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Le royaume de la Pierre d’Angle, t.1 L’art du naufrage – Pascale Quiviger

Après deux ans de navigation avec son équipage, le prince Thibault décide de retourner à Pierre d’Angle, son royaume natal. Le retour est long, entre escales protocolaires et tempêtes, passagère clandestine et orphelin à sauver. Jusqu’au jour où Thibault apprend que son père est mort. Il n’a que quelques jours pour venir réclamer la couronne ou cette dernière échoira à son frère Jacquard, aussi sombre et comploteur que lui est juste et bon.

★★★★★

Et ceci n’est que le début de l’histoire, car ces 480 pages de fantasy sont aussi riches que passionnantes ! Premier tome d’une saga qui en comptera quatre (et on a du bol car ils sont déjà tous écrits et paraîtront donc très vite jusqu’au printemps 2020), tous les ingrédients du genre sont réunis : un jeune prince qui doit se battre pour sa couronne ; une belle esclave en fuite promise à une grande destinée ; des jeux de pouvoirs ; une île mystérieuse et débordant de secrets ; et un soupçon de malédiction ? Là vous vous demandez sûrement : « ok, alors si ça ressemble à ce qu’on connaît déjà, pourquoi c’est aussi bien ? » Et je vous réponds : parce que c’est rudement bien écrit et que, même si on retrouve tous les motifs propres à la fantasy, on ne sait jamais ce qui nous attend vraiment et on se laisse complètement emporter par cet univers et cette histoire passionante.

Pascale Quiviger réussit à nous happer dès les premières scènes du roman. Une écriture fluide, poétique et intelligente, qui ne s’embarrasse pas de fioritures ampoulées comme c’est souvent le cas en fantasy, et qui joue beaucoup sur l’humour. Même dans des situations terribles, certains dialogues sont tout bonnement savoureux et pince-sans-rire. Il est ainsi tout à fait possible d’éclater de rire avant de revenir à des affaires plus sérieuses. Vous vous laisserez alors embarquer dans un récit captivant et intrigant, aux côtés de personnages diablement attachants. Thibault, en tête, bien sûr, car on ne résiste jamais à un prince droit dans ses bottes – même s’il cache quelques secrets. Mais aussi Ema, l’esclave en fuite qui, par son intelligence et son courage, va susciter le respect de tous ces marins évidemment misogynes (vous savez bien qu’une femme sur un bateau, ça porte malheur). Un couple de héros non seulement féministes mais surtout égalitaires, et ça c’est rare. Les seconds rôles ne sont clairement pas en reste, depuis les marins aux personnalités aussi différentes qu’étonnantes (fan de l’amiral Dorec, personnellement), que les présumés « méchants » de l’histoire qui vont sans doute avoir beaucoup à nous révéler dans les tomes suivants…

L’art du naufrage est le premier tome prometteur d’une saga de fantasy où l’aventure et les mystères nous tiennent déjà sacrément en haleine. Embarquez à bord de l’Isabelle, et voguez avec l’équipage de Thibault jusqu’au royaume de Pierre d’Angle, vous ne serez assurément pas déçus du voyage ! ❤

Le royaume de la Pierre d’Angle, t.1 L’art du naufrage, Pascale Quiviger (Le Rouergue)
collection Epik
disponible depuis le 10 avril 2019
9782812618048 – 16,90€
à partir de 13 ans
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Les raisons de la colère

On ne vous parle pas de Steinbeck aujourd’hui, mais bien de ce qui nous motive parfois à nous mettre en colère. C’est pas toujours jojo comme sentiment, mais nos deux albums du jour parviennent à en parler avec beaucoup de justesse, et surtout, à l’évoquer à travers des images aux styles diamétralement opposés mais tout autant puissants.

Le jardin d’Evan

Evan, un fermier faisant pousser des citrouilles, passe ses journées avec son chien. Ils font tout à deux : déblayer la neige du chemin l’hiver, jouer, aller voir les copains d’Evan et, surtout, s’occuper du magnifique jardin ! Jusqu’au jour où le chien s’endort pour ne plus jamais se réveiller. A ce moment-là, la peine d’Evan est si grande qu’elle en devient colère. Tout lui est insupportable et Evan commet l’irréparable : il détruit de rage son précieux jardin, qui devient le vivier des mauvaises herbes, des plantes qui piquent, qui empoisonnent… Un jardin qui correspond parfaitement à l’état de son propriétaire. Jusqu’à ce qu’une racine de citrouille trouve son chemin sous la clôture du jardin…

Après le très bel album Plus, qu’il illustrait chez Minedition, Brian Lies revient avec un album sublime et d’une grande force émotionnelle. Rien que cette couverture, très forte visuellement, en dit beaucoup, et ne laisse pas indifférent. Sur un thème éculé, Brian Lies nous propose cette fois de parler du deuil dans tout ce qu’il peut avoir de rageant, de la colère qui se mêle à la tristesse et qui veut nous faire tout détruire de ce qui nous fait penser à l’être perdu. Des émotions extrêmement fortes que l’on retrouve dans ses peintures hyper réalistes, avec un magnifique travail de lumières et de couleurs automnales, et où un renard n’aura jamais été mieux incarné que dans cette histoire. Un album bouleversant sur la résilience.

Le jardin d’Evan, Brian Lies, traduit par Françoise de Guibert (Albin Michel Jeunesse)
disponible depuis le 27 mars 2019
9782226441232 – 13,90€
à partir de 5 ans
La ligne

Alors qu’un petit garçon lit tranquillement sur le banc de la cour de l’immeuble, une petite fille s’amuse avec son ballon, joue en faisant du bruit. C’est chiant, ça, quand on veut lire dans le calme, non ? Alors le garçon trace une ligne dans la cour. Facile : tu restes de ton côté, moi du mien. Mais la petite fille n’est pas d’accord et, bien vite, les choses s’enveniment…

Là aussi, un album aussi fort visuellement qu’émotionnellement, où la colère est le point de départ d’une situation terrible où la liberté et l’acceptation de l’autre sont mises à mal. Plutôt que de parler, le petit garçon choisit de délimiter une ligne à ne pas franchir, un mur symbolique. L’escalade de violence suit, jusqu’à ce que les deux enfants se rendent compte de ce qui est en train de se passer… Ce qui peut parfois ne pas être le cas chez des adultes, par exemple… ll ne faut que quelques mots à Frédéric Maupomé, qui apparaissent sur une place quasi blanche avant chaque image, pour rendre toute la puissance poétique de son propos, qu’il soit doux ou violent. Des mots qui font mouche et des illustrations de Stéphane Sénégas qui, elles aussi, nous interpellent. Un trait noir et vif, qui s’assombrit et se gribouille de colère à mesure que le conflit évolue, et qui rend parfaitement toute l’émotion de cette histoire. Un album percutant sur le vivre ensemble.

La ligne, Frédéric Maupomé, illustré par Stéphane Sénégas (Frimousse)
disponible depuis le 15 novembre 2018
9782352413806 – 15€
à partir de 5 ans
Son
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Long way down – Jason Reynolds

Lorsqu’un type se fait flinguer dans le quartier de Will, il y a trois lois à respecter :
1 – Ne pas pleurer.
2 – Ne pas balancer.
3 – Se venger.
Quand c’est son frère qui se fait descendre, Will sait exactement ce qu’il doit faire.

★★★★☆

Se venger. Ouaip, tu as bien lu. Dans le quartier de Will, c’est œil pour œil. Un mec qui se fait buter = un autre mec qui se fait buter = encore un autre qui se fait buter… tu vois le topo. Ce jour-là, c’est Shawn qui se fait abattre au beau milieu de la rue. Il était parti faire une course pour sa mère et BAM ! Mort. Évidemment, personne n’a rien vu. Encore moins quand c’est la flicaille qui pose la question. Pourtant, Will sait qui a tué son frère. Il n’a même pas besoin d’y réfléchir. Juste le temps de prendre un gun et le voilà en route pour sa vengeance. Dans l’ascenseur qui l’emmène au rez-de-chaussée de son immeuble, pendant les soixante secondes de la descente, Will n’a plus que cette idée en tête. Mais comme un coup du sort, la machine s’arrête à chaque étage. Et à chaque étage, quelqu’un monte. Des souvenirs, des fantômes du passé, tous assassinés, tous victimes de ces trois lois.

Une histoire terrible mise en vers par Jason Reynolds, un auteur et poète américain très prolifique que nous découvrons seulement chez nous avec cet excellent roman. On ne peut que saluer le choix d’Insa Sané (slameur et auteur que vous connaissez forcément pour sa Comédie Urbaine chez Sarbacane) pour la traduction, qui retranscrit toute la musicalité et la singularité de la poésie de Jason Reynolds. Un roman d’une grande puissance émotionnelle grâce à ce huis-clos oppressant qui laisse Will aux prises avec les fantômes de son passé, avec ses doutes, son désir de vengeance. Un huis-clos également glaçant, par les témoignages de tous ces proches assassinés, et qui nous laissera juge de l’issue de cette spirale de violence et de vengeance. Un roman social que Jason Reynolds dédie à tous les jeunes gens incarcérés aux États-Unis, qui n’ont pas su briser le cercle vicieux de leur violence quotidienne. Puissant !

Long way down, Jason Reynolds, traduit de l’anglais par Insa Sané (Milan)
disponible depuis le 3 avril 2019
9782408004736 – 15,90€
à partir de 14 ans
Son
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Au cœur de la nature…

Vous êtes plutôt savane ou forêt ? Nos deux albums du jour nous font voyager dans la nature, aux côtés de majestueux éléphants, ou à la poursuite d’une rivière. Deux univers graphiques pour deux albums documentaires qui se lisent comme une histoire…

L’éléphant

Après La baleine bleue et L’ours polaire, Jenni Desmond continue de nous fasciner et de nous émerveiller à travers ses portraits d’animaux aussi majestueux que menacés. Entre l’Afrique et l’Asie, nous suivons ce petit garçon qui, en prenant un livre dans sa bibliothèque, découvre tous les secrets des éléphants. Les éléments documentaires sont passionnants, éclairants et sont parfois évoqués judicieusement par des analogies simples et à hauteur d’enfant. Si les documentaires ou les albums sur les éléphants sont légion, celui-ci se démarque assurément par ses illustrations absolument magnifiques ! Les peintures de Jenni Desmond sont à la fois scientifiquement réalistes et riches d’émotion. Et elles sont merveilleusement mises en valeur dans cet album de très grande qualité. Un ouvrage indispensable, duquel se dégage une grande tendresse, pour rappeler que les éléphants sont en danger et qu’il est nécessaire de les protéger.

L’éléphant, Jenni Desmond, traduit par Ilona Meyer (Éditions des éléphants)
disponible depuis le 21 mars 2019
9782372730785 – 14€
à partir de 5 ans
 

Par ici !

Avec Par ici, c’est un texte mystérieux et malicieux d’Olivier Douzou qui nous emporte et qui débute dès la couverture ! D’un tout petit filet d’eau commence à se dessiner un ruisseau, puis on dévale des montagnes, on bute contre des rochers, des affluents nous rejoignent et puis on grossit, grossit, jusqu’à n’avoir plus de bords. C’est le périple de cette rivière que l’on suit, de sa source jusqu’à la mer où elle se jette. S’il nous faut un petit moment avant de comprendre qui nous parle dans cette histoire, c’est peut-être aussi à cause des illustrations foisonnantes et humoristiques qui se transforment presque en « cherche et trouve », où toute la vie – humaine, animale et végétale – qui entoure notre rivière se déroule en même temps. Un voyage du minuscule au gigantesque qui permet d’aborder la vie d’une rivière avec simplicité. Gros coup de cœur pour les images de Benoît Audé qui regorgent de détails, de petites tranches de vies très drôles et qui nous invitent à revenir encore et encore à ce très bel album tout en fraîcheur.

Par ici !, Olivier Douzou, illustré par Benoît Audé (Le Rouergue)
disponible depuis le 6 mars 2019
9782812617539 – 15€
à partir de 5 ans
Son
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Partis sans laisser d’adresse – Susin Nielsen

On vous le dit et redit tous les deux ans : IL FAUT LIRE SUSIN NIELSEN. ❤ Comment faites-vous pour (sur)vivre sans ses livres dans vos vies, hein ? Alors que nous, on se languit de ses personnages, de son univers canadien, de son ton pince-sans-rire et de ses histoires truculentes… chaque nouvelle lecture d’un roman de Susin est une petite bulle en dehors du temps, un moment unique !
Chronique garantie sans objectivité aucune !!!

Félix Knutsson, bientôt 13 ans, se retrouve au commissariat. Pour expliquer ce qu’il y fait en ce 27 novembre, veille d’un événement capital, le garçon revient au moment où sa mère, Astrid, a perdu travail, petit copain et appartement, et où ils se sont retrouvés tous les deux à vivre dans un vieux Combi Volkswagen « emprunté ». La situation était pourtant censée être temporaire…

★★★★★

Après l’amour que je portais déjà très très fort à Ambrose et à Henry, je ne pensais pas trouver un personnage aussi fort, et pourtant ! Félix est un garçon profondément attachant, avec ses petites bizarreries qui font toujours le sel des ados et préados imaginés par Susin Nielsen, et qui rappelle un petit peu les fameux Ambrose et Henry. (D’ailleurs, je suis plus que ravie et profondément émue de retrouver Henry dans ce nouveau roman). ❤ Avec Partis sans laisser d’adresse, Susin Nielsen évoque la question de la précarité et, toujours, la relation familiale, ici celle d’une mère célibataire et de son fils. Astrid est une femme orgueilleuse qui n’est pas capable de garder un travail et d’accepter de se faire aider quand elle en a besoin. Par peur d’être séparée de son fils, elle demande à Félix de ne rien dire à son nouveau collège, l’idée étant de retrouver vite un travail et un logement décent. Mais tout ne se passe pas toujours aussi facilement et les semaines, les mois, passent et vivre dans un mini-van n’est plus si cool… Mais Félix a peut-être la solution : il a été sélectionné pour participer à l’émission junior de Qui, Que, Quoi, Quand ?, un jeu télévisé dans lequel il peut remporter jusqu’à 25 000$ !

On le dit tout le temps aussi, mais le talent de Susin Nielsen, c’est véritablement de savoir doser à la perfection la mesure d’humour qu’il faut à une histoire somme toute pas si marrante. On rit. On éclate de rire, même. (Mais bon, je suis bon public quand il s’agit de prouts). Et puis on chiale à moitié, aussi. De tristesse ou de compassion. Mais de bonheur aussi. Parce que c’est ça aussi, les romans de Susin Nielsen. Une émotion pas possible, qui te fait passer du rire aux larmes en quelques phrases bien troussées. Une incarnation sensible et sincère des personnages – même chez Astrid, qu’on pourrait détester à plus d’un titre et qui déborde pourtant d’amour – et une histoire qui sait mêler l’extraordinaire à la dure réalité sans nier les difficultés, la gêne ou la souffrance, tout en choisissant de nous rappeler la force de l’amitié et de l’entraide. Un roman d’une formidable richesse, qui nous laisse le cœur gonflé de joie : d’avoir rencontré Félix, d’avoir passé un moment de plus dans l’imagination de Susin Nielsen, et de savoir qu’il y a toujours de l’espoir. ❤

Partis sans laisser d’adresse, Susin Nielsen, traduit par Valérie Le Plouhinec (hélium)
disponible depuis le 3 avril 2019
9782330120566 – 14,90€
à partir de 12 ans
Son
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Rattrapage – Vincent Mondiot

Elle, c’est la fille populaire du lycée, « la blonde au cul bandant ». Lui, c’est le mec moche, plein d’acné jusque sur la raie des fesses, dont elle et ses copains se sont foutus de la gueule pendant toute l’année scolaire. Jusqu’à ce qu’il tente de se suicider et fasse le reste de sa scolarité ailleurs. Alors on a plus parlé de lui, jusqu’à ce qu’elle le voit, le jour du rattrapage du bac.

★★★★☆

Monologue puissant et nécessaire, c’est la voix de celle qui a harcelé que l’on découvre. Cette fille qui était la reine du lycée et qui s’est bien amusée avec ses amis populaires à prendre des photos, faire des vidéos ou simplement dire des méchancetés sur ceux qui n’étaient pas de leur bande, tous ceux qui sont moches, bizarres, geek, ont des baskets troués, des yeux de poisson, etc. Jusqu’à s’acharner sur ce garçon aux cheveux gras, aux noms de groupes débiles tipp-exés sur son sac à dos, à l’acné galopante qui le leur a jamais rien fait et qui, un jour, s’est ouvert les veines en plein cours de philo. Ce jour de rattrapage où elle le croise, c’est celui de sa dernière chance : de se tirer de ce lycée dont elle ne veut plus entendre parler, et de laisser ce souvenir terrible derrière elle. Mais pas facile de tirer un trait pour celle qui croyait que ce n’était qu’un jeu, que c’était pas bien méchant. Pour celle qui s’en veut, qui se demande s’il la hait, qui voudrait dire pardon, qui cherche à se « rattraper ».

Un texte très fort, du point de vue du harceleur, qui s’intéresse aussi à l’effet de groupe, à cette idée que tout ça, c’est juste pour rire, et qu’ils n’ont qu’à pas être moches, les autres, en fait. Que tout ça c’est leur faute ! Toute cette difficulté à comprendre que non, rien de tout ça n’est normal, que personne n’est moche, gros ou trop bonne. Et que personne n’a à souffrir de cela. Une réflexion sur la culpabilité, bien sûr, mais aussi sur la recherche d’absolution. Et comme toujours dans ces textes courts de la collection « D’une seule voix », c’est non seulement percutant, mais aussi tout en nuances. Un indispensable !

Rattrapage, Vincent Mondiot (Actes Sud Junior)
collection D’une seule voix
disponible depuis le 3 avril 2019
9782330121006 – 9,80€
à partir de 13 ans
Son
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Nous sommes l’étincelle – Vincent Villeminot

★★★★★

Depuis le début de l’année, on trépigne d’impatience à l’idée de vous parler du nouveau roman de Vincent Villeminot. Et pourtant, l’exercice n’est pas simple ! (On s’y est repris à plusieurs fois et cet article sans queue ni tête vous le confirmera). Parce que le roman de Vincent est une expérience de lecture, de littérature. Qu’en faire un résumé pour vous le présenter ne serait pas lui rendre justice. Nous sommes l’étincelle est un roman grandiose, une aventure humaine et révolutionnaire unique. Sur un thème qui peut faire penser à de la dystopie « classique » : une jeunesse qui cherche à se désolidariser du monde des adultes qui les déçoit et organise une grande révolution, Vincent Villeminot s’interroge sur l’utopie et, particulièrement intéressant, sur ce qui se passe après cette révolution. Et si on s’était trompé ? Une question vertigineuse et passionnante qui est le moteur de tous ces personnages dont nous allons faire connaissance au fil d’un récit qui se dévide, se coupe et se rejoint dans une construction délibérément fragmentaire et une temporalité non-linéaire s’étalant sur de nombreuses décennies.

Do not count on us, c’est le point de départ. Un manifeste écrit en 2022 par un jeune universitaire britannique qui va inspirer la jeunesse, en France, mais partout aussi en Europe. C’est l’étincelle qu’il fallait pour réveiller les consciences, pour inciter Antigone, Xavier, Paul, Jay ou La Houle à faire sécession, à quitter la ville pour suivre le rêve d’un retour à la nature, à une communauté sans leader, sans argent, sans tout ce qui fait aujourd’hui leur rejet de cette société à laquelle ils ne veulent plus appartenir. Un roman politique ? Oui, mais pas que ! Car il y a aussi Montana, Dan et Judith. On est en 2061, dans la Forêt. Ils sont ados, enfants, et ils s’amusent auprès d’un point d’eau. Jusqu’à l’arrivée des loups. Les vrais, les animaux, et puis les autres, ceux qui enlèvent des gosses, les traînent dans toute la forêt…pour les dévorer ? D’autres récits, encore, se mêlent et se croisent, pour former un roman aussi foisonnant que maîtrisé.

Et puis il y a cette écriture, violente, organique, brutale et poétique ; ces fragments de manifeste qui exaltent, ces psaumes qui invitent à la contemplation ; ces aventures passionnantes, angoissantes, optimistes, terrifiantes. Une émotion, des émotions, on ne ressort tout simplement pas indemne de cette lecture. Un roman qui hante, dans le bon sens du terme, un roman qui fait sens, qui interpelle, qui nous touche en plein cœur. Bravo, Mr Villeminot !

Nous sommes l’étincelle, Vincent Villeminot (PKJ)
disponible le 4 avril 2019
9782266290913 – 18,90€
à partir de 14 ans
Son
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Homère le homard doit-il rester dîner ? – Finn Buckley et Michael Buckley

Homère est un homard fort bien élevé. Quand il est invité quelque part, il pense toujours à apporter des fleurs, le dessert et des petits cadeaux pour les enfants. Et justement, ce soir, il est invité à dîner ! Quelle chance ! Enfin…est-ce bien normal d’offrir des bracelets élastiques à un homard quand il arrive ? Ou de lui proposer un bain d’eau bouillante ?

★★★★☆

Vous connaissez peut-être Michael Buckley pour sa série Les sœurs Grimm (dont on n’a jamais eu la suite, d’ailleurs) ? Le voilà qui revient avec un album pour les plus jeunes et écrit en collaboration avec son fils de 7 ans au moment où il imagine cette histoire ! Ce duo un peu fou est rejoint à l’illustration par Catherine Meurisse, que l’on n’a sans doute pas besoin de présenter, pour un album aussi étonnant que drolatique !

Tout d’abord, sachez que l’album possède deux couvertures ! Eh oui, pour une fois qu’une jaquette a une vraie utilité, c’est celle de vous proposer deux options puisque c’est ce que fait aussi l’histoire : Homère doit-il rester dîner chez ces hôtes fort accueillants mais pas pour la raison que notre petit homard croit ? Si vous pensez qu’il doit rester, alors continuez l’histoire. Sinon, sautez directement à la page 22 ! Le choix de votre couverture – un homard content ou un homard pas content – influencera peut-être le cours de votre lecture…

Un album drôle et malicieux, qui joue avec les codes du livre-jeu, avec du suspense, des bagarres épiques, des sauvetages et un homard qui n’a pas l’air de bien mesurer sa chance ! Enfin…vous verrez comment ça se termine ! Les illustrations de Catherine Meurisse, tout en rouge homard et bleu océan, jouent sur les expressions et les scènes dramatiques et loufoques ! Un album tout en surprise, dont la dernière se révèle sur la couverture… 🙂

Homère le homard doit-il rester dîner ?, Finn Buckley et Michael Buckley, illustré par Catherine Meurisse (Phaidon)
disponible depuis le 21 mars 2019
9780714878881 – 16,95€
à partir de 4 ans
Son
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How to stop time – Matt Haig

Tom Hazard a 439 ans. Il fait partie de ces personnes atteintes d’anagérie, une étrange condition qui ralentit le vieillissement à partir de la puberté et ne fait vieillir le corps que d’un an quand il en passe dix… Ainsi, Tom paraît n’avoir qu’une petite quarantaine d’années. Traversant les siècles, changeant d’identité et de lieu de vie tous les 8 ans pour ne pas éveiller les soupçons, le voilà qui s’installe à Londres où il prend un poste de professeur d’histoire. Mais sa longue et interminable vie est marquée par le deuil de son aimée et la recherche de sa fille, Marion, atteinte de la même affliction que lui…

★★★★☆

Après avoir exploré notre humanité à travers les yeux d’un extraterrestre dans le génialissime Humains, Matt Haig le fait maintenant à travers le temps et ce personnage « immortel » qui traverse les âges. Un roman fascinant et passionnant dont la construction, qui pourrait être complexe – des incessants allers et retours dans le passé, sans aucune chronologie si ce n’est celle des souvenirs au moment où Tom y pense -, est d’une fluidité remarquable. De l’époque Élisabéthaine aux années folles à Paris en passant par les grandes explorations en Polynésie, le périple à travers le temps de Tom est l’occasion pour l’auteur de le faire interagir avec de nombreuses « célébrités » de l’Histoire et des Arts.

Mais c’est bien l’aspect philosophique de la réflexion autour de l’amour, et de la mort, qui rythme toute l’histoire de Tom. Celui d’un amour perdu des siècles plus tôt, qui ne s’est jamais tari, mais qui pourrait bien le titiller à nouveau dans cette vie citadine et professorale dans un lycée de Londres. Celui d’un amour filial lui aussi déchiré par la séparation et c’est cette recherche de Marion qui va déterminer tout le parcours de Tom, qui sera au cœur du roman, alors que d’autres éléments viennent parfois détourner son chemin. Car, vous vous en doutez, Tom n’est pas le seul à souffrir de cette condition et, au fil de son histoire, va être confronté à d’autres personnes comme lui. Des personnes effrayées, parfois encore plus vieilles que lui, mais des personnes aussi organisées en une Société secrète qui œuvre à les protéger des autres et de certaines compagnies malveillantes. Mais comment concilier cette vie immortelle que l’on a parfois envie de quitter, cette recherche de sa fille et ces « obligations » que Tom a envers la société secrète ? Un petit côté thriller qui apporte une touche en plus à cette histoire et cette vie étonnante.

How to stop time, Matt Haig, traduit par Valérie Le Plouhinec (hélium)
disponible depuis le 13 mars 2019
9782330117245 – 16,50€
à partir de 13 ans
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De la douceur et des rêves…

En ce dimanche tout doux à lire avec un bon petit thé tout chaud, on vous propose deux albums d’une mignonnitude absolue ! ❤

Abcdaire des métiers qui n’existent pas

Alors que, petit, Bob s’imaginait en terrible Chasseur de dinosaures (= paléontologue, en fait), Claudine Morel, elle, se voyait plutôt Colorieuse de lune ou Xylophoniste sur champignons. Bon, Claudine était peut-être un peu plus mignonne que votre gros morse préféré. En tous cas, elle s’amusait follement à inventer des métiers qui n’existent pas et nous fait partager ses trouvailles fantaisistes et poétiques dans ce petit album qu’elle illustre également. Un dessin résolument doux et délicat, au crayon gris, où une couleur est associée à une lettre de l’alphabet et où chaque métier imaginaire est accompagné d’une scénette pleine d’humour ou de mignonnerie. On appréciera aussi le fait qu’il y ait autant de métiers masculins que féminins. Un abécédaire qui invite résolument au rêve et à l’imagination. Et vous, vous nous dites quel métier qui n’existe pas vous voudriez faire ?

Abcdaire des métiers qui n’existent pas, Claudine Morel (Didier Jeunesse)
disponible depuis le 13 mars 2019
9782278091553 – 11,90€
à partir de 3 ans

 

Avec toi

Après la rêverie, célébrons maintenant les petites joies du quotidien et l’amour d’un parent pour son enfant. Avec toi, c’est la relation incroyablement tendre et toute en émotion d’une maman pour sa fille, et les moments qu’elles partagent tous les jours. Du lever au coucher, en passant par le travail ou l’école, Pauline Delabroy-Allard nous fait entrer dans ce quotidien tout ce qu’il y a de plus banal et qui est pourtant ce qui compte le plus pour ces deux personnages. Un texte magnifique de douceur, où la mère et la fille s’expriment tour à tour, la première sur la page de gauche, la seconde sur celle de droite. Un procédé que l’on retrouve dans les illustrations d’HifuMiyo avec le point de vue de la maman et, en regard, celui de la petite fille dont on voit les événements à travers les yeux. Vous ne manquerez pas d’être fasciné par ses images, proches de la sérigraphie, dont j’ai particulièrement adoré le ton très paisible, moderne et nostalgique tout à la fois. Magnifique !

Avec toi, Pauline Delabroy-Allard, illustré par HifuMiyo (Thierry Magnier)
disponible depuis le 6 février 2019
9791035202262 – 14,90€
à partir de 4 ans