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Grim, fils du marais – Gaël Aymon

Grim est un garçon muet qui a toujours vécu dans la dangereuse Forêt Mouvante. Après un terrible événement, il est contraint de fuir et découvre enfin le monde qui ne se limite pas à sa forêt. Il y découvre un système de castes, où chacun à son utilité – Nourrice, Construisant, Combattant ou encore Guérissant, Dame et Sieur, etc. Mais il se retrouve aussi bientôt mêlé à un vaste complot qui vise à renverser la Reine, leur mère à tous, et se lance avec de nombreux compagnons dans un périple pour la prévenir du danger qui la menace.

Quel univers ! Quel souffle et quel style ! Dès les premières pages de ce roman d’aventure singulier, oscillant entre fantasy et dystopie, on est complètement happé par le récit. Dans la peau et l’esprit de Grim, on découvre en même temps que lui ce monde étrange, construit autour d’une Reine toute-puissante qui a créé chaque être et leur a assigné des tâches précises et utiles au bon fonctionnement de leur civilisation et à la survie de l’humanité. Si l’univers présenté ressemble à ce que vous connaissez des sociétés de fourmis ou d’abeilles, ce n’est pas un hasard et l’analogie se dévoile tout le long du roman. Malgré le handicap de Grim, qui se trouve être bien gênant quand on veut comprendre, se faire comprendre et que l’on est détenteur de secrets, le garçon va s’attirer la protection et la sympathie de plusieurs personnages qui vont l’accompagner dans une quête aussi dangereuse qu’essentielle à la survie de tous ! Et, surtout, son regard neuf, voire naïf, sur le monde qu’il découvre sera le point de départ d’une réflexion juste et fascinante sur la notion de singularité et de collectif.

Car au-delà de l’aventure passionnante et haletante, le roman de Gaël Aymon est avant tout une magnifique réflexion sur la force de l’amitié. Qu’importe l’étrangeté de l’un, la différence de l’autre, l’important réside dans le respect et l’amitié que l’on porte à l’autre, l’acceptant dans son entier, avec ses qualités et ses défauts. Une notion simple et universelle qu’il n’est jamais inutile de rappeler… La singularité et la réussite de ce roman tient aussi au style, une écriture très visuelle qui éveille tout de suite notre imaginaire pour une immersion immédiate dans cet univers marécageux, et une voix curieuse qui se démarque, rappelant ce qu’a pu faire Patrick Ness dans Le chaos en marche. Elle est aussi dans la description de cet univers et de ces castes à la création et l’utilité aussi terribles que fascinantes, qui offre quelques bons moments de frissons et une certaine exigence qui provoque la réflexion. Enfin, les illustrations de Violaine Leroy qui accompagnent le récit. Toujours trop rares en littérature ado, elles apportent ici une vision de l’univers et son style au crayon et à l’encre adoucit l’âpreté du monde de Grim. Un roman palpitant et profond comme on les aime. Ne passez pas à côté ! ❤

Grim, fils du marais, Gaël Aymon, illustré par Violaine Leroy (Nathan)
disponible depuis le 9 septembre 2021
9782092492079 – 16,95€
à partir de 13 ans
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Si tu vois le Wendigo – Christophe Lambert

Dans l’Amérique des années 1950, en plein été, David et son ami Bobby Lee s’ennuient et s’amusent dans leur quartier parfait où rien ne se passe jamais. Mais un soir, alors qu’ils s’apprêtent à rentrer, ils voient une femme hagarde, complètement nue, la bouche en sang, se diriger vers eux… Il s’agit de leur voisine, Ruth Bannerman, qui fait une crise de somnambulisme selon son mari. Si Bobby Lee oublie vite l’incident, David, lui, n’y parvient pas et, bientôt, l’étrangeté s’invite dans sa vie…

Si l’histoire se déroule dans les années 50, elle nous est en réalité racontée par un David beaucoup plus vieux, une soixantaine d’années plus tard. Déjà gamin, il aimait écrire des histoires, des petites nouvelles fantastiques et, désormais, le voilà un écrivain célèbre qui revient sur un souvenir inoubliable de son passé. L’hommage à Stephen King est bel et bien là et ne vous quittera pas tout le long du roman, où l’on sent l’influence du romancier américain. Ainsi, après cette rencontre un peu effrayante avec Ruth qui ouvre le roman, nous allons suivre David dans son questionnement sur ce qui a pu arriver à sa voisine et, par la même occasion, l’adolescent va se découvrir des sentiments pour une femme bien plus âgée que lui. S’il est compliqué de vous dire s’il s’agit d’un roman fantastique ou d’une histoire d’amour impossible, Si tu vois le Wendigo est en tous cas un roman à l’atmosphère particulière, qui ne nous laisse pas indifférent. Dans cette Amérique fantasmée des années 1950, où l’accès au rêve américain semble être à portée de mains, David va découvrir peu à peu que tout n’est pas aussi beau et aseptisé que ce lotissement tout neuf dans lequel il vit et où tout le monde se connaît. Le vernis se craquèle, tout comme l’insouciance de notre héros, et le Wendigo, cette étrange créature dont il fait bientôt la connaissance, apporte une dimension décalée et étrange qui interrogera David autant que le lecteur.

Christophe Lambert nous offre ici un roman à l’atmosphère fascinante et nous emmène dans des territoires littéraires complètement différents au fur et à mesure que l’on tourne les pages : chronique douce-amère d’une adolescence à une époque révolue (et parfaitement documentée, les petits détails sont un régal !), récit fantastique qui apporte une touche d’angoisse, thriller intense à la résolution mortelle. Envoûtant !

Si tu vois le Wendigo, Christophe Lambert (Syros)
disponible depuis le 11 février 2021
9782748527254 – 16,95€
à partir de 13 ans
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Quand vient la nuit

La nuit, il se passe parfois de drôles de choses. C’est justement ce que nous allons voir dans ces deux magnifiques albums à mettre sous le sapin ! Vous n’avez plus qu’à vous laisser porter par ces nuits pleines de magie…

Ööfrreut la chouette

Voilà deux ans qu’Ööfrreut observe cette petite fille qui vit la nuit, qui passe ses journées seules et s’aventure sans peur dans la forêt à la nuit tombée. Intriguée et curieuse, la chouette se laisse peu à peu approcher par la petite fille et, lorsque cette dernière est en difficulté, Ööfrreut n’hésite pas à lui venir en aide.

Histoire d’une amitié étonnante entre une petite fille et une chouette, Cécile Roumiguière nous offre également un magnifique hymne à la nature. Racontée du point de vue de l’oiseau, on y découvre ainsi certains comportements propres à l’espèce qui, mis en parallèle avec ceux des humains, nous interpellent, nous attendrissent ou nous font doucement sourire. La solitude vécue par ces deux personnages, qui va les rapprocher et se transformer en amitié, est d’une incroyable tendresse et montre toute la compréhension qui peut exister entre l’humain et l’animal dans ces nuits au cœur de la forêt. Les illustrations de Clémence Monnet, à l’aquarelle et aux crayons de couleur, illuminent l’histoire ! On est tout de suite emportés, tout de suite subjugués par ses couleurs, ses décors de nature foisonnante et merveilleuse et ses personnages si vivants. Moi qui suis une grande fan de chouettes, son Ööffreut est absolument superbe ! ❤️ Un album fascinant, sensible et poétique et une très belle histoire d’amitié entre une petite fille aventureuse et respectueuse de la nature et une chouette protectrice et bienveillante.

Ööfrreut la chouette, Cécile Roumiguière, illustré par Clémence Monnet (Seuil Jeunesse)
disponible depuis le 17 septembre 2020
9791023512434 – 13,50€
à partir de 5 ans

La nuit de la fête foraine

Dans un grand pré s’installe, sous les yeux des animaux de la forêt, une fête foraine. Alors que la nuit tombe et que les humains rentrent chez eux après cette folle journée à s’amuser, les animaux s’approchent et, peu à peu, montent dans les manèges, se laissent tenter par les friandises et s’enivrent de cette atmosphère de fête ! Mais bientôt, le jour se lève, et les animaux doivent regagner leur forêt…

Quel magnifique album pour s’évader, s’imprégner de moments de magie et rêver de fêtes et de gourmandises. Comme tous ces animaux, on aimerait bien, nous aussi, s’offrir cette parenthèse enchantée, se régaler de barbe-à-papa et tournoyer dans des manèges à nous faire dresser les poils ! C’est sans texte que l’histoire de cette fête foraine se déroule, que les animaux prennent possession du lieu, reproduisent les gestes des humains, et se laissent entraîner par cet esprit d’insouciance et de magie de la fête. Les sublimes illustrations de Mariachiara Di Giorgio (qui nous avait déjà conquises avec Profession crocodile) invitent à s’immerger dans cet univers festif, à s’arrêter sur chaque détail, à observer chaque animal et à s’amuser de toutes ces petites choses cocasses ou attendrissantes que l’on découvre en s’attardant. Puis il faut s’en aller, ranger avant que les humains n’arrivent, disparaître dans la brume, terminer de s’amuser un peu avant d’aller se coucher et de retrouver le cours « normal » des choses. Un album magique et joyeux, comme un joli secret à partager et sur lequel on prend énormément de plaisir à revenir, pour vivre et revivre ce moment unique et hors du temps.

La nuit de la fête foraine, Gideon Sterer, illustré par Mariachiara Di Giorgio (Les fourmis rouges)
disponible depuis le 10 novembre 2020
9782369021285 – 15,50€
à partir de 4 ans
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L’année de grâce – Kim Liggett

Tierney a seize ans et, comme toutes les jeunes filles de son âge et de sa communauté, elle va entrer dans son année de grâce. Une année dont personne ne parle, et surtout pas les femmes, mais qui doit permettre à toutes les jeunes filles de se débarrasser de leur magie. Elles sont alors envoyées à l’écart de la communauté, où il leur faudra dissiper toute trace de cette magie pour revenir purifiée…

Dans cette communauté hors du temps, fondée sur la religion, les filles n’ont que trois destins possibles : devenir épouse et mère (la meilleure situation, évidemment) ; travailler dans les maisons de labeur ou en domesticité ; vendre leurs corps dans les quartiers extérieurs. Si cela vous rappelle l’univers de La servante écarlate, le roman de Kim Liggett n’en est effectivement pas si éloigné. On retrouve en effet dans L’année de grâce une réflexion glaçante sur la place de la femme dans une société régie par les hommes et par la religion. La société est d’une violence inouïe pour ces jeunes filles et ces femmes à qui on inculque depuis toujours qu’elles ont un pouvoir terrible dont elles doivent se débarrasser. L’année de grâce, sorte d’exil au fin fond de la forêt, dans un domaine encerclé d’une palissade, à la merci de ces braconniers qui tuent les filles qui s’égarent hors du portail pour en retirer leur magie par le dépeçage et le prélèvement d’organes, est proprement effrayante. Dans cette société, Tierney se démarque de ses camarades par sa volonté de ne pas vouloir se marier – censé être le rêve de toutes ! – de rester libre de choisir celui qu’elle voudra épouser si elle en a envie, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Et, surtout, elle rêve ! Elle rêve d’une fleur et d’une jeune femme qui l’incite à la révolte, à penser par elle-même. Mais alors que Tierney arrive dans l’enceinte qui voit son année de grâce débuter, tout ce qu’elle croit et croyait savoir se brise dans un huis-clos où la folie de ses camarades ne fait que commencer…

Obsédant, le roman de Kim Liggett nous fait entrer tout de suite dans une ambiance envoûtante et angoissante, dans une histoire intemporelle de révolte contre le système. Mais là où l’autrice nous surprend, c’est dans cette héroïne et cette histoire parfaitement réalistes, qui montrent une révolte qui se construit, qui prend du temps, qui s’insinue lentement et qui plantera ses graines là où il le faudra. C’en est vraiment très fort, d’autant plus que c’est servi par une écriture toute en suggestion et en patience, en pions savamment placés, mais ce sera peut-être frustrant pour les lecteurs qui aiment quand ça va vite. Mais le roman de Kim Liggett aborde aussi d’autres notions très fortes, particulièrement justes et définitivement effrayantes, comme la psychologie sociale qui régit cette communauté, et notamment le groupe de jeunes filles en année de grâce. C’est intelligent, puissant et ça apporte une vraie profondeur à l’histoire ainsi qu’au personnage de Tierney, jusqu’à cette fin incroyable. L’année de grâce, c’est un roman dont on pourrait parler des heures, un roman qui nous remue, nous marque et nous amène à réinterroger nos constructions sociales. Et c’est surtout un véritable hymne à la sororité. Un roman fascinant et absolument indispensable, à faire lire aux garçons comme aux filles. Une pépite ! ❤

L’année de grâce, Kim Liggett (Casterman)
disponible depuis le 7 octobre 2020
9782203036680 – 19,90€
à partir de 14 ans
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Échappées imaginaires

Pour cette dernière chronique avant notre annuel repos estival, Bob vous propose de partir en voyage avec deux petites Alice : nous suivrons l’une en colonie de vacances et l’autre au cœur de la nuit. Emerveillements garantis !

Des vacances timbrées

Alice envoie à sa grand-mère une carte postale où elle raconte ses vacances en colonie. Elle y décrit ses activités, les autres enfants, les visites et les paysages… Mais si le texte semble tout à fait normal, ressemblant trait pour trait à ce que vous écriviez sûrement aussi à vos parents ou vos amis, les illustrations nous emmènent elles dans un tout autre univers, peuplé de créatures fantastiques, de paysages fantasmagoriques et d’activités étonnantes. Un décalage qui rend l’album particulièrement fascinant, jusque dans les dernières pages où la grand-mère d’Alice lui répond, nous surprenant encore un peu plus !

Un voyage magnifique, porté par des illustrations chatoyantes et inspirantes au crayon de couleur, qui rappelle par certains côtés l’univers d’Hayao Miyazaki. Mathilde Poncet mélange habilement la simplicité du quotidien à la richesse du fantastique dans un album qui nous invite véritablement à nous plonger dans les images, à voir et revoir ces petits détails merveilleux qui nous échappent à la première lecture, et à nous questionner sur ces étonnantes vacances : sont-elles le fruit de l’imagination de cette petite fille ou bien un voyage réel dans un monde fantastique ? En tous cas, on a très envie de vivre pareilles vacances !

Des vacances timbrées, Mathilde Poncet (Les fourmis rouges)
disponible depuis le 9 juin 2020
9782369021216 – 17,90€
à partir de 4 ans

La belle échappée

A la tombée de la nuit, Alice fait la rencontre d’un petit chat sauvage. Mais c’est déjà l’heure d’aller se coucher et le petit chat rejoint ses amis dans la forêt pour leur proposer d’aider la petite fille à s’échapper de sa chambre et l’inviter à découvrir les mystères de la nuit. Une balade nocturne faite d’escalades, de dégringolades pour respirer la nuit, jusqu’au moment où celle-ci s’efface au profit du jour, ramenant Alice dans sa chambre…et accompagnée du chat ! L’album alors bascule, puisque cette fois, c’est le chat sauvage qui va découvrir une incroyable journée auprès d’Alice et de ses amis…

Maylis Daufresne nous surprend dans cette histoire où les rôles sont inversés. Ici, c’est l’animal qui veut ramener l’enfant chez lui, dans son univers. Puis une parfaite symétrie s’opère quand c’est au tour du chat de découvrir l’univers de l’enfant, y découvrant des activités similaires à celles vécues pendant la nuit. Une histoire qui aborde ainsi l’amitié et la découverte de l’autre et de son monde dans une échappée tendre et mystérieuse. Les magnifiques et foisonnantes illustrations de Magali Dulain, au crayon de couleur et à l’aquarelle, illuminent cette nuit et cette journée magiques. On apprécie le petit clin d’œil aux Musiciens de Brême et on se laisse surtout happer par ses couleurs et sa nature aussi douce que merveilleuse. Une échappée magique !

La belle échappée, Maylis Daufresne, illustré par Magali Dulain (Le diplodocus)
disponible depuis le 7 mars 2020
9791094908167 – 13,50€
à partir de 4 ans

Sur ces magnifiques albums, nous vous souhaitons un été flamboyant et onirique !

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D’un grand loup rouge – Mathias Friman

Dernier représentant de sa meute chassée de son territoire par les hommes, un loup rouge s’engage dans un long et rude voyage dans l’espoir de trouver une nouvelle famille. Une nuit, il rencontre une meute de loups aux yeux luisants. Méfiants, ils refusent de l’accepter à cause de sa couleur trop voyante, mais grâce au chef de meute, qui décide de l’accueillir, le loup rouge découvre que ses nouveaux compagnons sont eux aussi issus de loups qui ont fui…

Après nous avoir régalés avec son trait d’une incroyable finesse et si reconnaissable tout en explorant la chaîne alimentaire dans Une petite mouche bleue puis l’incroyable destin D’une petite graine verte, Mathias Friman nous émerveille à nouveau dans cet album sur la migration. Une migration qui n’est pas naturelle, et qui sort ainsi du travail presque documentaire des précédents titres, mais qui est induite par l’action de l’homme sur le territoire d’une meute de loups. A travers le destin terrible de ce loup rouge, qui voit sa forêt dévastée, ses congénères abattus (une illustration extrêmement forte) et sa survie menacée s’il ne se décide pas à fuir pour trouver de plus verts pâturages ailleurs, on ne peut évidemment pas s’empêcher de penser à ce que vivent certaines populations humaines. Après un long voyage, le loup rouge rencontre une meute qui se montre tout d’abord méfiante et rétive à son entrée dans le groupe, car il n’est pas comme eux. Il faudra toute la bienveillance et l’intelligence d’un chef pour que le loup rouge trouve une nouvelle famille. Une famille composée elle aussi de loups – de toutes les couleurs – qui ont dû migrer à un moment donné de leur vie. Car ce que Mathias Friman nous rappelle ici, c’est que nous sommes tous issus de mouvements migratoires, qu’ils datent de plusieurs siècles ou de quelques années.

Dans ce format à l’italienne qu’on lui connait si bien, avec cette découpe sur la couverture qui laisse apercevoir ce superbe loup rouge, et ce gris métallisé qui nous attire aussitôt, c’est encore une fois le trait magnifiquement fin et réaliste qui nous subjugue. Ce rouge orangé vif qui se détache et ces scènes de nuit magnétiques, un texte poétique et sensible, Mathias Friman nous démontre encore une fois tout son talent. Un album sublime et indispensable !

D’un grand loup rouge, Mathias Friman (Les Fourmis Rouges)
disponible depuis le 19 mars 2020
9782369021186 – 14,50€
à partir de 4 ans
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Nous sommes l’étincelle – Vincent Villeminot

★★★★★

Depuis le début de l’année, on trépigne d’impatience à l’idée de vous parler du nouveau roman de Vincent Villeminot. Et pourtant, l’exercice n’est pas simple ! (On s’y est repris à plusieurs fois et cet article sans queue ni tête vous le confirmera). Parce que le roman de Vincent est une expérience de lecture, de littérature. Qu’en faire un résumé pour vous le présenter ne serait pas lui rendre justice. Nous sommes l’étincelle est un roman grandiose, une aventure humaine et révolutionnaire unique. Sur un thème qui peut faire penser à de la dystopie « classique » : une jeunesse qui cherche à se désolidariser du monde des adultes qui les déçoit et organise une grande révolution, Vincent Villeminot s’interroge sur l’utopie et, particulièrement intéressant, sur ce qui se passe après cette révolution. Et si on s’était trompé ? Une question vertigineuse et passionnante qui est le moteur de tous ces personnages dont nous allons faire connaissance au fil d’un récit qui se dévide, se coupe et se rejoint dans une construction délibérément fragmentaire et une temporalité non-linéaire s’étalant sur de nombreuses décennies.

Do not count on us, c’est le point de départ. Un manifeste écrit en 2022 par un jeune universitaire britannique qui va inspirer la jeunesse, en France, mais partout aussi en Europe. C’est l’étincelle qu’il fallait pour réveiller les consciences, pour inciter Antigone, Xavier, Paul, Jay ou La Houle à faire sécession, à quitter la ville pour suivre le rêve d’un retour à la nature, à une communauté sans leader, sans argent, sans tout ce qui fait aujourd’hui leur rejet de cette société à laquelle ils ne veulent plus appartenir. Un roman politique ? Oui, mais pas que ! Car il y a aussi Montana, Dan et Judith. On est en 2061, dans la Forêt. Ils sont ados, enfants, et ils s’amusent auprès d’un point d’eau. Jusqu’à l’arrivée des loups. Les vrais, les animaux, et puis les autres, ceux qui enlèvent des gosses, les traînent dans toute la forêt…pour les dévorer ? D’autres récits, encore, se mêlent et se croisent, pour former un roman aussi foisonnant que maîtrisé.

Et puis il y a cette écriture, violente, organique, brutale et poétique ; ces fragments de manifeste qui exaltent, ces psaumes qui invitent à la contemplation ; ces aventures passionnantes, angoissantes, optimistes, terrifiantes. Une émotion, des émotions, on ne ressort tout simplement pas indemne de cette lecture. Un roman qui hante, dans le bon sens du terme, un roman qui fait sens, qui interpelle, qui nous touche en plein cœur. Bravo, Mr Villeminot !

Nous sommes l’étincelle, Vincent Villeminot (PKJ)
disponible le 4 avril 2019
9782266290913 – 18,90€
à partir de 14 ans
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De la sagesse des animaux…

On entend ou lit parfois que nous avons beaucoup à apprendre des animaux. Les livres pour la jeunesse ne nous contrediront sûrement pas, n’est-il pas ? Eh bien dans ces deux petits romans, à destination des plus jeunes, vous verrez que les animaux ne manquent pas de sagesse ! 😛

Hamaika et le poisson

Contrairement à ses congénères, Hamaika est une petite poule très curieuse qui s’éloigne chaque jour un peu plus de son rassurant poulailler. Et la voilà au bord de la mer, à se promener le long de la plage, manquant presque d’écraser un poisson coincé dans un trou d’eau. Pour Hamaika, c’est le début de quelque chose de tout nouveau…

★★★★★

Superbe découverte que ce texte plein d’intelligence de Pierre Zapolarrua ! Ou comment une petite poule tête en l’air mais avide de connaissances, de découverte du monde et des autres se lie d’amitié avec un poisson tout aussi exceptionnel qu’elle. Récit d’une amitié naissante, bien sûr, d’un apprentissage de l’autre dans ses particularités, il est aussi question du dépassement de soi et de tolérance. S’il n’est pas toujours simple de constater que les autres ne sont pas aussi ouverts d’esprit que soi-même, notamment lorsque les deux amis voudront se présenter à leurs familles respectives, Hamaika ne baisse pas les bras et, malgré les doutes, continue à se battre pour un monde plus grand, meilleur… Une écriture vive, rythmée, non dénuée d’humour et de malice : des adjectifs que l’on peut accorder également aux illustrations d’Anastasia Parrotto dont j’ai adoré le style ! ❤ Une magnifique Petite Polynie qui donne de l’espoir et des couleurs à ce début d’année !

Hamaika et le poisson, Pierre Zapolarrua, illustré par Anastasia Parrotto (MeMo)
collection Petite Polynie
disponible depuis le 17 janvier 2019
9782352894131 – 9,50€
à partir de 7 ans

 

Par la forêt / Par le lac

C’est la fin de l’hiver, bientôt arrivera le printemps. Et pour rien au monde ce petit Indien ne manquerait ce spectacle du changement de saison ! Pour observer ce phénomène, il doit se rendre à la Colline aux Lézards…mais quel chemin prendre ? Par le lac ou par la forêt ?

★★★★★

Nouvel opus de la collection Boomerang, dont le principe est de proposer une histoire recto-verso, avec souvent le même récit raconté par deux voix différentes, Alex Cousseau nous propose ici un jeu différent : la même histoire, la même fin, mais un chemin différent pour y accéder. Notre jeune chasseur, à travers les rencontres animales qu’il fera dans ses deux périples, ne sera pas au bout de ses surprises… Les amoureux d’Alex Cousseau retrouveront avec plaisir son univers plein de poésie, inspiré de contes ou légendes (ici amérindiennes) et où la nature tient une place essentielle. Une nature aussi splendide et magique que terrible et où il est souvent question de survie. Les autres se laisseront emporter par son univers et son écriture aussi poétiques que sensibles. Et vous, quel chemin choisirez-vous ?

Par la forêt / Par le lac, Alex Cousseau, illustré par Marta Orzel (Le Rouergue)
collection Boomerang
disponible depuis le 9 janvier 2019
9782812617294 – 6,50€
à partir de 8 ans
Son
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La clé d’or – Les frères Grimm et Joseph Vernot

9782917516577,0-3616156

Parmi tous les contes de Grimm, dont certains ont été rendus célèbres par diverses adaptations, il en est peut-être que vous ne connaissez pas… La clé d’or fait partie de ces contes un peu moins connus, et d’autant moins qu’il s’agit d’un « conte-attrape », où la fin de l’histoire est généralement un pied-de-nez au lecteur ou à l’auditeur. Voilà qui vous intrigue, non ? 😛

En plein cœur de l’hiver, un jeune garçon prend son traîneau pour aller chercher du bois. En voulant faire un feu dans la forêt, après avoir bien travaillé, il trouve une petite clé d’or. Celle-ci doit sûrement ouvrir quelque chose à proximité ! Bientôt, il trouve un coffret…

★★★★☆

Dans ce conte extrêmement court, on ne vous dira rien de la chute, malicieuse et inattendue, mais on va surtout vous parler des illustrations. C’est Joseph Vernot, qui s’est déjà attaqué à d’autres contes célèbres et à l’illustration de L’histoire sans fin de Michael Ende (chez Hachette), qui créé les images de cette petite histoire publiée à l’origine dans les Contes de l’enfance et du foyer des frères Grimm. Et c’est tout simplement superbe !

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Dans un format tout en hauteur, les planches s’étirent pour un effet magique. La couverture avec dorures et les pages de garde, tels des papiers peint, au motif d’oiseau, annoncent tout de suite le bel ouvrage. Joseph Vernot joue principalement sur le noir et blanc, les ombres des décors et des personnages. Seul notre petit héros, et quelques paysages, obtiennent des couleurs. Le style de Joseph Vernot, entre art nouveau et art déco, fait aussi la part belles aux illustrations animales, avec des oiseaux au trait d’une grande finesse. On notera enfin la petite serrure dorée, toute minuscule en quatrième de couverture qui résume à merveille l’histoire de cette Clé d’or.
Un conte à découvrir et à offrir sans attendre !

La clé d’or, Jacob & Wilhelm Grimm, illustré par Joseph Vernot, traduit par Raphaël Baud (Chocolat ! jeunesse)
disponible depuis le 15 octobre 2016
9782917516577 – 16€
à partir de 5 ans
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La Grande Forêt – Anne Brouillard

97822112169130-3561722

Killiok est inquiet. Son ami le magicien Vari Tchésou ne donne plus de nouvelles depuis le Printemps. De plus, une étrange roulotte serait apparue au cœur de la Grande Forêt, épaississant le mystère. Killiok se rend alors chez Veronica, dans l’espoir qu’elle puisse l’aider. Bientôt, les deux amis décident de quitter leurs maisons et de se rendre dans la Grande Forêt, à la recherche du magicien…

★★★★★

Avec La Grande Forêt, Anne Brouillard signe sans doute son œuvre la plus belle et la plus aboutie. Dans ce premier tome d’une série qui explorera le Pays des Chintiens, un monde imaginaire comprenant onze pays, l’auteure nous transporte dans son univers avec une étonnante facilité. Ses personnages, humains, animaux ou créatures rêvées (à quoi Killiok peut-il bien ressembler ? une sorte de Moomin ?) sont tout de suite attachants et nous rappellent les héros de notre enfance, ceux capables de planifier une randonnée sans rien oublier, de s’aventurer dans les sous-bois sans peur aucune, et de rencontrer d’étranges personnages qui les aideront ou les distrairont de leur quête. Il y a chez Anne Brouillard un imaginaire foisonnant d’une très grande douceur, mais aussi beaucoup d’humour et d’absurde, ce genre de choses propre à l’enfance.

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Un récit magique qui va bien au-delà de l’album : Anne Brouillard passe de l’illustration en pleine page à un découpage en bande dessinée avec une parfaite aisance. Un mélange des genres qui fonctionne à merveille, qui permet de faire avancer l’histoire plus rapidement ou bien de nous laisser le temps d’apprécier tous les détails des maisons, des paysages ou des situations vécues par nos héros dans le Pays du Lac Tranquille. Et pour parfaire son univers, des cartes du pays des Chintiens, des environs de la Grande Forêt ou encore une page de journal viennent apporter toujours plus d’authenticité et d’honnêteté à cette histoire merveilleuse.

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Un album extraordinaire qui plaira autant aux petits qu’aux grands et qui nous donne envie de continuer à explorer la Chintia avec Killiok et Veronica, ou d’autres beaux personnages. 🙂

La Grande Forêt (Le pays des Chintiens), Anne Brouillard (École des loisirs – Pastel)
disponible depuis le 5 octobre 2016
9782211216913 – 18€
à partir de 7 ans