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La Gueule-du-loup – Eric Pessan

Lorsque le confinement est annoncé, Jo, sa mère et son petit frère partent à la campagne, dans la maison de ses grands-parents maternels, au lieu-dit La Gueule-du-Loup. Inoccupé depuis deux ans, l’endroit est idéal pour s’éloigner de la ville et de leur père soignant qui veut les protéger de la contamination. Mais le lieu n’est pas très accueillant, sent le renfermé, et, bientôt, des phénomènes étranges s’y produisent : bruits de pas dans le grenier, peluche qui disparaît puis réapparaît déchiquetée, carcasse d’animal dans le salon… La peur et la tension grandissent : que cache La-Gueule-du-Loup ?

Il y a dans l’œuvre d’Eric Pessan un style et un univers unique (et on se rend compte qu’on ne vous a pas parlé de beaucoup de ses romans ici, alors qu’on les adore !) qui explore la vie de personnages liés ensemble par le même lieu d’habitation. Ici pourtant, on s’éloigne de Nantes pour un récit qui emprunte les codes du genre fantastique. Des fragments de texte qui parlent d’un loup, des poèmes confinés écrits par Jo et le récit de la jeune fille se mélangent habilement pour créer une ambiance propre à nous déstabiliser, à supposer mille et un scénarios, et nous laisser ce goût étrange qui ne nous lâchera pas jusqu’à la fin du livre.

Cette maison que Jo découvre, elle qui n’a jamais rencontré ses grands-parents, est autant une énigme que le lieu de secrets dont elle ressent l’importance et l’indicible douleur. Entre les éléments qui se déchaînent et les étrangetés qui surgissent, l’ambiance est posée et l’écriture d’Eric Pessan, puissante et sensuelle, renforce la sensation anxiogène qui nous tenaille. Avec Jo, on essaye de comprendre si des phénomènes paranormaux ont effectivement lieu ou s’ils sont les symptômes plus profonds d’une maladie indéfinissable. Eric Pessan nous ballote sur la fine ligne qui sépare le réel du rêve, ou ici du cauchemar. Si la métaphore du loup donnera vite un indice sur la vérité au lecteur averti, elle ne manquera pas de surprendre celles et ceux qui se seront laissés prendre dans la toile sinueuse tissée par l’auteur.

Dans ce roman court et glaçant, parfaitement maîtrisé, Eric Pessan nous raconte les dégâts terribles d’un secret de famille avec intelligence et subtilité. Saisissant !

La Gueule-du-loup, Eric Pessan (L’école des loisirs)
collection Médium +
disponible depuis le 1er septembre 2021
9782211312400 – 14€
à partir de 13 ans
Son
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♫ Tout au bout de mes rêves… ♫

Les deux romans que Bob vous présente aujourd’hui n’ont absolument rien à voir et pourtant… Deux romans portés par des narrateurs garçons, deux romans où les rêves (et les cauchemars !) sont le moteur de leurs histoires, deux romans aux ambiances à la limite de l’étrange… Allez au bout de vos rêves avec Jean-Jacques Goldman et Bob & Jean-Michel, c’est cadeau ! ♫

Même pas en rêve

Timéo entre en seconde et à l’internat en même temps. Surpris une nuit à rêver un peu trop intensément de la jolie Aliénor, il devient le souffre-douleur de ses compagnons de chambrée. Heureusement, il peut compter sur Louis, ténébreux et mystérieux, sur qui toutes les émotions semblent couler alors que Tim est complètement aux prises des siennes. Une amitié forte et étonnante, bientôt renforcée par des événements qui vont interroger Tim sur son nouvel ami…

★★★★☆

Difficile de survivre dans le milieu hostile du lycée quand on est un garçon craintif de nature, et particulièrement pessimiste. Timéo est la tête de turc parfaite et les autres l’ont bien compris. Il va pourtant trouver une aide inattendue mais ô combien précieuse avec Louis, dont toutes les filles sont amoureuses et à qui personne ne cherche des noises. Un passé mystérieux, renforcé par une présence paternelle qui fait rêver – le père de Louis est un brillant chercheur à l’origine de la spectrine, une sorte de drogue capable de faire oublier tous les mauvais souvenirs – et une absence totale de peur, Louis est un véritable héros pour Tim qu’un rien angoisse. Et puis le harcèlement continue et les événements s’enchaînent… Un premier roman de Vivien Bessières très prometteur sur la force de l’amitié et le harcèlement, bien sûr, mais avec aussi une ambiance proche du thriller qui nous interroge sur les traumatismes et l’acceptation d’une réalité qu’on voudrait oublier ou supprimer de son esprit. Un roman juste, parfois cruel mais surtout sensible sur l’adolescence. A découvrir !

Même pas en rêve, Vivien Bessières (Le Rouergue)
collection DoAdo
disponible depuis le 6 février 2019
9782812617546 – 12,80€
à partir de 14 ans

 

Tant que durent les rêves

Nathan a dix-huit ans et se prépare pour les championnats de France de natation. Il est pressenti pour intégrer l’équipe de France aux prochains JO et ne rêvent d’ailleurs que de ça… Mais depuis quelques temps, une petite voix instille le doute en lui et la peur de ne pas réussir. Cette voix, cette « Bête » comme il la surnomme, prend tellement de place qu’un jour, Nathan assiste impuissant à un phénomène plus qu’étrange…

★★★☆☆

Après avoir déjà fait du sport le thème (entre autres) de son précédent roman, Vivant (dont certains remarqueront peut-être les clins d’œil dans ce nouveau texte), Roland Fuentès continue à explorer la relation de ses personnages à une discipline sportive, à la façon dont elle les forge, aussi bien dans les qualités positives que dans les doutes, les moments de faiblesse ou de découragement. Ici, ce doute prend une forme totalement inattendue pour chavirer dans une ambiance très proche des nouvelles fantastiques du 19e siècle, où le héros assiste avec stupéfaction à un basculement de la plus grande étrangeté. Une expérience étonnante que Nathan va partager avec d’autres personnages du roman, qui vont tous être confrontés à la possible destruction de leur rêve… Petite mention pour Alicia, autrice en herbe, qui permet à Roland Fuentès de faire un parallèle intéressant entre l’écriture et le sport, où le degré de travail, de pratique et de persévérance ne sont peut-être pas si différents ? Un roman dans lequel on se laisse flotter et emporter doucement par le courant, dont les personnages nous invitent à croire en nos rêves et à nous dépasser pour les réaliser.

Tant que durent les rêves, Roland Fuentès (Syros)
disponible depuis le 7 février 2019
9782748526189 – 16,95€
à partir de 12 ans
Son
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Quand vient la vague – Manon Fargetton & Jean-Christophe Tixier

9782700256383,0-4782516

Après plusieurs mois de disparition, Clément se met enfin à la recherche de sa sœur Nina, qui a quitté la maison un jour sans laisser de traces. Son enquête va le mener de Lacanau à Bordeaux où, petit à petit, il va découvrir la raison de sa fuite…

★★★☆☆

Qui aurait pu imaginer qu’une fille comme Nina disparaisse un jour sans rien dire, sans aucune raison apparente ? Elle avait tout pour elle : une famille aimante – un papa commercial pour une marque de sport, une maman bibliothécaire et un petit frère futur star du surf qu’elle adorait embêter – une meilleure amie, un garçon pour qui elle craquait et tout le confort matériel dont on peut rêver. Sauf que Nina découvre un secret, quelque chose de si énorme, de si bouleversant, qu’elle ne parvient pas à endiguer le flot d’émotions que cela provoque chez elle et qu’il n’y a qu’une seule issue possible : la fuite !

Manon Fargetton et Jean-Christophe Tixier, deux écrivains phares de la maison Rageot, s’allient pour proposer cette histoire à deux voix qui flirte avec le thriller. Nous suivons Clément, qu’un copain remet gentiment à sa place tout en le poussant à relancer l’enquête sur la disparition de sa sœur, et Nina, dans les mois qui ont précédé sa décision de couper tous liens avec sa famille. La raison de cette rupture familiale est révélée assez rapidement (mais je ne vous la dévoile pas !) car ce qui compte ici, c’est la réaction que cette révélation provoque, ce qu’elle implique pour deux jeunes gens qui n’ont rien demandé et à qui on a caché les choses les plus importantes de leurs vies. Il est question de confiance, d’amour, de choix, d’égoïsme et de résignation. Et il est intéressant d’avoir les points de vue de Clément et de Nina sur ces questions, entre celui qui reste, qui veut essayer malgré tout, et celle qui s’en va, incapable de pardonner. Outre le questionnement sur la famille, le roman aborde aussi d’autres sujets, aussi variés que la compétition sportive, l’homosexualité, le street art, les SDF, qui colorent les expériences de chacun des personnages mais qui, me semble-t-il, ne sont parfois qu’effleurés. Tout comme les personnages secondaires, comme les plus proches amis de Clément et Nina, qui ont clairement des choses à dire et qui auraient mérité d’être un peu plus exploités.

Avec Quand vient la vague, Manon Fargetton et Jean-Christophe Tixier parviennent, grâce à une écriture fluide et rythmée, à nous tenir en haleine jusqu’au bout du roman. Une histoire de famille qui nous interpelle, qui nous invite à réfléchir à l’impact des secrets, au couple et à ce que l’on peut accepter, ou non, de la personne qu’on aime.

Quand vient la vague, Manon Fargetton et Jean-Christophe Tixier (Rageot)
disponible le 16 janvier 2018
9782700256383 – 15,90€
à partir de 12 ans
Son
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L’aube sera grandiose – Anne-Laure Bondoux

9782070665433, 0-4261222

Un soir, Titania emmène sa fille Nine, 16 ans, dans une mystérieuse cabane au bord d’un lac. Toute la nuit durant, Titania va raconter à sa fille sa vie, depuis sa toute jeune enfance, jusqu’à cette soirée étonnante où l’attendent révélations et secrets cachés depuis des années…

★★★★☆

Dans son dernier roman, Anne-Laure Bondoux nous enchantait par son fabuleux et légendaire récit d’amour. Elle revient cette année dans un genre beaucoup plus réaliste pour nous faire découvrir l’histoire d’une famille. Une famille dont Nine n’avait encore jamais entendu parler jusqu’à présent. Elle qui pensait aller à la fête du lycée avec ses copines, peut-être réussir à se faire remarquer de Marcus, voilà que sa mère l’embarque pour une nuit particulière, dans une cabane perdue dans la végétation, tranquillement posée au bord d’un lac. D’abord réticente, boudeuse, elle se laisse finalement emportée par le récit de sa mère, qui l’emmène à la rencontre de Consolata, d’Octo, d’Orion, de Rose-Aimée et de leur(s) drôle(s) de destin.

Je ne vous révèlerai rien de ce que Titania va raconter à sa fille, pour vous laisser le découvrir au fil des pages. Car s’il y a bien une chose avec laquelle Anne-Laure Bondoux est très douée, c’est de réussir à nous happer dans son récit dès les premières pages, de doser ses révélations, ses effets de suspense, pour nous inviter à continuer notre lecture, à découvrir toujours plus du destin de cette famille. Entre souvenirs, anecdotes et références totalement inconnues ou nostalgiques, Anne-Laure Bondoux nous déroule toute la chronologie qui va mener à cette nuit blanche de secrets dévoilés. Mais la force du roman réside surtout dans ses personnages aux caractères atypiques, aux destins étonnants, qui se dévoilent à nos yeux comme à ceux de Nine, mais aussi par cette très belle relation mère/fille que l’on découvre à mesure que la nuit s’allonge. Un récit de la transmission, du poids de l’héritage familial et de l’amour, encore une fois. Un roman beaucoup plus intimiste que le précédent, et une expérience de lecture aussi intense que la nuit passée par Nine aux côté de sa mère qui raconte. Une très belle histoire !

L’aube sera grandiose, Anne-Laure Bondoux, illustré par Coline Peyrony (Gallimard Jeunesse)
disponible le
9782070665433 – 15€
à partir de 13 ans
Son
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Hors-champ – Chiara Carminati

9782889083527,0-3758505

Ce qu’on aime dans la collection Encrage, à la Joie de Lire, c’est découvrir la littérature européenne (mais pas que !) de qualité, ses auteurs que l’on apprend à connaître à travers de très beaux textes, parfois durs, parfois poétiques mais qui, toujours, nous transportent. Cette fois, notre rendez-vous est en Italie…

Quand la guerre éclate, Jolanda et sa famille sont obligés de quitter l’Autrice où ils vivaient depuis plusieurs années afin de rejoindre leur pays d’origine, l’Italie. Très vite, son père et son frère aîné sont envoyés sur le front pour combattre les autrichiens. Bientôt suivis par son autre frère et son meilleur ami Sandro, qui lui vole un baiser. Jolanda se retrouve alors seule avec sa mère, sa petite sœur Mafalda et leur ânesse Modestine. Mais un jour, leur mère est arrêtée et les deux filles sont livrées à elles-mêmes…

★★★★☆

Au cinéma, le hors-champ c’est la partie de la scène qui n’apparaît pas dans le champ de la caméra, ce qui n’est pas enregistré dans le film. Dans ce roman autour de la Première Guerre mondiale, ce ne sont donc pas les combats qui intéressent Chiara Carminati, les soldats sur le front, les tactiques des généraux, les prises de territoires ou le vainqueur de la guerre, mais ceux qui ne figurent généralement pas à la une des journaux, dans les films ou les livres d’histoire. L’auteure n’utilise finalement la guerre que pour évoquer une histoire de femmes, de famille. Il est cependant intéressant d’assister à cette guerre du point de vue des italiens, car il est assez rare, même dans nos livres d’histoire, d’évoquer la situation des autres pays européens. Cela dit, il vous faudra tout de même vous procurer d’autres livres plus précis si l’Italie pendant la Première Guerre mondiale vous intéresse car il s’agit ici uniquement d’éléments de contextes. . Car, comme je vous le disais, le cœur du sujet, ce sont les femmes, ce sont Jolanda, Mafalda, leur mère et les deux femmes dont cette dernière ne leur a jamais parlé et qui vont pourtant devenir des personnes importantes pour les deux enfants. Lorsque Jolanda et Mafalda se retrouvent sans leur mère, arrêtée et exilée loin du village, elles vont trouver refuge à Udine, chez une certaine Adèle, une vieille femme aveugle mais plutôt futée. C’est chez cette « tante » qu’elles vont découvrir un secret de famille, celui de leur mère… Et lorsque les bombardements touchent la ville, les deux filles et la vieille femme vont à nouveau devoir fuir et se rendre dans l’Italie autrichienne…

Le roman de Chiara Carminati paraît sans doute très classique dans ses thèmes, et il l’est, mais son écriture sensible nous transporte instantanément dans cette Italie du siècle dernier et ces destins de femmes. Son originalité tient finalement de l’insertion de photographies…totalement vides ! Après un moment de flottement (euh…une erreur à l’impression ?) et une vérification sur le site internet de l’éditeur, non, pas d’erreur, il n’y a absolument rien sur les photos, seulement cet aspect de photographies anciennes et une légende qui nous invite à imaginer le décor. C’est déroutant au début, et puis on se laisse guider dans ce hors-champ qu’il sera tout aussi important de lire que l’histoire. Une belle découverte de la littérature italienne !

Hors-champ, Chiara Carminati, traduit par Bernard Friot (La Joie de lire)
collection Encrage
disponible depuis le 11 février 2017
9782889083527 – 14,50€
à partir de 12 ans
Son
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L’étrange hôtel de Secrets’ Hill – Kate Milford

97827002510360-3655713

Milo s’apprête à passer les vacances de Noël dans l’hôtel géré par ses parents. En plein hiver et situé tout en haut d’une colline, rares sont les clients à cette période de l’année et Milo espère bien profiter de ses parents pendant ces vacances. Mais voilà qu’un étrange monsieur aux chaussettes dépareillées débarque et demande une chambre. Puis une fille aux cheveux bleus et ainsi de suite… Que peuvent-ils bien tous avoir à faire à l’hôtel de Secrets’ Hill ?

★★★★★

D’habitude, les clients de l’hôtel, appelé parfois aussi Villa de Verre en raison de ses vitraux, sont plutôt des personnages louches qui trafiquent des choses non moins étranges : bulbes de fleurs, pistolets à bouchon, etc. Cette fois-ci, pourtant, pas de contrebandiers mais un chapelet d’étranges loustics aux styles et coiffures variés qui vont chambouler tous les projets de Milo, jeune garçon qui n’aime pas beaucoup le changement. A peine les premiers clients sont-ils arrivés que les mystères apparaissent : près du funiculaire qui amène les visiteurs jusqu’à l’hôtel, Milo découvre un portefeuille dans lequel se trouve une carte nautique qui ne ressemble à rien de connu alentour. Étrange ! Et quand certains clients se font dérober des objets lors de la nuit, c’est sûr, il se passe quelque chose à la Villa de Verre ! Avec l’aide de Meddy, la fille de la boulangère venue prêter main forte aux parents de Milo et fan de jeux de rôles, Milo va enquêter et peu à peu découvrir les secrets de l’hôtel et de ses clients…

Je n’avais pas été aussi bien menée en bateau dans un roman policier pour enfants depuis longtemps ! Kate Milford développe en plus de 500 pages un huis-clos hivernal qui rappelle bien sûr Les dix petits nègres d’Agatha Christie (sans le côté meurtrier) où les faux-semblants et les twists sont judicieusement placés. Parole de Bob, vous ne verrez pas venir l’une des révélations finales ! Ou alors vous êtes le genre vraiment très fort au Cluedo. Au-delà de l’enquête, qui n’est pas que policière d’ailleurs, mais qui a aussi un côté aventureux (le jeu de rôle) et historique (beaucoup de choses se jouent sur l’histoire de l’hôtel), l’auteure évoque aussi très bien la famille et l’adoption. Milo est un garçon d’origine chinoise recueilli par les Wood, qui gèrent l’hôtel. Malgré le fait qu’il n’a jamais connu ses véritables parents, il ne peut s’empêcher de penser à eux et de se demander qui ils sont. Il y a une réflexion extrêmement belle et intéressante sur ce sujet, distillée au fur et à mesure que l’enquête avance et où l’on sent que, malgré tout l’amour de ses parents adoptifs, il ne cessera jamais de se questionner. Kate Milford joue d’autant bien ses cartes qu’elle nous surprend lorsqu’un autre personnage découvre sa propre origine et qu’on aurait pu croire qu’elle allait coller avec celle de Milo. Elle ne tombe ainsi ni dans la facilité, ni dans le happy end total. Et c’est sans doute la très jolie et sensible note à la fin du roman qui explique ce choix et apporte autant de finesse à la psychologie de Milo.

L’étrange hôtel de Secrets’ Hill est un excellent roman à l’intrigue policière superbement ficelée, aux personnages attachants, malins et joueurs, qui fait la part belle non seulement à l’émotion mais également à l’aventure et au conte, où les histoires racontées au coin du feu sont tout aussi passionnantes que celle que nous suivons. Car la grande force du roman, c’est aussi de nous faire entrer dans cet hôtel comme si nous en étions nous aussi clients…
Un beau cadeau à faire pour Noël (et à lire à cette période totalement idéale), d’autant plus que le roman est illustré (même si j’aurais bien aimé plus de planches) et que sa couverture aux reflets argentés le fait briller de mille feux. 😛

L’étrange hôtel de Secrets’ Hill, Kate Milford, traduit par Anne Delcourt, illustré par Alban Marilleau (Rageot)
disponible depuis le 3 novembre 2016
9782700251036 – 17,90€
à partir de 11 ans
Son
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Les valises – Sève Laurent-Fajal

9782070587551,0-3333753

1982. Sarah vient de se disputer avec sa meilleure amie Josy et s’assoit toute seule dans le car qui emmène sa classe de lycéens en voyage scolaire. Ils se rendent en Pologne, pour visiter les camps de concentration. Là-bas, comme tous ses camarades, Sarah est sonnée, impressionnée par ce qu’elle voit, et surtout par toutes ces valises entassées dans une pièce…

★★★★☆

Comment une simple valise, avec une étiquette passée portant le nom de « Levin », peut-elle autant remuer la jeune Sarah, lycéenne discrète dont la mère semble lointaine et la famille totalement inexistante ? Est-ce que Sarah est un prénom juif ? Est-ce que le nom de ce père qu’elle n’a jamais connu est Levin ? D’où vient-elle ? Qui est-elle ? Ce sont les questions que ce voyage en Pologne soulève en Sarah et, l’absence totale de conversation avec sa mère ne l’aide pas à y voir clair. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de lui en poser… Et quand sa mère est victime d’un accident de la route la laissant dans le coma, Sarah va devoir continuer sa quête identitaire seule. Ou presque. Il y a d’abord Mr Bonnieux, le professeur d’histoire qui les a emmenés en Pologne. Conscient que Sarah y a vécu quelque chose de particulier, il lui propose de lui venir en aide et l’incite à fouiller dans les affaires de sa mère pour y trouver une piste… Et puis il y a Jérôme, le p’tit con, celui qui fait son intéressant devant tout le monde et qui, pourtant, est parvenu à lui ravir son cœur. Sarah, en plein émoi amoureux, va trouver en lui un soutien bien inattendu. Tous les deux, ils se lancent dans cette quête des origines…

Il y en a beaucoup des romans sur la recherche de l’identité et sur l’héritage de la Seconde Guerre mondiale, des familles juives. Pourtant, le roman de Sève Laurent-Fajal nous emporte dans l’histoire de Sarah avec une étonnante facilité et un intérêt croissant, où se mêlent habilement la naissance du premier amour et la découverte d’un passé douloureux. Le fait que l’histoire se déroule dans les années 1980 apporte également une touche d’originalité (l’utilisation du Minitel pour faire des recherches, par exemple), bien que ce soit un peu anecdotique par rapport à la sensibilité de l’écriture, et de l’histoire de Sarah. Un très beau roman, avec de l’amitié et de l’espoir, la mort et des secrets de famille, mais aussi, et surtout, avec beaucoup d’amour. Un très joli premier roman. 🙂

Les valises, Sève Laurent-Fajal (Gallimard jeunesse)
collection Scripto
disponible depuis le 15 septembre 2016
9782070587551 – 11€
à partir de 13 ans
Son
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Le mystère Blackthorn – Kevin Sands

9782747057844,0-3233892

1665, Londres. Christopher Rowe a 14 ans et est apprenti chez l’apothicaire Benedict Blackthorn, qui lui apprend depuis quatre ans les secrets de fabrication des remèdes et potions. Mais depuis quelques semaines, une menace pèse sur la ville : une secte occulte assassine des apothicaires. Et l’étau semble se resserrer autour du maître de Christopher…

★★★★★

Si vous aimez les intrigues trépidantes et les énigmes, Le mystère Blackthorn est fait pour vous ! Ce premier roman de Kevin Sands est une vraie réussite. On se laisse emporter dans l’histoire avec une étonnante facilité et on arrive au bout des 500 pages sans s’en rendre compte ! Et pour ceux qui n’aimeraient pas trop les romans historiques, celui-ci devrait vous réconcilier avec le genre : point de descriptions à n’en plus finir des us et coutumes ou de la politique de l’Angleterre du XVIIe siècle. Pas d’histoire prétexte pour nous évoquer la vie des enfants à cette époque. Il y a bien évidemment tous ces éléments historiques, indispensables à la cohérence, mais l’auteur nous les distille de façon admirable, en parfaite adéquation avec son récit, et sans aucun ennui. Nous sommes dans une véritable enquête où codes secrets et mystères divins vont donner du fil à retordre à notre jeune héros. 😛

Christopher est un jeune orphelin qui a eu la chance de trouver un apprentissage auprès d’un apothicaire renommé. Quatre ans à son service lui ont permis de s’instruire, d’apprendre à connaître et reconnaître les ingrédients utiles à la confection de remèdes ou de poisons et d’appréhender le futur métier d’apothicaire. C’est également à cette période qu’il rencontre Tom, le fils du boulanger, et son meilleur ami depuis qu’il lui a catapulté des fruits pourris sur la tête. Un ami qui ne sera pas inutile lorsque les choses vont se corser pour Christopher et une amitié qui apporte aussi la touche d’humour du roman.

Je ne vous révèle rien d’autre sur cette histoire passionnante, qui nous emmène dans le monde captivant des apothicaires et, plus largement, des alchimistes, à la découverte de secrets qu’il vaudrait parfois mieux garder précieusement. Kevin Sands propose dans son roman une véritable immersion dans le métier de l’apothicaire, et on appréciera toutes les explications des symboles, les précis d’alchimie ou les codes à déchiffrer qui parsèment le récit. Des personnages attachants, une histoire haletante et bien menée, telle une chasse au trésor, Kevin Sands réussit un excellent premier roman ! 😀

Le mystère Blackthorn, Kevin Sands, traduit par Pascale Jusforgues (Bayard Jeunesse)
disponible le 11 mai 2016
9782747057844 – 15,90€
à partir de 10 ans
Son
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Sauveur et fils, saison 1 – Marie-Aude Murail

Aujourd’hui, Bob fait son coming-out : il n’avait quasiment rien lu de Marie-Aude Murail (à part 22 ! et Maïté coiffure). Hérésie, n’est-ce pas ? 😛 C’est donc avec une certaine candeur qu’il vous parle aujourd’hui de son tout dernier roman, premier tome de ce qui s’annonce au moins comme une trilogie…

9782211228336,0-3174708

Sauveur Saint-Yves est psychologue à Orléans. Chaque semaine, il reçoit des patients aux histoires bien différentes qui fascinent son fils, Lazare, 8 ans, qui a trouvé un petit coin tranquille pour espionner les consultations de son père. Bientôt, des choses étranges se passent autour de la maison des Saint-Yves…ce qui pousse Lazare à se poser de plus en plus de questions sur ses origines et cette mère qu’il n’a jamais connue, décédée peu après sa naissance en Martinique.

★★★★☆

Cette première saison de Sauveur & fils, c’est un peu le pendant littéraire la série télé En analyse. Chaque semaine, nous assistons aux consultations du docteur Saint-Yves, qui reçoit, semble-t-il, beaucoup d’enfants et d’adolescents dans son cabinet. Alors que l’on suit avec un intérêt croissant la progression de chaque patient, c’est la vie de famille de Sauveur et les secrets qu’il cache à son fils qui sont au cœur de ce premier tome. Des secrets dont les racines se trouvent en Martinique, d’où est originaire Saint-Yves, mais qui semblent s’étendre jusqu’en France métropolitaine…

Que cache donc Sauveur à son fils ? C’est bien toute la question qui nous ronge à la lecture et qui ne trouvera de résolution qu’à la fin du roman, mais Marie-Aude Murail parvient à nous faire patienter sans rechigner grâce aux consultations auxquelles, comme Lazare, nous assistons en essayant de ne pas faire de bruit pour ne rien rater des choses confidentielles qui se disent. Et à travers tous ces patients, Marie-Aude Murail se permet d’évoquer de nombreux sujets difficiles, voire tabous, tels que la scarification, l’identité sexuelle, la dépression, la pédophilie… Elle n’oublie pas non plus le racisme, celui ordinaire, dont on ne se rend pas toujours compte, qui frappe continuellement Sauveur et Lazare. Malgré tous ces nombreux sujets qui pourraient être lourds et angoissants dans un seul roman, Marie-Aude Murail n’oublie pas l’humour et c’est sans doute la vie de famille du psychologue et la relation avec son fils – malgré les secrets – qui nous permet de « souffler » entre chaque patient et chaque tranche de vie perturbée.

Une très belle première saison, riche en émotions, qui nous donne très envie de continuer à suivre Sauveur, Lazare et tous ces patients qui nous touchent au fil du récit.
Le point noir ? Sans aucun doute la couverture du livre, qui n’est pas particulièrement représentative du roman (même s’il y a bien des hamsters/cochons d’Inde dans l’histoire) et qui rebutera très certainement le public auquel Sauver & fils est destiné… Dommage, mais faites fi et vous passerez un très beau moment de lecture. 😉

Sauveur et fils – saison 1, Marie-Aude Murail (École des Loisirs)
collection Medium GF
disponible depuis le 13 avril 2016
9782211228336 – 17€
à partir de 13 ans
Son
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Janis est folle – Olivier Ka

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Décidément, les éditions du Rouergue choisissent vraiment bien leurs photographies de couverture, vous ne trouvez pas ? 😀

Titouan et sa mère Janis sont en cavale, après qu’elle a incendié le deux-pièces où ils vivaient. Presque la routine pour Titouan, qui a toujours vécu en marge de la société, changeant d’endroit au gré des envies, ou de la folie, de sa mère. Cette fois, pourtant, il lui semble que leur fuite cache autre chose, que Janis a un but… Mais lequel ?

★★★★☆

Quel sont donc ces secrets que Janis semble garder au fond d’elle dans son esprit empreint de folie ? C’est cette question qui va obnubiler Titouan, pourtant habitué à soutenir sa mère depuis qu’il est tout petit. Déscolarisé, solitaire, autodidacte de l’accordéon, Titouan n’a toujours vécu qu’avec sa mère, parfois avec ses amants selon les endroits où il vivait. Il l’a toujours vu dans son monde, à part, un peu folle. Il est habitué. Mais lorsqu’elle incendie leur appartement, tout change. Il y a une urgence, un but caché, dans cette fuite à travers la France. Titouan est portant habitué à tout quitter pour tout recommencer ailleurs, à dormir dans la Volvo, à sentir mauvais pendant des jours… Mais pas à voler, braquer, s’enfuir comme un criminel. Il lui faudra faire preuve de patience, d’habileté pour commencer à percer les mystères de sa mère et les secrets qu’elle cache…
Janis est folle est un très beau et sombre texte, une évocation d’une relation mère/fils exclusive, étonnante, presque dérangeante. Il y a de la dureté et de la douceur dans la façon dont le jeune homme évoque sa mère et sa folie, on sent un amour inconditionnel et destructeur, une volonté de Titouan de tout porter sur ses épaules et désirer pourtant vivre une vie d’adolescent « normal », une vie qui lui échappe complètement. L’écriture d’Olivier Ka est toute en finesse, parfois d’une tranchante froideur, d’autres fois plus lumineuse, et nous laisse souvent au bord d’émotions très fortes. Un très beau roman !

Janis est folle, Olivier Ka (Rouergue)
collection DoAdo Noir
disponible le 9 septembre 2015
9782812609305 – 14€
à partir de 14 ans