Son
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Signé poète X – Elizabeth Acevedo

Xiomara, presque 16 ans, est une adolescente à qui on impose le silence. Ecrasée par une mère bigote qui veut faire d’elle une nonne, ignorée par un père constamment devant sa télé, reluquée et sifflée par tous les hommes à cause d’un corps devenu femme trop vite, son seul soutient réside en son jumeau, quoique pas toujours très aidant, et sa meilleure amie qui n’en peut plus de son intérêt pour les garçons… Jusqu’au jour où quelqu’un est prêt à entendre sa voix.

Vous en avez sans doute déjà beaucoup entendu parler, mais Signé Poète X le mérite assurément. Elizabeth Acevedo, americano-dominicaine et poétesse, a sans doute utilisé beaucoup de son propre parcours pour nous offrir celui de Xiomara, jeune fille qui doit jongler entre la religion et son premier amour. Comment réussir à être soi, à s’affirmer et à s’aimer quand, depuis toujours, le poids de la tradition, des stéréotypes, condamne toute forme d’émancipation ? Fille d’immigrés dominicains, fille d’un couple malheureux condamné au jugement des autres, fille « miracle », jumelle complètement différente de son frère avec qui elle ne parvient pas à communiquer, Xiomara ne peut quasiment compter sur personne pour s’en sortir. Alors elle le fait avec ses poings, n’hésitant pas à casser le pif de ceux qui se frottent trop près de son corps trop précoce, ou qui emmerdent son frère qui n’a pas sa carrure. Son seul refuge : un carnet dans lequel elle note ses poèmes, un jardin secret qu’elle n’est prête à ouvrir à personne, sauf peut-être à Aman…et puis à ce club de slam monté par la prof qui a remarqué son talent ?

Magnifique roman en vers, dans une traduction signée Clémentine Beauvais, Elizabeth Acevedo nous touche au cœur avec ce texte intense, et cette voix exceptionnelle qu’est celle de Xiomara, entre colère et pudeur. Un texte féministe sans aucun doute, mais qui évoque aussi la pression parentale, le poids de la religion, la puissance des mots et l’adolescence qui se cherche, qui veut croire en ses rêves. La puissance des mots de Xioamara, leur sensibilité et leur justesse, en font un roman rempli d’espoir et d’amour. Une très belle découverte, et une autrice à suivre et à entendre très bientôt en France (et profitez ainsi d’aller faire un petit coucou à notre coupine Lucille) ! 😉

Signé poète X, Elizabeth Acevedo, traduit par Clémentine Beauvais (Nathan)
disponible depuis le 29 août 2019
9782092587294 – 16,95€
à partir de 14 ans
Son
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Inspirants portraits de femmes

En ce dimanche d’une semaine bien choisie, ce sont deux albums documentaires consacrés aux femmes que nous vous proposons de découvrir, dans la lignée des Histoires du soir pour filles rebelles. 🙂

J’aimerais te parler d’elles

Avec J’aimerais te parler d’elles, on retrouve le principe des portraits de femmes qui ont marqué l’histoire : elles sont artistes, scientifiques, militantes ou aventurières. Certaines sont déjà très célèbres (Calamity Jane, Marie Curie, Simone Veil ou encore Emma Watson), d’autres un peu moins mais toutes ont été retenues pour leur contribution à l’évolution des droits des femmes. Grâce à leurs destins exceptionnels, ces 50 femmes du monde entier sélectionnées dans le 19e et le 20e siècle permettent à son autrice, Sophie Carquain, de délivrer aux plus jeunes lecteurs des messages positifs et inspirants. Les illustrations colorées de Pauline Duhamel enrichissent véritablement cet album, depuis les portraits en médaillon très ressemblants aux images pleine page proposant des scénettes humoristiques et optimistes.

J’aimerais te parler d’elles, Sophie Carquain, illustré par Pauline Duhamel (Albin Michel Jeunesse)
disponible depuis le 27 février 2019
9782226437785 – 15€
à partir de 6 ans

 

Les inventrices et leurs inventions

Du côté des éditions des Éléphants, ce sont les inventrices qui sont à l’honneur ! Dans cet album tout aussi passionnant, on découvre ainsi que de nombreuses inventions toujours utiles de nos jours (le lave-vaisselle, les essuie-glaces ou encore le Wi-Fi) ont été imaginées par des femmes ! Évidemment, toutes sont inconnues au bataillon, à part peut-être Hedy Lamarr pour les plus cinéphiles. Des textes courts et intelligents qui présentent à la fois l’inventrice (sauf quand on ne sait pas grand-chose d’elle) et les circonstances de son invention. Aitziber Lopez rend ainsi justice à ces femmes oubliées et démontre que les idées et les inventions scientifiques ne sont pas que l’apanage des hommes. Un album encore une fois inspirant, et joyeusement illustré par Luciano Lozano.

Les inventrices et leurs inventions, Aitziber Lopez, illustré par Luciano Lozano, traduit par Sébastien Cordin (Éditions des Éléphants)
disponible depuis le 21 février 2019
9782372730723 – 14€
à partir de 6 ans
Son
1

Celle qui voulait conduire le tram – Catherine Cuenca

Bob vous parlait de la collection de romans historiques Les Héroïques la dernière fois. Il en a lu encore un qui s’intéresse cette fois au sort des femmes durant la Première Guerre mondiale et c’est toujours aussi bien !

9782362661549,0-3723062

En 1916, les hommes sont mobilisés sur le front et les femmes prennent leur relève. Ancienne couturière, Agnès devient alors conductrice de tramway, un emploi mieux payé et qui lui plaît beaucoup. Mais lorsque son mari revient, blessé, il supporte mal que sa femme gagne plus que lui. Jusqu’au jour où la paix est déclarée et que les femmes sont envoyées. Révoltée, Agnès s’engage dans le mouvement des suffragettes, attisant encore l’animosité de son mari…

★★★★☆

A travers l’histoire d’Agnès, Catherine Cuenca nous fait découvrir un aspect de la Première Guerre mondiale souvent inconnu, voire ignoré : le travail des femmes pour soutenir l’effort de guerre. Des femmes qui prennent la place des hommes dans des métiers jusqu’alors réservés exclusivement aux genre masculin. Parce que, comme vous le savez, les femmes sont faibles de corps comme d’esprit (*blague, si jamais vous n’aviez pas compris*). Mais malgré la guerre et l’absence des hommes sur des postes utiles au quotidien, le remplacement par les femmes n’est pas forcément vu d’un bon œil. Insultes et mines désapprobatrices de la part de la société masculine comme féminine sont le lot de ces femmes qui « osent » postuler à ces emplois. Et si, comme beaucoup, Agnès est d’abord surprise de voir une jeune femme lui valider son ticket en montant dans le tramway, le perspective de gagner plus d’argent que dans son emploi actuel au sein d’un atelier de couture lui donne très vite l’envie de s’engager dans la compagnie de transport. Une décision qui va changer sa vie : elle va apprendre à conduire des tramways et, au contact de Renée, engagée dans la lutte pour le droit de vote des femmes, se trouver également une cause à défendre.

Mais le poids de conventions sociales, de la croyance de l’infériorité des femmes et de leur rôle uniquement marital, ménager, va clairement être un frein à l’épanouissement complet d’Agnès. D’autant plus quand son mari, Célestin, revient blessé de la guerre puis reprend son poste à l’atelier où il travaillait avec Agnès. Il gagne moins qu’elle, n’apprécie pas qu’elle fasse un boulot d’homme et voit d’un très mauvais œil son association avec des féministes et, pire, des « inverties ». Le vin aidant, Célestin se montre de plus en plus hostile et violent, renforcement d’autant la détermination d’Agnès à améliorer sa vie et celle des autres femmes… Une histoire qui trouve sa conclusion en 1945, avec Luce, la nièce d’Agnès et dont vous pouvez vous douter de l’issue historique.

Avec Celle qui voulait conduire le tram, Catherine Cuenca nous livre un roman passionnant sur l’histoire de ces femmes qui se sont battues pour leurs droits à une époque complexe. Au travers d’un destin, celui d’Agnès et de son héritage, évoqué avec humanité et émotion. Ses rêves, ses doutes et ses actions sont rendus avec un réalisme parfois rude, nous rappelant toute la difficulté à se battre pour nos convictions et la patience requise pour être témoin du changement. Un très beau roman historique à compléter avec le visionnage du film Les Suffragettes, sur le même thème mais en Angleterre, où les femmes obtinrent les droit de vote plus tôt que nous…

Celle qui voulait conduire le tram, Catherine Cuenca (Talents Hauts)
collection Les Héroïques
disponible depuis le 11 février 2017
9782362661549 – 14€
à partir de 13 ans
Son
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Le jour où je suis partie – Charlotte Bousquet

Dans le monde parfait de Bob et Jean-Michel où tous naissent et vivent libres et égaux, sous la forme animale de son choix et sans discrimination, les romans de Charlotte Bousquet n’existent pas. Il n’y en a pas besoin. Malheureusement, dans la vraie vie, il y en a vraiment besoin des romans de Charlotte Bousquet…

9782081373853,0-3717549

Tidir vit dans la campagne marocaine avec sa famille. Lorsque son père, qu’elle ne voit jamais, décide de la marier contre son gré, elle décide de fuir et de rejoindre Rabat, où s’organise le 8 mars un rassemblement pour l’émancipation des femmes. Avec le souvenir de sa meilleure amie violée puis mariée de force à son bourreau, elle prend la route, décidée à prendre également son destin en main.

★★★★☆

Avec ce nouveau roman, Charlotte Bousquet continue à s’engager sur la cause des femmes. Après Là où tombent les anges et Sang-de-Lune qui abordaient la condition féminine sous le prisme de l’Histoire et de la dystopie, c’est ici dans nos sociétés actuelles qu’elle ancre le récit de Tidir, jeune fille forte et indépendante révoltée par le sort funeste de sa meilleure amie et par la société dans laquelle elle vit. C’est sa grand-mère Damya qui est son modèle, la seule femme de sa famille à la soutenir et à l’inciter à se battre pour vivre sa vie. Entre les traditions archaïques, ineptes, la peur de la « honte », et l’attrait de la liberté, Tidir choisit très vite quel sens elle veut donner à sa vie, même si ce chemin doit être semé d’embûches. Et il le sera, assurément. Car lorsqu’elle rencontre un jeune français à Marrakech qu’elle sauve in extremis d’une bande de racketteurs, partager sa compagnie est extrêmement mal vu…

Par l’évocation du voyage de Tidir vers sa liberté, Charlotte Bousquet dresse le portrait d’une société marocaine entre des traditions anciennes, rigides, et une modernité qui se veut dénuée de tous préjugés quand ce n’est pas le cas… Une société qui peut nous paraître lointaine mais qui ne l’est assurément pas au vu des combats menés partout dans le monde pour les droits des femmes. Et les réflexions qu’entend Tidir tout au long du roman, de la part des hommes comme des femmes, des campagnards comme des citadins, ne sont pas si éloignées de celles que l’on entend en France à l’égard des jeunes filles ou des femmes… C’est aussi avec beaucoup de justesse et un véritable cheminement dans la pensée de Tidir que Charlotte Bousquet évoque le viol et le destin terrible de son amie Illi. Les questions qu’elle se pose résonneront en chacune, tout comme la réflexion qui évolue au fil de la lecture et des expériences vécues par Tidir. Emaillé de références à des personnalités ou des événements importants pour l’émancipation de la femme au Maroc, et notamment à des auteures ou des journalistes, le roman propose l’éducation et l’écriture comme solution à l’oppression patriarcale. Et c’est peut-être de cette manière que Tidir trouvera sa liberté à elle…

Le jour où je suis partie est donc un très beau récit initiatique, magnifié par l’écriture toujours aussi soignée de Charlotte Bousquet et par la description des paysages de la campagne marocaine qui prennent vie sous nos yeux. Émouvante et sensible, une histoire universelle qui ne devient que trop nécessaire pour inviter les jeunes filles et garçons à réfléchir à leur avenir…

Le jour où je suis partie, Charlotte Bousquet (Flammarion jeunesse)
collection Tribal
disponible depuis le 4 janvier 2017
9782081373853 – 13€
à partir de 13 ans
Son
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Sang-de-lune – Charlotte Bousquet

Il y a un an paraissait le sublime et poignant Là où tombent les anges. Pour cette nouvelle rentrée, Charlotte Bousquet revient dans la collection Électrogène pour nous livrer un roman où la femme est encore une fois au centre de l’histoire…

9782354884161,0-3396360

Gia est une sang-de-lune, une femme, une créature bien inférieure aux fils-du-soleil, les hommes qui règnent sur Alta. Comme toutes les femelles de la cité, elle est promise au mariage et à porter les enfants de l’homme que son père lui choisira. Mais Gia est profondément attachée à sa petite sœur, Arienn, qui ne rêve elle que de liberté. Ce désir impossible et illicite prend bientôt aussi de la place dans le cœur de Gia…

★★★★☆

Monde souterrain basé sur la croyance du combat entre le Soleil et la Lune contre les Ténèbres qui a précipité l’humanité dans les tréfonds de la roche, Alta est aussi une société où les femmes sont impures et faibles par nature. Par conséquent, elles peuvent être plus facilement sujettes à l’appel des ténèbres. A Alta, une femme ne peut absolument rien faire de sa vie à part servir les hommes lors des repas et enfanter leurs fiers garçons (si possible !). Bien sûr, si une femme contrevenait aux lois édictées dans le Livre du Soleil ou les Lois d’Alta, c’est le couvent ou la lapidation à mort.

C’est de cette vie absolument idyllique dont Gia veut sortir. Poussée par sa petite sœur et son insatiable désir de s’envoler vers la liberté, les deux jeunes filles tentent un jour leur chance. Mais si Alta est un endroit terrible pour une femme, le reste du territoire n’est pas forcément mieux : Horde de tueurs sanguinaires, Noctes exercés à voir en pleine noirceur et vers bizarroïdes capables de vous transformer en zombies peuvent sa cacher derrière chaque boyau. Mais il existe une dernière catégorie de gens qui font tout aussi peur aux gens d’Alta, et particulièrement à leurs dirigeants : les rebelles, les exilés. Heureusement pour Gia et notre histoire, c’est bien sur ces derniers que la jeune fille va tomber…

Je vous laisse découvrir le reste de ce roman encore une fois très bon de Charlotte Bousquet qui, si au début nous fait plutôt penser à une dystopie inspirée de la condition des femmes dans les sociétés moyen-orientales, se révèle être un véritable plaidoyer pour la condition des femmes DU MONDE ENTIER ! Car les situations vécues par ces sang-de-lunes, ces « femelles », ne sont pas exclusives à une certaine partie du monde ou à une certaine catégorie de personnes, et c’est ce qui fait aussi de Sang-de-lune un roman actuel et engagé.
Et pour en revenir à la fiction, même si j’ai trouvé la fin un peu trop rapide et que j’aurais aimé en savoir plus sur les secrets d’Alta et comment ils en sont « arrivés là », à cette société plus patriarcale tu meurs, le roman de Charlotte Bousquet est proprement captivant et toujours aussi bien écrit. Un très bon roman de science-fiction qui, je l’espère, trouvera un écho de révolte chez toutes les filles, jeunes filles et femmes…et aussi chez les mecs ! C’est surtout eux qu’il faut « éduquer », non ? 😛

Sang-de-lune, Charlotte Bousquet (Gulf Stream)
collection Électrogène
disponible depuis le 25 août 2016
9782354884161 – 17€
à partir de 14 ans
Son
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Ne ramenez jamais une fille du futur chez vous – Nathalie Stragier

9782748520651,0-3131554

Pour cette première chronique de 2016, rien de mieux que de vous présenter un premier roman. Et si en plus il donne la pêche, c’est plutôt une bonne façon de commencer l’année. 🙂 Que cache donc ce titre à rallonge et cette couverture étonnante (oui, c’est bien un sèche-cheveux mais vous saurez tout en lisant…le livre !) ?

Andrea est une lycéenne sans histoire, préparant son voyage d’été avec son meilleur ami quand tout bascule. Elle rencontre en effet Pénélope, une fille totalement paniquée, persuadée de venir du futur et pour qui l’année 2019 est celle de la fin du Moyen âge, une époque barbare et dangereuse. Et lorsque Andrea la ramène chez elle, c’est véritablement le début des ennuis…

★★★★☆

« Une comédie à suspense décapante et addictive », voilà ce que vous promet l’éditeur…et il a carrément raison ! Vous n’allez pas lâcher ce roman qui se lit avec un véritable plaisir et qui brosse un portrait de notre société hilarant. Je n’ose pas en dire plus, de peur d’en révéler trop sur l’histoire, même si on la devine assez rapidement quand Pénélope parle de son monde à elle, mais sachez que le féminisme y est très présent. Le trait est parfois un peu forcé mais sert tellement bien l’intrigue que l’on ne peut s’empêcher de sourire, et de réfléchir aussi ! Une réflexion qui nous pousse à nous interroger sur les différences entre les hommes et les femmes, sur notre mode de vie…

L’écriture de Nathalie Stragier fait beaucoup dans ce roman. Fluide, rythmée et sans complexes, on tourne les pages sans s’en rendre compte et on s’attache instantanément à Andrea, à sa famille et à cette drôle de fille perdue dans les méandres d’un passé qui la terrifie. Il n’y a peut-être que le personnage de Mathias, le meilleur ami d’Andrea, que l’on regrette de ne pas connaître un peu plus au regard de l’importance qu’il semble avoir pour la jeune fille. Mais c’est bien Pénélope et ses drôles de réactions et réflexions qui nous intéressent le plus, nous intriguant sur son propre monde et nous faisant réaliser des choses sur le nôtre. En parlant de son monde, j’ai un autre petit regret : que le côté science-fiction du roman ne ressorte pas un peu plus, mais le sujet ne portant pas réellement sur le voyage dans le temps, on se rend très vite compte que c’est moins important que la société dans laquelle est née Pénélope et qui fera l’avenir d’Andrea. De plus, les mots de l’auteur (dans l’interview réalisée par Syros qui accompagnait le service de presse que nous avons reçu) laissent à penser que le roman pourrait avoir une suite… Nous en saurons sans doute plus à ce moment-là ! 😛

En tous cas, Ne ramenez jamais une fille du futur chez vous est le roman idéal pour commencer 2016 avec le sourire, et sans oublier la réflexion. Une très chouette découverte ! 🙂

Ne ramenez jamais une fille du futur chez vous, Nathalie Stragier (Syros)
disponible le 7 janvier 2016
9782748520651 – 16,90€
à partir de 13 ans

Son
3

Là où tombent les anges – Charlotte Bousquet

9782354882068,0-2690085

Après avoir été totalement électrisés par Brainless de Jérôme Noirez, Bob et Jean-Michel avaient hâte de découvrir le nouveau texte de la prometteuse collection Electrogène. Une collection qui porte vraiment bien son nom !

Solange, 17 ans, quitte son village après avoir essuyé les coups de son père une fois de trop. Elle retrouve Lili, son amie d’enfance, à Paris. Les deux jeunes filles courent les bals populaires, travaillent durement pour gagner leur vie. Jusqu’à ce que Solange rencontre Robert Maximilien, un banquier qu’elle finit par épouser. Mais l’homme se révèle vite abusif et, lorsque la guerre éclate et que Robert est appelé au front, Solange commence à respirer…

★★★★★

Quelle fresque magnifique ! Il m’est encore difficile de trouver les mots après avoir refermé la dernière page de ce roman historique tout en force et en émotion… Charlotte Bousquet nous raconte la vie de femmes, plus particulièrement de Solange mais également de ses amies, pendant la Première guerre mondiale. De la fille de joie sur le front en passant par les munitionnettes ou les couturières jusqu’aux aristocrates, ce sont les vies, et la survie, de toutes ces femmes qui nous passionne, qui nous tient en haleine alors que la guerre fait rage, que les amoureux, les fils, les maris, les inconnus, affrontent les allemands. Il n’y a peut-être que Solange qui tremble différemment des autres, qui craint le retour de Robert, de sa jalousie, du contrôle qu’il maintient sur elle, de sa violence.
Charlotte Bousquet nous décrit avec beaucoup de talent et une très riche documentation le Paris de la Belle Epoque, l’insouciance des bals populaires, les cabarets macabres qui font fureur puis la terreur de la Première guerre mondiale et, surtout, la condition des femmes à cette époque. Solange est la représentation parfaite de cette condition, on suit son évolution avec appréhension puis défi, on s’attache à elle, à Clémence, à Lili, à Emma…à toutes ces femmes aux secrets, convictions ou vies différentes. L’intérêt historique du roman est certain, d’autant que l’auteure débute chaque chapitre avec l’extrait d’un quotidien ou d’un texte de l’époque, que Solange rencontre de nombreux artistes que nous connaissons bien (Marcel Proust ou Erik Satie pour les plus connus). Mais ce qui fait de Là où tombent les anges un roman véritablement splendide, c’est bien toute l’émotion que nous ressentons à la lecture des mots de Charlotte Bousquet, la complexité et la variété de ses portraits de femmes, mais aussi l’importance du féminisme, de la liberté. Un témoignage foisonnant et rare sur la condition féminine de cette période. Un roman magnifique et indispensable.

Là où tombent les anges, Charlotte Bousquet (Gulf Stream)
collection Electrogène
disponible le 3 septembre 2015
9782354882068 – 17€
à partir de 15 ans

Son
4

Wild girl – Audren

9782226318510_1_75

En cette rentrée, Albin Michel lance une toute nouvelle collection : Litt’, des romans français à destination des adolescents à partir de 13 ans. Les deux premiers titres sont signés par des auteurs que nous connaissons bien : Audren et Fabrice Colin. Aujourd’hui, c’est celui d’Audren que l’on vous présente ! 🙂

1867. Milly Burnett, toute jeune institutrice de 19 ans, décide de quitter sa vie bourgeoise au Massachussetts et se rend dans le Montana, où elle sera sans doute utile aux enfants des colons et, surtout, libre et heureuse. Après un long et dur voyage, elle arrive à Tolstoy, une bourgade de chercheurs d’or. Mais le quotidien n’est pas facile, entre les conventions puritaines encore importantes et les coups de feu à toute heure du jour et de la nuit… Il le sera encore moins quand elle accueillera dans sa classe un jeune homme de 17 ans, Joshua, petit frère de la terreur du coin…

★★★☆☆

On connaît le talent d’Audren et après nous avoir régalé de ses Orphelines d’Abbey Road, elle nous entraîne cette fois-ci dans le Far West, où une jeune femme en avance sur son temps va découvrir le véritable sens de la liberté. Comme l’auteure nous l’explique en préambule, si son roman est une fiction, il est en tous cas parfaitement documenté et on découvre avec intérêt les difficultés du voyage de l’Est vers l’Ouest ; de la condition des femmes à l’époque, et notamment de la chance de Milly d’être née dans une famille quasi « parfaite » (notamment sur les questions de société : abolition de l’esclavage, droits des femmes…) ; de la création des États ; du sort réservé aux tribus indiennes… Mais c’est surtout Milly que nous suivons avec beaucoup de plaisir, et souvent d’appréhension car la jeune femme ne va pas connaître une vie de tout repos ! Il y a parfois un petit côté Petite maison dans la prairie, on est plutôt loin du western rugueux, mais ça n’en est pas désagréable. C’est justement ce qui fait l’intérêt de Wild girl : ce souffle de romantisme et de liberté que l’on ressent à chaque page. Même si je l’ai trouvé parfois un peu plombé par une écriture trop descriptive et insistante, cela n’en reste pas moins un joli roman, qui se lit de façon très agréable et plutôt rafraîchissant dans le genre.

Wild girl, Audren (Albin Michel)
collection Litt’
disponible le 2 septembre 2015
9782226318510 – 15€
à partir de 13 ans

Son
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La tête ne sert pas qu’à retenir les cheveux – Sabine Panet et Pauline Penot

9782364747265

Après Le cœur n’est pas un genou que l’on peut plier, Sabine Panet et Pauline Penot nous proposent une nouvelle évocation de la famille Bocoum.

Awa Bocoum a 16 ans et apprivoise son corps de femme avec difficulté. Lorsqu’elle rencontre une gynécologue, elle apprend qu’elle a été excisée. Elle n’a jamais entendu ce mot et face à cette pratique d’un autre temps, c’est la colère qui la gagne. Puis la volonté de protéger ses petites sœurs.

★★★★☆

Je n’avais pas lu le précédent roman sur la famille Bocum et, s’il y a sans doute des choses qui m’ont échappé, cela ne m’a pas gênée dans cette lecture. Les personnages sont en effet réintroduits succinctement mais suffisamment clairement pour que l’on s’y retrouve tout de suite. 😉
Après un mariage forcé qui a finalement capoté, Awa se découvre une douleur à l’entrejambe. Une consultation au Planning familial va lui apprendre ce qui lui donne tant de souffrance : on lui a coupé une partie de son sexe. C’est une révélation pour elle, tant dans la découverte de son propre corps, presque taboue jusqu’alors, mais aussi sur les pratiques ancestrales qui touchent les filles africaines. Son dégoût et sa révolte sont immédiats, la colère contre sa mère, contre sa famille qui lui a caché ce qu’ils lui ont fait. Mais, surtout, c’est la peur que cela arrive à sa plus jeune sœur, Amayel, qui vient d’avoir un an.
Très bien écrit, le roman évoque avec justesse et précision les mutilations génitales féminines. Il est intéressant d’avoir les deux points de vue : celui des médecins et celui des femmes africaines pour qui il est important d’être excisée afin de s’intégrer correctement à la société. On comprend ainsi le poids des traditions et comme il semble difficile de s’en défaire. J’ai trouvé le sujet très bien traité, tout comme les sentiments d’Awa sur le sujet, combien il lui est difficile d’en parler avec les femmes de sa famille, tous les mauvais souvenirs que cela ravive.
Le roman ne s’attache pas qu’à l’excision, même si c’est le cœur du livre. Beaucoup d’autres sujets sont évoqués, notamment le racisme ou les préjugés, les clichés. Sur ceux-là, c’est la petite sœur d’Awa, Ernestine, qui est concernée. Une jeune fille pétillante et dynamique qui rêve de cinéma. Les passages qui la concernent sont souvent très drôles, pleins de situations délirantes qui font un peu retomber la pression du roman et qui nous permettent de rire entre des événements un peu plus durs. A ce niveau-là, le rythme est très bien dosé, et malgré le sujet grave dont il est question, on garde du roman une impression tout de même positive et énergisante.
La famille Bocoum est sans aucun doute une famille à laquelle on s’attache et qu’on aimerait retrouver régulièrement. Une famille forte et étonnante, entre tradition et modernité, entre pleurs et rires.

La tête ne sert pas qu’à retenir les cheveux, Sabine Panet et Pauline Penot (Thierry Magnier)
collection Grand format
disponible le 26 août 2015
9782364747265 – 14€
à partir de 13 ans