alex Gino (Tu crois tout savoir, Jilly P., avec un point de vue américain).

Une vie en milonga, c’est la magnifique et profonde relation entre une sœur et son petit frère, un roman sensible, poétique et bienveillant, qui fait également la part belle à toute une galerie de personnages aussi différents que drôles, mystérieux ou surprenants. A découvrir absolument !

Une vie en milonga, Fanny Chartres (L’école des loisirs)
collection Médium
disponible depuis le 29 janvier 2020
9782211306096 – 13,50€
à partir de 11 ans
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À la recherche de Jack – Mel Darbon

Rosie aime Jack. Mais Rosie est une jeune fille trisomique et Jack un garçon qui ne contrôle pas sa colère. Lors d’un épisode particulièrement violent, Jack est envoyé dans un autre établissement. Une situation d’autant plus difficile pour Rosie que son père lui cache les lettres que Jack lui envoie. L’aime-t-il encore ? Pense-t-il à elle ? Rosie est dévastée et, lorsqu’elle découvre enfin les cartes postales de son amoureux et son adresse, elle n’a plus qu’une idée en tête : le rejoindre !

Rares sont les héros handicapés dans les romans, et encore plus rares quand ils sont trisomiques. Même s’ils sont parfois au cœur de l’histoire, comme dans celle d’Erin Lange (pour les plus récentes), ce ne sont pas toujours eux qui nous racontent la leur. Et c’est sans doute l’une des plus grandes forces de ce roman que de nous faire entrer dans la vie et la tête de Rosie, 16 ans, trisomique, et qui se traduit par un style bousculant, naïf, plein d’humanité.

J’ai aimé Rosie pour le réalisme de sa représentation : l’intensité de ses émotions, la façon de s’ouvrir aux autres sans aucun filtre, sa ténacité, son envie d’être indépendante, de réussir à faire toute seule, de se montrer forte tout en sachant sa différence et les réactions qu’elle peut provoquer chez les autres. Mais plus encore, c’est l’universalité de l’histoire de Rosie : elle veut retrouver son amoureux. Qu’importe son handicap, elle essayera coûte que coûte d’atteindre son but. Si tout paraît « facile » au premier abord dans la fuite de Rosie, avec tous ces londoniens sympathiques et aidants, les choses se gâtent lors d’une malheureuse rencontre et le roman se transforme alors en thriller. A ce moment-là, Mel Darbon crée une atmosphère qui fonctionne parfaitement : on a peur de ce qui pourrait arriver à Rosie tout en priant pour que ça n’arrive pas. C’est la partie la plus sombre du roman mais c’est sans aucun doute celle qui permet au roman d’être bien dosé en terme de « romance impossible » et de nous tenir en haleine vraiment jusqu’au bout. Rosie retrouvera-t-elle Jack ?

À la recherche de Jack est un roman véritablement unique par son personnage et son sujet audacieux, l’universalité de son histoire d’amour. Mais surtout, il est unique pour la place qu’il donne à ce personnage handicapé, souvent invisibilisé dans nos sociétés (et ce sur bien des plans, et notamment celui de l’amour ou de la sexualité).
Rosie est une héroïne que l’on n’oubliera pas ! ❤

À la recherche de Jack, Mel Darbon, traduit par Lili Sztajn (Hélium)
disponible depuis le 11 septembre 2019
9782330124540 – 16€
à partir de 13 ans
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Duos improbables !

Force est de constater qu’on arrive à vous présenter des romans ou des albums avec des thématiques souvent proches. Cette fois, si les histoires de nos deux romans n’ont pas grand-chose en commun (quoique !), ils nous proposent en revanche tous deux des duos assez improbables… 😛

Nos mains en l’air

Dans la famille de Victor, on est braqueurs de père en fils. Sauf que Victor, c’est pas vraiment son truc. Il est plutôt gentil, et vient même en aide aux victimes de traumatismes. De son côté, Yaël est une toute jeune ado sourde, orpheline vivant chez une tante richissime et détestable. Lorsque Victor est envoyé cambrioler la maison de Yaël, la rencontre est totalement inattendue et va les mener à quitter leurs familles respectives…

★★★★☆

De cette rencontre aussi étonnante qu’improbable va débuter un road-trip d’Angers jusqu’à la Bulgarie où nos deux héros vont apprendre à se connaître et à se dépasser. Le talent de Coline Pierré réside dans la justesse de son ton, et dans la tendresse qu’elle met à chaque fois dans ses histoires et ses personnages. Il faut du temps à Victor pour apprivoiser la jeune Yaël, qui ne se laisse pas abattre par son handicap, mais l’inverse est également vrai, et la relation qui se noue entre les deux jeunes gens est lumineuse, spéciale, et donne toute sa saveur à ce roman aussi drôle que sensible. Une très belle réflexion sur la famille, le dépassement de soi, et une magnifique histoire d’amitié.

Nos mains en l’air, Coline Pierré (Le Rouergue)
collection DoAdo
disponible depuis le 1er mai 2019
9782812618000 – 14,80€
à partir de 13 ans

 

Et la Lune, là-haut

Alistair est un génie des maths. Son rêve : aller sur la Lune. Mais Alistair n’a jamais mis les pieds hors de son appartement, où il vit seul avec sa mère. S’il est incollable sur les sciences (de l’astronomie au décryptage des émotions), il est en revanche complètement démuni lorsque sa mère décède, le laissant totalement seul. Il se décide alors à sortir et est tout de suite repéré par Yaro, un jeune sans-papiers qui flaire le bon pigeon…

★★★★☆

Nous passons un cran au-dessus dans l’improbable avec le duo Alistair-Yaro et leur histoire aussi rocambolesque que délirante ! Pourtant, et comme chez Coline Pierré, les choses sont loin d’être marrantes : la relation toxique entre Alistair et sa mère, le passé d’immigré de Yaro et toutes les embûches qu’ils vont rencontrer au cours de leur drôle de périple… Car malgré tout cela, et en dépit de la volonté de Yaro de juste crécher au sec quelques jours et se barrer ensuite, comme nous, il ne peut que s’attacher à ce drôle de zozo incapable de savoir ce que l’on fait lorsqu’une personne décède (la mettre dans le canapé n’est pas une bonne idée, par exemple). Muriel Zürcher réussit avec beaucoup d’humour et d’humanité à nous emporter dans ce compte à rebours décalé vers la réalisation des rêves d’Alistair et de Yaro.

Et la lune, là-haut, Muriel Zürcher (Thierry Magnier)
disponible depuis le 22 mai 2019
9791035202507 – 14,50€
à partir de 13 ans
Son
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Un si petit oiseau – Marie Pavlenko

En vacances, Abi est victime d’un terrible accident de la route qui lui laisse un bras en charpie. Amputée, la jeune fille doit composer avec ce handicap et laisse son ancienne vie, insupportable, derrière elle pour se murer dans son chagrin et la détestation de son nouvel état…

★★★★☆

Il y a deux ans, Marie Pavlenko nous faisait nous gondoler avec Déborah et sa loose légendaire. Cette année, autant vous dire qu’on se marre moyen moyen avec ce nouveau roman qui commence durement, et sanglantement. Imagine, t’as 20 ans et toutes tes dents, tu rêves de devenir véto… Bon, t’as quand même été larguée par ton copain deux semaines plus tôt, ça va peut-être pas fort. Et là, bim, tu te retrouves avec le bras amputé jusqu’à l’épaule. Tu passes des mois à l’hosto, tes parents en profitent pour déménager et quand tu reviens, tu peux gentiment te terrer dans ta chambre, te gaver d’antidouleurs et attendre que le temps passe à te morfondre sur ton état et sans voir personne. Car tu es devenue moche, inutile, un vrai poids pour ta famille. D’ailleurs ta sœur en a marre et te le fait sentir, ton père fait le mariole pour essayer de te faire rire, ta mère plaque tout pour s’occuper exclusivement de toi, et ta tante folle-dingue essaye tant bien que mal de te remonter le moral. Ouais, bon, dis comme ça, ça a l’air horrible comme vie. Et sans doute que ça l’est ! Essayez donc de faire des choses avec un seul bras quand vous en avez toujours eu deux ! Et puis, petit à petit, Abi sort de sa coquille… Ça commence par une petite sortie chez le coiffeur, et puis au parc…et puis avec quelqu’un, quelqu’un d’autre qu’un membre de sa famille… Ce quelqu’un, c’est Aurèle, un passionné de zoziaux qui parviendra peut-être à inciter Abi à déployer ces ailes… (C’est beau, hein ?)

Encore une fois, Marie Pavlenko parvient à trouver le ton juste, sait instiller la touche d’humour, de légèreté ou de totale déconnade quand il le faut, sans jamais minimiser les émotions et les sentiments de son personnage, son rapport à ce nouveau corps, sa gravité, ses doutes et ses peines. On sent un véritable amour pour Abi et sa famille – la relation mère/fille est d’ailleurs touchante, et est un peu dans la continuité de celle de Je suis ton soleil. Et suivre Abi dans ce chemin vers l’acceptation de son nouveau soi, de sa perte, dans sa (re)découverte des autres, est une expérience absolument bouleversante. Un si petit oiseau est une petite pépite de douceur et d’émotion à découvrir comme à l’éclosion d’un petit volatile qui sort de son œuf. Prenez-en soin et il vous le rendra bien. 🙂

Un si petit oiseau, Marie Pavlenko (Flammarion)
disponible depuis le 2 janvier 2019
9782081443846 – 17,50€
à partir de 13 ans
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Tous les bruits du monde – Sigrid Baffert

Italie, 1905. Pour venger son honneur, Graziella s’apprête à tuer son ex-fiancé Anthelmo. Enceinte jusqu’aux yeux, elle le regarde en épouser une autre, avant de viser son cœur… Condamnée pour ce meurtre, Graziella se retrouve en prison et attend son jugement, jusqu’au jour où un tremblement de terre lui offre la fuite. Une vie nouvelle s’offre à elle, mais les démons du passé ne sont jamais loin…

★★★★★

Pour ceux à qui manquait un grand roman d’aventure : voici Tous les bruits du monde ! Un destin de femme, une histoire d’amour gâchée, un honneur à laver plus important que la vie elle-même, une malédiction, des éléments qui se déchaînent, des traversées en bateau et des découvertes fabuleuses, il se passe tout cela, et bien plus encore dans le nouveau roman de Sigrid Baffert, qui nous transporte dans l’Italie et la France du début du XXème siècle. On notera d’ailleurs tout le travail de documentation pour ce roman historique où des événements réels côtoient les inventions de l’époque et quelques grandes figures des début du cinéma. Des détails et des clins d’œil qui n’éclipsent certainement pas l’aventure palpitante de Graziella et de son frère Baldassare qui vont tous deux fuir leur Italie natale pour rejoindre la France, où ils espèrent non seulement échapper aux représailles de leur départ mais également retrouver leur frère aîné, Tommaso, disparu mystérieusement voilà des années… Mais si la chance semble sourire à cette fratrie qui accueillera très vite l’enfant illégitime et non désiré de Graziella, le passé et le danger sont clairement à leurs trousses.

Un roman captivant, porté par une plume sensible et exigeante, qui, au-delà de l’aventure et de l’histoire d’une vengeance familiale, aborde aussi des thèmes beaucoup plus rares dans ce genre mais qui offrent de passionnantes explorations de l’humain : l’amour maternel, ou plutôt ici son absence ; la surdité et comment, voilà plus d’un siècle, on traitait les jeunes sourds ; et l’exil, grande question d’actualité s’il en est. Les personnages sont admirables dans leur construction, à commencer par Graziella, aussi vulnérable que déterminée, en proie à un conflit autant physique qu’émotionnel et Baldassare, le frère funambule, véritable soutien pour sa sœur, qui navigue entre l’espoir et le pragmatisme. Et puis César, le frère d’Anthelmo, un personnage diablement angoissant, qui étend son ombre menaçante sur tout le roman…

Tous les bruits du monde, c’est le souffle de la liberté, la richesse d’une époque, des personnages, et toute l’émotion d’un grand roman d’aventure.

Tous les bruits du monde, Sigrid Baffert (Milan)
disponible depuis le 22 août 2018
9782745997685 – 15,90€
à partir de 13 ans