Tierney a seize ans et, comme toutes les jeunes filles de son âge et de sa communauté, elle va entrer dans son année de grâce. Une année dont personne ne parle, et surtout pas les femmes, mais qui doit permettre à toutes les jeunes filles de se débarrasser de leur magie. Elles sont alors envoyées à l’écart de la communauté, où il leur faudra dissiper toute trace de cette magie pour revenir purifiée…
Dans cette communauté hors du temps, fondée sur la religion, les filles n’ont que trois destins possibles : devenir épouse et mère (la meilleure situation, évidemment) ; travailler dans les maisons de labeur ou en domesticité ; vendre leurs corps dans les quartiers extérieurs. Si cela vous rappelle l’univers de La servante écarlate, le roman de Kim Liggett n’en est effectivement pas si éloigné. On retrouve en effet dans L’année de grâce une réflexion glaçante sur la place de la femme dans une société régie par les hommes et par la religion. La société est d’une violence inouïe pour ces jeunes filles et ces femmes à qui on inculque depuis toujours qu’elles ont un pouvoir terrible dont elles doivent se débarrasser. L’année de grâce, sorte d’exil au fin fond de la forêt, dans un domaine encerclé d’une palissade, à la merci de ces braconniers qui tuent les filles qui s’égarent hors du portail pour en retirer leur magie par le dépeçage et le prélèvement d’organes, est proprement effrayante. Dans cette société, Tierney se démarque de ses camarades par sa volonté de ne pas vouloir se marier – censé être le rêve de toutes ! – de rester libre de choisir celui qu’elle voudra épouser si elle en a envie, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Et, surtout, elle rêve ! Elle rêve d’une fleur et d’une jeune femme qui l’incite à la révolte, à penser par elle-même. Mais alors que Tierney arrive dans l’enceinte qui voit son année de grâce débuter, tout ce qu’elle croit et croyait savoir se brise dans un huis-clos où la folie de ses camarades ne fait que commencer…
Obsédant, le roman de Kim Liggett nous fait entrer tout de suite dans une ambiance envoûtante et angoissante, dans une histoire intemporelle de révolte contre le système. Mais là où l’autrice nous surprend, c’est dans cette héroïne et cette histoire parfaitement réalistes, qui montrent une révolte qui se construit, qui prend du temps, qui s’insinue lentement et qui plantera ses graines là où il le faudra. C’en est vraiment très fort, d’autant plus que c’est servi par une écriture toute en suggestion et en patience, en pions savamment placés, mais ce sera peut-être frustrant pour les lecteurs qui aiment quand ça va vite. Mais le roman de Kim Liggett aborde aussi d’autres notions très fortes, particulièrement justes et définitivement effrayantes, comme la psychologie sociale qui régit cette communauté, et notamment le groupe de jeunes filles en année de grâce. C’est intelligent, puissant et ça apporte une vraie profondeur à l’histoire ainsi qu’au personnage de Tierney, jusqu’à cette fin incroyable. L’année de grâce, c’est un roman dont on pourrait parler des heures, un roman qui nous remue, nous marque et nous amène à réinterroger nos constructions sociales. Et c’est surtout un véritable hymne à la sororité. Un roman fascinant et absolument indispensable, à faire lire aux garçons comme aux filles. Une pépite ! ❤
disponible depuis le
9782203036680 – 19,90€