Son
1

Papayou – Matthias Arégui

Depuis le merveilleux et envoûtant Kodhja de Thomas Scotto et Régis Lejonc, les éditions Thierry Magnier nous proposent de temps à autres des albums de bandes dessinées, aussi grands par la taille que par leurs qualités esthétiques et narratives. Et c’est encore une fois le cas avec ce nouvel album de Matthias Arégui. 🙂

9791035201326,0-4694122Bachkopf est le primate le plus grand et le plus fort de la tribu, se rendant indispensable pour ses congénères. Jusqu’au jour où le vieux Papayou trouve un petit chien dans la jungle. L’animal, mignon et rapportant plein de trésors devient très vite l’objet de toutes les attentions… Ce qui ne plaît évidemment pas à Bachkopf !

★★★★☆

Librement inspiré d’une fable japonaise, Hanasaka Jiisan, non traduite en français mais dont vous pouvez en lire une version wikipédienne, Papayou vous rappellera sans doute d’autres contes occidentaux ou orientaux que nous connaissons mieux où un objet ou animal magique attire la convoitise ou la jalousie d’un voisin, d’un ami ou d’un ennemi quelconque. Car, on le découvre très vite, Pipou, le petit chien trouvé par Papayou est magique ! Sa truffe et ses pattes flairent et déterrent les plus chouettes trésors, rendant la vie de cette tribu de macaques vachement plus facile. Ce que faisait pourtant déjà le grand et fort Bachkopf, mécontent de voir son rôle au sein du groupe complètement oblitéré par cette petite bête. Vous l’imaginez bien, Bachkopf ne va pas laisser les choses continuer ainsi et sa vengeance sera terrible…

9791035201326_etm_papayou-4 9791035201326_etm_papayou-38

L’album de Matthias Arégui s’ouvre dès la première page sur une planche sans texte, où l’on découvre un chien qui creuse et un singe qui applaudit sa trouvaille. Une illustration en pleine page nous montre ensuite tout l’amour du vieux macaque pour son petit compagnon à quatre pattes. Et le narrateur arrive enfin pour nous présenter Papayou et Pipou, apportant la notion de chapitre à l’histoire et remontant dans le temps pour nous montrer comment Bachkopf est passé d’élément indispensable à la survie du groupe au singe envieux et rendu méchant par la jalousie. Une construction et un narrateur-conteur qui donnent tout son charme à cette BD magnifique. Le format imposant de l’album est idéal pour apprécier les images et les couleurs de Matthias Arégui, notamment quand elles s’étendent sur une page entière, nous proposant ainsi des planches belles et terribles, où l’émotion survient quand on ne s’y attend pas. Car il y a de l’humour dans Papayou, des petits détails, des réactions et des situations qui font sourire, mais aussi et surtout des émotions fortes, de la touchante et indéfectible amitié au deuil et à l’espoir en passant par la peine, le désir de vengeance, la haine. C’est très subtil, très joliment dessiné dans les expressions de ces singes et de ce petit chien. Matthias Arégui a un univers et un ton particuliers qui rendent son Papayou magnifique et magique. Une très belle découverte !

Papayou, Matthias Arégui (Thierry Magnier)
disponible depuis le 10 janvier 2018
9791035201326 – 20,50€
à partir de 8 ans
Discussion
1

T’arracher – Claudine Desmarteau

9791035200763, 0-4318608

Un torse nu de jeune mâle, une couverture étonnamment douce au toucher… vous pensiez que Claudine Desmarteau se mettait au new adult ? 😛

Lou est en terminale. Entre les copains, les fêtes et l’Admission Post Bac, ce pourrait être une année tout à fait « normale » pour la jeune fille, mais ce n’est pas le cas. Mais Lou a été quittée par son mec. Et ça, ça l’a proprement anéantie. Son absence l’obsède tandis que son chagrin semble grandir chaque jour. En fait, il n’y a plus rien qui compte que Lui, l’absence de lui…

Bob s’arrache les cheveux

★★★★☆

Le roman s’ouvre sur une page complète de « Toi » répétés inlassablement, qui donne le ton et nous plonge aussitôt dans les affres de la douleur sentimentale. Lou s’est fait jeter comme une vieille chaussette, sans explications et, malheureusement pour elle, elle aimait bien ce trop ce mec qui lui a brisé le cœur. Son chagrin prend de telles proportions qu’elle saoule sa meilleure amie Sacha, qu’elle est encore plus exécrable avec ses parents, et prend les mauvaises décisions. Incapable de le supprimer de Facebook, elle le stalke continuellement, se faisant encore plus mal de le voir en photo avec d’autres filles, elle croit l’apercevoir dans la rue, partout. Et elle essaye de comprendre pourquoi il l’a laissée tomber. Pendant ce temps-là, plus rien d’autre n’a d’importance, malgré son dossier scolaire dont on lui rabâche les oreilles : ses retards, ses notes qui chutent, son avenir, etc. La terminale, c’est l’année importante, n’est-ce pas ?

Sans doute pas quand on a le cœur brisé en mille morceaux. Claudine Desmarteau explore l’une des plus intenses périodes de l’adolescence : le chagrin d’amour. Le vrai, celui où tu te dis que c’est bon, ta vie ne vaut plus d’être vécue et que personne ne peut comprendre ton malheur. Celui qui te vrille les tripes, qui te rend imperméable et aveugle à tout ce qui t’entoure, qui te transforme en tout ce que tu n’es pas. La sincérité transparaît immédiatement dans le texte de Claudine, on retrouve son style vif, à la fois cru et sensible, tout en intensité, où les émotions de l’adolescence sont exacerbées à l’extrême. A tel point qu’on se demande même si le « Toi » de Lou existe vraiment ? Interprétation personnelle sûrement fausse mais qui donne une autre dimension à mes lectures de T’arracher. Et parvenir à oublier ce garçon, à se relever va être toute une épreuve pour Lou, que je vais vous laisser découvrir… Un roman où, encore une fois dans l’œuvre de Claudine Desmarteau, la musique vient jouer son rôle d’expression des sentiments à fleur de peau de son héroïne. Si T’arracher ne m’a pas autant remuée que le fabuleux Jan (qu’il faut lire si vous ne l’avez toujours pas fait), il n’en reste pas moins un roman gonflé de sincérité, et d’espoir.

Jean-Michel s’arrache la tête

★★★★☆

Ce roman m’a semblé interminable – pas parce qu’il était écrit avec les pieds ou que le sujet était mal traité – simplement parce que la passion étouffante selon Claudine Desmarteau est si réaliste qu’on se croit volontiers dans le cortex cérébral de Lou. T’arracher, sous-titre : « je l’ai dans la peau » car loin d’être une histoire d’amour, Claudine débarque sans crier gare avec la thématique de l’aliénation amoureuse. Frustrée par l’absence de son ancien amour, Lou n’est qu’un paillasson, privée de volonté et de sens critique. Ses attentes sont asphyxiantes : un regard, un mot, un geste, une attention de la part de l’autre qui ne viendront pas. Tout cela rend l’atmosphère plus que nébuleuse et on attend avec impatience qu’elle finisse enfin de se renier afin de se reconstruire. Mon gros Bob mentionne plus haut « on se demande même si le « Toi » de Lou existe vraiment ? » tant les émotions négatives sont poussées à l’extrême. Et bien mon cher, ce questionnement est légitime et tu t’es bien fait dupé par la machiavélique Claudine qui voulait probablement que tu en arrives là : ce lien amoureux qui flotte tellement dans le vide et l’absence de réciprocité (parce qu’elle est impossible) faussent le jugement de Lou qui s’enterre toujours un peu plus.
C’est ça, l’aliénation amoureuse.
Claudine Majax, troublante magicienne, on aime ton style.
Et tes goûts musicaux.
Et sinon vous avez lu Jan ?

T’arracher, Claudine Desmarteau,(Thierry Magnier)
disponible depuis le 23 août 2017
9791035200763 – 13,80€
à partir de 14 ans
Son
1

Sanglant hiver – Hildur Knútsdóttir

9791035200374,0-4146760

Si vous êtes comme Bob à ne pas supporter les chaleurs extrêmes, il vous propose de le suivre dans ce petit voyage islandais, qui, s’il vous rafraîchira sans doute, ne vous donnera peut-être pas envie d’y rester trop longtemps…

Vacances d’hiver. Bergljót et son petit frère Bragi partent avec leur père passer les vacances dans leur chalet familial tandis que leur mère travaille encore et toujours. Mais voilà qu’un jour, tout bascule : le pays entier est ravagé par un mal étrange, faisant disparaître la population. La petite famille va devoir alors apprendre à survivre…

★★★★☆

Amateurs de monstres et d’horreur, ce roman est fait pour vous ! Comme toujours dans le genre, on commence avec la rencontre d’une famille tout ce qu’il y a de plus normal : une ado qui veut aller à une fête avec toutes ses amies et le garçon qu’elle espère séduire ; un garçon qui a hâte de passer la nuit chez son meilleur ami à s’empiffrer de pizzas ; et des parents qui, après une année difficile, espèrent retrouver leur flamme en passant un week-end en amoureux. Mais quand la mère de Bergljót et Bragi est contrainte de rester à son travail, tout le programme change et les deux enfants partent en vacances avec leur père, loin de la ville. Et c’est sans doute ce qui leur sauve la vie quand l’horreur se déclare : toute la population – ou presque – disparaît dans d’horribles circonstances. Lorsque nos personnages s’en rendent compte, ils n’ont qu’une idée en tête : retrouver leur mère et épouse. Mais il semble que toute l’Islande soit tombée…il n’y plus âme qui vive, ou très peu, plus de communications, plus rien que des monstres qui hantent les rues…

Véritable survival, nous allons suivre Bergljót et son père, vite séparés de Bragi, dans leurs tentatives de survie dans un monde en proie au chaos et à l’impossible. Que se passe-t-il ? Qui sont ces monstres ? Viennent-ils vraiment d’un autre monde comme tout le monde semble le croire ? Ou est-ce autre chose ? Ce sont les réponses que nous aurons dans le deuxième et dernier tome de ce diptyque passionnant et terrifiant. L’écriture de Hildur Knútsdóttir, sans fioritures, qui alterne entre les points de vue de Bergljót et de Bragi, en déroutera peut-être (j’ai notamment trouvé que Bergljót semblait parfois plus jeune que son âge), mais apporte aussi une touche « d’exotisme » à ce roman qui nous fait également découvrir – un peu – la vie islandaise. Le côté horreur fonctionne lui très bien, ne nous épargnant pas les détails bien gores de la façon dont meurent les humains, et l’angoisse et la peur sont palpables tout au long de la fuite de Bergljót et sa famille. Un roman haletant, entre science-fiction et horreur, où le froid de la neige et de la terreur se glisse avec frissons de plaisir dans les interstices des fenêtres barrées de nos maisons. A découvrir !

Sanglant hiver, Hildur Knútsdóttir, traduit par Jean-Christophe Salaün (Thierry Magnier)
disponible depuis le 10 mai 2017
9791035200374 – 15,90€
à partir de 13 ans
Discussion
0

Claudine Desmarteau, c’est…

Définir Claudine Desmarteau n’est pas une mince affaire. Pourtant à travers la lecture de quelques-uns de ses ouvrages  nous avons tenté de décrypter ce phénomène caché derrière ces cheveux de rock-star.

…Une vision honnête de l’âge ingrat

transformetoiClaudine a cette volonté de complicité avec son lecteur à chacun de ces livres. Elle lutte contre l’inactivité, l’haleine pourrie, l’abus de facebook et la malbouffe. Dans Transforme-toi elle surfe habilement sur les tendances en mentionnant Booba, Nabilla, Zlatan et DSK tout en tempérant avec sa culture des années 70-80 (David Bowie, Bob Marley et Serge Gainsbourg). Elle dédramatise cette période déshonorante en employant une vulgarité tempérée ainsi qu’un humour aussi incisif que désinvolte. S’aventurer comme ça dans les recoins culturels des ados…quelle intrépidité !

Si tu pouvais diminuer un peu...

Si tu pouvais diminuer un peu…

Claudine est incorruptible quand il s’agit d’aborder les transformations corporelles (et c’est pour ça qu’on l’apprécie). On nous parle poils, parties génitales, voix mutante, caractère de merde. C’est bien l’honnêteté. Un carnet de dessin qui a la praticité de faire rire sur la condition difficile à un ado aux taux d’hormones qui crève le plafond. Si elle nous avait dit d’aller brosser nos dents à 14 ans nous l’aurions fait sans broncher tant son aura est grande. Claudine permet de relativiser la période difficile des premiers émois amoureux qui sont généralement peuplés de râteaux qui blessent. Elle nous propose aussi de devenir artiste et de dessiner moult crottes. Vous aurez également le privilège de voir un chat dessiné par Claudine (un chat probablement irradié).

« Certaines parties de ton corps grandissent moins vite que tes pieds […] la taille n’est en aucun cas une garantie des performances. »
Transforme-toi(Flammarion Jeunesse)
disponible depuis le 21 septembre 2016
9782081373945 – 12€
à partir de 12 ans

…Le langage chatoyant des adolescents

christophercolomboFaut pas prendre les jeunes pour des citrons, Claudine le sait. Grand gourou au style unique, chacune de ses illustrations possède ce trait vif quelquefois mal assuré, à l’image des adolescents bancals. Dans Christopher Colombo, elle met en scène un môme accroc à sa console embarqué par un saucisson à propulsion dans des mondes dangereux et totalement barrés. Christopher s’est-il fait confisquer sa console et s’enfuit dans les tréfonds de son imagination en guise de compensation ? Ou est-il devenu catatonique et baveux à force de trop jouer ? Toujours est-il que Mister Colombo se donne à fond dans ses aventures et ça compte, d’avoir un imaginaire développé.

Christopher Colombo,(Albin Michel Jeunesse)
disponible depuis le 28 septembre 2016
9782226325167 – 13,50€
à partir de 11 ans

janAdmirative des jeunes, Claudine puise depuis des années au fil de ses livres leur langage à la mode. D’ailleurs on a trop le seum qu’une femme plus vieille que nous nous apprenne des expressions telles que OKLM t’as vu (nous aussi on peut être provoc’ Claudine)
Dans Jan, elle s’est lancée le défi de tenir jusqu’au bout de son roman la langue d’une enfant de 11 ans. C’est d’un réalisme social confondant, on se laisse totalement embarquer dans cette écriture, dans ce style, dans ces inventions de mots, d’expressions que tous les enfants de 11 ans entendent et déforment par incompréhension.

Jan(Thierry Magnier)
disponible depuis le 13 avril 2016
9782364748460 – 14,50€
à partir de 11 ans

…Du cinéma et des bandes-son

troublesClaudine c’est aussi le cinéma qui résonne dans ses textes : de Truffaut avec les 400 coups dans Jan – d’ailleurs vous l’avez lu ? qu’attendez-vous ? – en passant par des références telles que I love you Philip Morris, le Secret de Brokeback Mountain et de grands réalisateurs comme David Lynch dans Troubles, ces références font écho aux thématiques du roman telles que l’ambiguïté sexuelle, la jeunesse perdue, les incompréhensions intergénérationnelles et l’avenir incertain. Cet éclectisme nourrit son lecteur à coup sûr. Ce n’est pas un hasard si on referme ce roman avec un clap de fin.

Troubles(Albin Michel Jeunesse)
collection Wiz
disponible depuis le 29 août 2012
9782226242891 – 12€
à partir de 15 ans
teensong

La musique est mémorable dans certains romans, aussi au cœur de Teen Song on trouve Led Zeppelin qui tourne en boucle dans le mp3 d’une adolescente de 14 ans. Ça la regonfle à bloc quand elle écoute certaines chansons « à fond », son père lui offre les dvd de leurs concerts et une gratte n’est jamais très loin…Gainsbourg y est encore présent (ndlr : il est mentionné et dessiné dans Transforme-toi) sur les murs cette fois…Des portraits riches et inspirants toujours dans l’air du temps et Claudine est là pour nous le rappeler.

« Je déteste Sarkozy. En plus il est fan de Johnny Halliday. Alors que quand il était jeune, il aurait pu aller voir Led Zep en concert. La burne » – extrait de Teen Song –
Teen song(Albin Michel Jeunesse)
disponible depuis le 25 mars 2010
9782226209580 – 12,70€
à partir de 12 ans

Claudine Desmarteau écrit des manuels de survie qui nous transportent par ses délires désopilants, ses aphorismes développés qui sont pour le moins addictifs. Les affres de l’adolescence sont impénétrables…sauf si vous lisez un de ses livres. Claudine est irrévérencieuse, on adore.

Discussion
0

Car boy – Anne Loyer

9782364749917,0-3726248

Après le décès de sa mère, Raphaël, 14 ans, est envoyé chez son père, qu’il ne connaît pas et qui vit au beau milieu d’une carrosserie. Ça tombe bien, le garçon est aussi cabossé que les voitures qui habitent le lieu. Mais son père est un homme bourru, maladroit. Quant à sa nouvelle demi-sœur, Mylène, 17 ans, c’est un canon. Et puis il y a Kathia, rayon de soleil de 8 ans, petite fille en fauteuil roulant qui vit en face de la casse Mirami…

A toute vitesse avec Bob

★★★★☆

Le deuil d’un parent, la reconstruction, la découverte d’une nouvelle famille jusqu’alors inconnue…des thématiques chères à la littérature jeunesse qui trouve une nouvelle voix avec ce magnifique texte d’Anne Loyer. C’est avec beaucoup de finesse et de douceur qu’elle dresse le portrait de cet adolescent bosselé comme la carlingue d’une bagnole, incapable de se lier avec ce père inconnu qui ne semble pas particulièrement heureux de l’accueillir et découvrant petit à petit l’histoire de sa mère. Grâce à Mylène, sa demi-sœur sexy, il réussira peut-être à saisir le caractère du père, grâce à la lumineuse Kathia, ce sont des questions importantes qu’il parviendra à résoudre… Le personnage de Kathia est d’ailleurs sans doute celui que j’ai préféré, éblouissante par sa justesse et sa sensibilité et éclatante de couleur dans ce décor d’huile de moteur et de rouille. Un décor inhabituel qui fait aussi beaucoup dans ce récit initiatique fort et cette histoire toute en émotion.

Jean-Michel enclenche le turbo

★★★★☆

Des familles cabossées comme le cimetière des épaves métalliques d’à côté. Des ados torturés avec un Raphaël en proie à une culpabilité liée à la mort de sa mère, une fillette philosophe amoureuse de la vie, « Salut je m’appelle Mylène; T’avise pas de m’appeler Mir Laine, on me l’ déjà fait. » : une demi-soeur qui envoie du rêve avec son étoile tatouée sur sa paupière, un rapport père/fils formidablement exploité. Chaque mot est poussé par un souffle comme seuls les grands auteurs savent créer. Anne Loyer signe avec Car boy le roman de l’épanouissement, sans doute notre roman préféré où chaque émotion est méticuleusement retranscrite. Une famille dysfonctionnelle dont les membres se heurtent dans l’autoroute de la vie. La notion de deuil est déclinée et traitée sous toutes ses formes à travers la culpabilité, la colère, le manque, l’acceptation. Une entrée fracassante chez Thierry Magnier. On congratule Franck Pellegrino pour une première de couverture roots’n rouille du plus bel effet.
C’est quoi la vie finalement ? Une voiture, une fille et une route. Droit devant.
Comme l’écrit Anne, ce roman c’est Un morceau de tôle en travers du coeur.

Car boy, Anne Loyer (Thierry Magnier)
disponible depuis le 8 février 2017
9782364749917 – 12€
à partir de 12 ans

Son
0

Tant que mon cœur bat – Madeline Roth

roth

L’année dernière, Jean-Michel était bouleversé par le premier texte pour ados de Madeline Roth. Cette année, ce sont deux nouvelles qui sont rassemblées dans un livre toujours aussi court mais qui ne laisse assurément pas indifférent…

★★★★★

Madeline Roth nous propose deux histoires : celle d’Esra, une jeune fille qui tombe éperdument amoureuse d’un homme bien plus vieux qu’elle a rencontré par hasard dans un café ; et celle de Laura, qui aimait un garçon qui ne lui retournait pas son amour et qu’un passé terrible hantait. Le point commun de ces deux récits : l’amour dans ce qu’il a de plus destructeur.

C’est avec une langue fiévreuse, des mots coupants, une écriture hypersensible que Madeline Roth nous livre ces destins brisés, ces personnages à fleur de peau, passionnés et tourmentés. Car il n’y a pas que ces deux jeunes filles dans l’histoire, mais aussi des garçons : celui qui était amoureux et celui qui ne l’était pas, qui ont aussi leur point de vue à donner sur ces moments de vie, d’amour. Nous sommes incapables de résister à toute cette émotion contenue dans ces 95 pages où nous ne pouvons que vivre ces histoires, où tout nous touche au plus profond de nos êtres et de nos sens. C’est véritablement la grande réussite de Madeline Roth que de parvenir à nous donner des coups de poings en plein dans le bide et d’en redemander, de se relever et de continuer jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il ne reste rien.

Et c’est cette intensité, des histoires et de l’écriture, qui, à mon sens, reflète tout ce qu’il peut y avoir d’absolu, d’impossible à surmonter, dans la conception de l’amour à l’adolescence. Deux histoires tragiques, difficiles, qui nous marquent pour longtemps par leur puissance émotionnelle. C’est tout simplement éblouissant.

Tant que mon cœur bat, Madeline Roth (Thierry Magnier)
disponible le 21 septembre 2016
9782364749405 – 9,50€
à partir de 15 ans
Discussion
1

Tu ne sais rien de l’amour – Mikaël Ollivier

9782364749511,0-3603987

Ne vous fiez à cette couverture…étonnante – aussi bien photoshoppée que quand Jean-Michel joue avec Paint – car dessous se cache un très beau roman. 😉

Le jour où Nicolas reçoit un mail de sa mère intitulé « Ce qu’il vous faut savoir », le jeune homme replonge dans ses souvenirs d’enfance. Une période étrange où, dès son plus jeune âge, on le voyait se marier avec Malina, la plus belle fille qu’il ait jamais vu, et aux côtés de laquelle il aime et grandit. Mais très vite, il se pose des questions sur sa famille, son père qui cache sa maladie, sa mère qui semble cacher des secrets et sur l’amour, celui qu’il porte à Malina et celui des adultes…

Bob ne sait rien…

★★★★☆

Qu’est-ce que l’amour ? Peut-on aimer une seule personne dans toute sa vie ? Quelle différence entre amour et désir ? Tant de questions qui hantent la vie de Nicolas, un garçon gentil, discret, à qui on a jamais vraiment demandé son avis, et surtout pas en ce qui concernait l’amour. Depuis qu’il est bébé, il fréquente la belle Malina. Ils grandissent ensemble et, sous la « pression » de la mère de Nicolas, sont promis à se fiancer, à être le couple parfait. Et tout dans leur vie facilite ce destin : ils sont toujours dans la même classe, passent leurs vacances ensemble et dorment même ensemble dès leur entrée dans l’adolescence… Une relation étrange, presque malsaine dans ce jeune couple qui donne au roman une atmosphère toute particulière. Mais la relation qu’entretient Nicolas avec son père et sa mère vont aussi l’amener à se poser des questions sur sa famille et les secrets qu’elle cache… Mikaël Ollivier signe avec Tu ne sais rien de l’amour un roman subtil et touchant, où les secrets et la maladie coexistent avec une très belle réflexion sur l’amour. J’ai beaucoup aimé l’alternance des souvenirs de Nicolas et de cette nuit où il reçoit le mystérieux mail de sa mère, jouant ainsi sur le suspense. C’est vraiment très fin, avec à la fois de la retenue et de l’émotion… une très belle histoire d’amour et de famille qui plaira tout autant aux grands ados qu’aux adultes.

…et Jean-Michel non plus

★★☆☆☆

Bob devrait arrêter de m’humilier en public parce que je me suis améliorée avec Paint alors que lui, ne sait toujours pas faire cuire du riz.
Il y a beaucoup de définitions de l’amour à assimiler dans ce roman : celle de l’amour maternel (d’une mère envers son fils et envers un enfant qui n’est pas le sien), l’amour d’enfance (Nicolas et Malina), l’amour adultérin (on ne spoliera point vous vous débrouillez), l’amour paternel et l’amour d’un fils envers son père. Ça fait beaucoup. J’ai fait une légère overdose. Mais aucun personnage n’est laissé au hasard : tout le monde remplit une définition, un rôle et qu’il n’y ait aucun personnage secondaire donne un poids certain au roman. Je n’ai pas apprécié cette fin qui annonce clairement des tempêtes qui renverseront à coups sûrs cette belle définition de l’adoration sans limite que se portent les personnages les uns aux autres. Existe t-il un amour possible sans culpabilité ? (ma collègue Léa m’a soufflé cette phrase et je n’arrive pas à trouver une réponse). Le roman offre néanmoins une vision positive et juste de l’amour : il est possible de le vivre mais avec des compromis et des difficultés. Un reflet de la réalité pertinent, mais grisant.

Tu ne sais rien de l’amour, Mikaël Ollivier (Thierry Magnier)
disponible depuis le 24 août 2016
9782364749269 – 15,90€
à partir de 14 ans
Son
2

En ce temps-là – Gaia Guasti et Audrey Spiry

Connaissez-vous cette collection chez Thierry Magnier : Les décadrés ? Le principe est assez simple : un illustrateur a carte blanche pour réaliser des images à partir d’un thème (dans ce cas précis : la forêt et la cabane). Une fois les illustrations terminées, elles sont confiées à un auteur qui invente alors une histoire et réorganise comme il le souhaite les images de l’illustrateur… Voici ce que ça donne avec En ce temps-là. 🙂

9782364749092,0-3269922

En ce temps-là, il existait un monde jeune, neuf, où vivaient trois esprits : Silva, l’esprit de la montagne ; Rio, celui de la rivière et Nyx, celui de la nuit. Chacun avait son rôle dans l’ordre du monde. Jusqu’au jour où une goutte de rosée devient un enfant, dont Nyx obtient la charge. Cet enfant grandit dans son monde de nature, et bientôt, ses rêves aussi…

★★★★★

Connue surtout pour ses romans, Gaïa Guasti propose ici son premier texte pour un album. Et comment vous dire ? Ce texte est d’une puissance et d’une poésie véritablement magique ! Sorte de mythe des origines, En ce temps-là évoque de la plus belle manière la relation de l’homme à la nature et à son environnement. On reconnaît l’influence de la mythologie et des cosmogonies dans ces esprits de la nature et de l’apparition de l’humanité sur ce monde étrange. Les mots de Gaïa Guasti, légers et forts, doux et bruts, se marient parfaitement avec les illustrations aussi splendides qu’envoutantes d’Audrey Spiry. Les couleurs et les lumières font beaucoup dans ces peintures parfois abstraites, parfois très évocatrices. 9782364749092_en-ce-temps3J’ai particulièrement aimé la représentation de ces esprits de la nature, entre grands singes et figures mythologiques. On sent dans les illustrations d’Audrey Spiry une vraie invitation au rêve, à l’imagination et à la magie. Et on ne pouvait pas rêver mieux que le texte extraordinaire de Gaïa Guasti sur ces magnifiques images. 🙂

Un superbe album à découvrir et qui propose en fin d’ouvrage d’entrer dans l’atelier d’Audrey Spiry, pour en savoir plus sur son travail sur cet album, accompagné de quelques mots de Gaïa Guasti sur cette démarche originale d’inventer une histoire à partir d’illustrations.

En ce temps-là, Gaia Guasti, illustré par Audrey Spiry (Thierry Magnier)
collection Les décadrés
disponible depuis le 18 mai 2016
9782364749092 – 16,80€
à partir de 6 ans
Son
5

Jan – Claudine Desmarteau

9782364748460,0-3163293
★★★★★

Jan… Jan, c’est Janis, 11 ans, qui n’aime pas vraiment son prénom depuis qu’on l’a fait rimer avec « pisse » et qui n’a pas sa langue dans sa poche. Jan, c’est une débrouillarde, une gamine qui ment un peu et qui utilise plus souvent ses poings que sa tête, une fille qui ne se laisse pas faire. Elle a un petit frère, qu’elle adore et qu’elle veut protéger. Sa mère est vendeuse de chaussures, son père est chômeur professionnel. Et il boit. Beaucoup. Malgré tout, il est super fier de cette fille qui n’est pas « une gonzesse » et Jan est profondément attachée à ses parents et à ce père qui fréquente trop le « bar des amis ». Un jour, cette famille dysfonctionnelle va voler en éclats et je ne vous dis pas comment, ce serait vous gâcher la surprise…mais il fallait bien que ça pète pour que l’on ait une histoire…

Jan, c’est une belle claque dans la figure. Et ça commence avec l’écriture de Claudine Desmarteau, qui s’est lancée le défi de tenir jusqu’au bout de son roman la langue d’une enfant de 11 ans. C’est d’un réalisme social confondant, on se laisse totalement embarquer dans cette écriture, dans ce style, dans ces inventions de mots, d’expressions que tous les enfants de 11 ans entendent et déforment par incompréhension (et on se rappelle que nous aussi, à une époque, on utilisait des expressions à tort et à travers en les entendant dans la bouche des grands et qu’on se la pétait auprès des autres en leur faisant croire qu’on connaissait des trucs incroyables). C’est d’autant plus fort que c’est typiquement le genre d’écriture qui pourrait devenir lourdingue au bout d’un moment : ici, ce n’est pas le cas, l’exercice de style est tenu jusqu’au bout à la perfection. La claque, c’est aussi cette histoire, cet engrenage qui s’enclenche et va chambouler la vie de Jan et de son petit frère. Cette révolte qui gronde en elle, et qui va trouver une résonance dans le film Les 400 coups, de François Truffaut, et notamment à travers le personnage d’Antoine Doinel. Enfin, la claque, c’est aussi cette fin, dont je ne vous dis rien, mais qui nous laisse pantelant, sur le cul, aussi belle que frustrante…

Jan, c’est une lecture incroyable au rythme effréné, une gamine au caractère de cochon, rageuse et révoltée, à qui l’on s’attache de toutes nos tripes. C’est un roman qui chamboule, qui émerveille… Superbe ! Lisez-le. Point.

Jan, Claudine Desmarteau (Thierry Magnier)
disponible depuis le 13 avril 2016
9782364748460 – 14,50€
à partir de 12 ans
Discussion
0

N’y pense plus, tout est bien – Pascale Maret

Pascale Maret a visiblement été très inspirée par un fait divers, mais en se concertant avec Bob, on s’est dit que vous réveler lequel enlèverait toute surprise et on serait bien embêtées si vous nous en vouliez…donc nous ne spolierons point.

9782364748408,0-3163135

Martin, 13 ans se retrouve sans famille du jour au lendemain. Élevé ensuite par sa tante, il prendra la décision le jour de ses 18 ans, d’embaucher un détective privé qui pourrait l’aider à retrouver la trace du responsable de l’éradication de sa famille à la suite de la découverte d’un indice crucial. Direction la Patagonie pour une chasse au coupable qui remue, où la détermination d’un jeune homme reste l’un des éléments des plus marquants du roman.

Don’t think twice, Jean-Michel

★★★★☆

Sur fond de Bob Dylan, Pascale Maret nous fait vivre une forte expérience, nous parle de désir de clôture, de deuil avec sans doute un soupçon de vengeance qui ère dans un recoin du cerveau tourmenté d’un jeune homme qui ne demande qu’à se re•construire. Je ne m’attendais pas à un début de roman aussi dantesque, une scène douloureuse et étourdissante qui annonce brillamment la suite du roman. L’élément selon moi qui marque le plus le roman ? La maturité de Martin. L’innocence balayée en un coup de pelle, mais sa réflexion reste intacte : il comprend qu’il n’est en rien responsable de la disparition de ses proches. Cependant sa détresse demeure et se traduit par le besoin irrémédiable d’aller au bout de sa piste, la clôture nécessaire du chapitre de sa vie, celle de sa mère, de sa sœur Laure et de son frère Lucas. Ce gros garçon de 13 ans autrefois terrassé par la peur derrière la rambarde de l’escalier s’est transformé en homme qui a réchappé deux fois à la mort par sa bravoure, son incorruptibilité et sa détermination. On souhaite à Martin un bonheur sans encombres ni démons, avec des souvenirs triés sur le volet, précieux et intemporels tels que les sourires des membres de sa famille disparue. Ça tire sur le canal lacrymal, c’est d’une puissance prodigieuse, merci Pascale pour ce moment mémorable.

It’s all right, Bob

★★★★☆

Jean-Michel a tout dit ! J’ajouterais simplement que Pascale Maret n’a pas son pareil pour écrire des histoires tirées de faits divers avec autant de souffle. J’avais adoré sa version de l’histoire de Colton Harris-Morre, dans La véritable histoire d’Harrison Travis, hors la loi, racontée par lui-même et j’ai retrouvé ce côte aventureux dans ce nouveau roman, même si la tragédie est ici bien plus grande. Pascale Maret joue avec toutes nos émotions, depuis l’horreur jusqu’à l’espoir, dans cette quête qui nous emmène au bout du monde.

N’y pense plus, tout est bien, Pascale Maret (Thierry Magnier)
collection Grand format
disponible depuis le 23 mars 2016
9782364748408 – 11,50€
à partir de 14 ans